Un texte signé Alexandre Lecouffe

Royaume-Uni - 1961 - Sidney J. Furie
Titres alternatifs : Le cadavre qui tue
Interprètes : Kieron Moore, Hazel Court, Ian Hunter, Kenneth J.Warren

Dossierretrospective

Doctor Blood’s coffin

Après un séjour dans une prestigieuse Ecole de Médecine à Vienne, le jeune et brillant chirurgien Peter Blood est de retour dans son petit village des Cornouailles. Il y retrouve son père qui y officie en tant que médecin et fait la connaissance de son assistante Linda Parker qui semble avoir toutes les qualités puisqu’elle est jeune, belle, dévouée et veuve depuis peu…Alors que cette dernière s’amourache du séduisant Peter, nous découvrons que celui-ci est responsable des disparitions et de la mort de plusieurs habitants des alentours. Dans un laboratoire secret enfoui dans une galerie souterraine, le savant s’adonne à d’étranges transplantations d’organes sur des cadavres dans le but de créer un être supérieur. Linda parviendra-t-elle à ramener Peter à la raison et éventuellement à la maison ?

D’origine canadienne, Sidney J.Furie s’est installé en Grande Bretagne en 1960 et il y a fondé une petite maison de production, la Caralan, dont les deux premiers titres furent de petits films d’épouvante sortis la même année : DOCTOR BLOOD’S COFFIN (alias LE CADAVRE QUI TUE) et THE SNAKE WOMAN. Le réalisateur connaîtra ensuite le succès avec IPCRESS DANGER IMMEDIAT (1965), un excellent film d’espionnage dans lequel il imprime son style visuel à venir fait de cadrages obliques, de plans en amorce et de caméra subjective. S’il tourne beaucoup par la suite, on peut surtout retenir du réalisateur son incroyable L’EMPRISE (1982) avec Barbara Herschey dans lequel l’héroïne était agressée par une entité invisible particulièrement perverse. Dans les années quatre-vingt, notre Canadien devient une sorte de « yes-man » alternant les films sans personnalité (SUPERMAN IV, 1987) et les séries télé ; il est aujourd’hui toujours très actif, alignant depuis une dizaine d’années de médiocres films de guerre (AMERICAN SOLDIERS, 2005) à un rythme très soutenu en dépit de ses quatre-vingt printemps passés…

