Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1960 - Anton Giulio Majano
Titres alternatifs : Seddok l'erede di Satana, Atom age vampire
Interprètes : Alberto Lupo, Susanne Loret, Franca Parisi, Sergio Fantoni

Dossierretrospective

Le monstre au masque

Le réalisateur Anton Giulio Majano est un artisan du cinéma populaire italien un peu oublié voire totalement inconnu dans nos contrées ; sa carrière commence dans les années trente et quarante en tant que scénariste et assistant-réalisateur puis comme réalisateur dans les années cinquante. De la même génération que Riccardo Freda dont il n’a ni le talent ni la personnalité, Anton Majano signe cependant quelques films de bonne tenue : L’ANGE DU PECHE (1952) avec Marcello Mastroianni, DIMANCHE ROMAIN (1953) avec la débutante Sophia Loren, TERREUR SUR ROME (1957) un thriller urbain ou LES FRERES CORSES, son œuvre la plus connue. A partir du milieu des années cinquante et pendant près de trente ans, Anton Majano va se consacrer presque uniquement aux adaptations télévisées prestigieuses de classiques de la littérature populaire (« Le Capitaine Fracasse », « L’île au trésor », David Copperfield »…). LE MONSTRE AU MASQUE (« Seddok, l’héritier de Satan » dans la langue de Dante et de Mario Bava) est l’unique incursion du réalisateur dans le cinéma d’épouvante et il est à souligner que le film fait partie des tout premiers à avoir été tournés en 1960 qui marque l’année de naissance du court âge d’or du fantastique-gothique italien. C’est à cette date fatidique en effet que l’on put découvrir deux insurpassables chefs d’œuvre : LE MOULIN DES SUPPLICES (Giorgio Ferroni) et LE MASQUE DU DEMON (Mario Bava) mais aussi quelques films d’épouvante moins ambitieux et souvent peuplés de jolies jeunes femmes très légèrement vêtues : le très bon LA MAÎTRESSE DU VAMPIRE (Renato Polselli) ou le sympathique et sexy DES FILLES POUR UN VAMPIRE (Piero Regnoli).

Jeannette, une belle danseuse de cabaret, est plaquée par son fiancé Pierre qui ne supporte plus de la voir exhiber ses charmes en public. Sous le choc, la jeune femme a un grave accident de voiture qui la laisse défigurée. Au bord du désespoir, Jeannette est approchée par une femme qui lui propose de rencontrer son patron, le professeur Levin. Ce dernier, qui a longtemps travaillé avec des victimes des radiations d’Hiroshima, est parvenu à mettre au point un sérum (le Derma 28) qui régénère les tissus cellulaires. Après une injection, le visage de Jeannette retrouve sa beauté…mais seulement pour quelques heures, l’effet du sérum n’étant pas encore au point. Très épris de la jeune femme, le professeur décide de s’injecter un sérum dégénératif (le Derma 25) qui lui donne l’apparence d’un monstre et l’aide à accomplir sans scrupules l’innommable : prélever sur d’innocentes femmes une glande (thyroïde ?) qui permettrait au Derma 28 d’être parfaitement efficace…

LE MONSTRE AU MASQUE s’inscrit d’emblée sous la double influence du film de Georges Franju LES YEUX SANS VISAGE et de celui de Giorgio Ferroni LE MOULIN DES SUPPLICES, tous deux sortis quelques mois avant cette nouvelle histoire de femme défigurée/malade et de scientifique prêt à tout pour lui rendre sa beauté/la sauver. Nombreux en effet sont les emprunts que LE MONSTRE AU MASQUE effectue vis-à-vis du film français, que ce soit au niveau narratif (la trame est globalement la même, depuis les premières expériences qui échouent jusqu’à l’obsession rapidement criminelle du professeur en passant par le soutien et la complicité indéfectibles d’une femme amoureuse de lui) ou thématique (la figure du « savant fou », la science et ses limites, la monstruosité physique et morale, la perte d’identité, l’amour fou…). Impossible également de ne pas songer à l’emblématique Docteur Jeckyll et à son double malfaisant lorsque le bon professeur Levin se transforme