A l’aube des années soixante, le cinéma fantastique et d’épouvante s’épanouit pleinement sous la forme du film gothique « en costumes », que ce soit au travers des titres flamboyants de la reine Hammer (LES MAITRESSES DE DRACULA de Terence Fisher, 1960), ceux du fameux cycle Edgar Poe réalisés par Roger Corman (LA CHAMBRE DES TORTURES, 1961) ou des chefs d’œuvre venus d’Italie (L’EFFROYABLE SECRET DU DOCTEUR HICHCOCK de Riccardo Freda, 1962). Si DOCTOR BLOOD’S COFFIN s’inscrit pleinement dans ce courant fantastico-gothique, il s’en distingue par le fait que son intrigue se situe dans une Angleterre contemporaine au tournage du film et que les demeures victoriennes sont remplacées ici par d’humbles maisons de campagne. Peu importe que ce choix temporel ait été dicté par un budget que l’on devine minimal puisque le cadre diégétique, à la fois moderne et paisible en apparence permet de faire rejaillir de façon inattendue les éléments fantastiques et horrifiques qui surgissent habituellement dans des espaces archaïques et tourmentés. Le contraste formé entre la beauté pittoresque du village de bord de mer d’un côté et le caractère mortifère et ignoble des expériences du docteur Blood de l’autre, est une des forces thématiques et visuelles du long-métrage qui obéit par ailleurs à tous les codes du film de « savant-fou ». L’influence principale de DOCTOR BLOOD’S COFFIN est bien évidemment celle du « Frankenstein » de Mary Shelley dont le scientifique éponyme avait eu droit à une résurrection haute en couleurs dans l’admirable FRANKENSTEIN S’EST ECHAPPE de Terence Fisher, sorti en 1957. Si Victor Frankenstein est de toute évidence le modèle assumé de Peter Blood, il faut aussi rappeler que la période pendant laquelle Sidney J. Furie signe ce premier essai européen est féconde en « savants-fous » en tous genres ; on peut notamment en croiser dans les remarquables LE SANG DU VAMPIRE (Henry Cass, 1958), LES YEUX SANS VISAGE (Georges Franju, 1959), LE MOULIN DES SUPPLICES (Giorgio Ferroni, 1960) ou L’HORRIBLE DOCTEUR ORLOFF (Jess Franco, 1961). Malheureusement, DOCTOR BLOOD’S COFFIN ne peut soutenir la comparaison avec les films précités et tout d’abord par le fait que le scénario (dû à Nathan Juran qui fut par ailleurs un réalisateur d’œuvres de « fantasy » de qualité comme LE SEPTIEME VOYAGE DE SINBAD, 1958) ne tienne pas trop la route. En effet, celui-ci nous fait épouser dès ses prémices le point de vue de Peter Blood, nous révélant dès l’incipit qu’il est le responsable des enlèvements puis des traitements mortels infligés aux innocents villageois. Par conséquent, tout effet de suspense est annulé et l’enquête policière autour des disparitions nous paraît alors bien ennuyeuse en plus d’être assez mal construite, les indices et autres coïncidences troublantes (la présence d’un flacon de curare dans le bureau de Peter) allant clairement dans le sens de la culpabilité du jeune chirurgien, ce qui échappe pourtant aux protagonistes…De même, si les invraisemblances concernant le « modus operandi » du criminel finissent par porter un coup à la stabilité des enjeux dramatiques, le fait que l’apprenti Frankenstein puisse redonner vie à un cadavre en lui greffant simplement un nouveau cœur fait perdre au film une part de sa crédibilité. Si ces aspects simplistes (bâclés ?) amoindrissent la portée émotionnelle de DOCTOR BLOOD’S COFFIN, on relèvera cependant plusieurs éléments formels qui en font un long-métrage tout à fait digne d’intérêt et notamment les séquences purement gothiques qui se déroulent dans l’antre-laboratoire du savant-fou, une caverne à peine éclairée où gémissent des victimes entre la vie et la mort. Il faut également signaler à l’actif du film la présence, lors de deux scènes de transplantation, de plans “gore” figurant des cœurs sanglants et palpitants, une audace graphique tout à fait novatrice pour l’époque. L’apparition vers la fin du métrage de la « créature » du docteur est elle aussi réussie et n’hésite pas à convoquer des images mêlant l’organique et la putréfaction.

En dépit de son minuscule budget, DOCTOR BLOOD’S COFFIN bénéficie d’un excellent travail en ce qui concerne la photographie (assurée par Nicholas Roeg, futur réalisateur d’œuvres profondément troublantes, à l’instar de NE VOUS RETOURNEZ PAS, 1974), que ce soit pour les scènes en extérieur où les éléments naturels des Cornouailles sont bien mis en valeur ou pour les séquences situées à l’intérieur de la caverne du monstre, éclairée de façon « expressionniste ». Dans un rôle qui n’est pas d’une richesse extraordinaire, celui de l’infirmière qui tente de sauver l’âme dévoyée du savant, on retrouve la belle et talentueuse Hazel Court, de nos jours bien oubliée mais qui fut, assez brièvement il est vrai, une égérie du cinéma fantastique que l’on put apprécier dans le premier film gothique de la Hammer (FRANKENSTEIN S’EST ECHAPPE de Terence Fisher, 1957) puis dans plusieurs opus de Roger Corman dont L’ENTERRE VIVANT (1962) et LE MASQUE DE LA MORT ROUGE (1963). Dans le rôle-titre, l’acteur de second plan Kieron Moore (ANNA KARENINE de Julien Duvivier, 1948) fait une composition honnête mais très peu mémorable et jamais vraiment inquiétante. Cette petite bande assez rare a finalement plutôt bien vieilli et demeure un petit classique de la série B d’épouvante à l’anglaise. Quant au « cercueil » du titre original, il faut être assez perspicace et attentif pour le remarquer…


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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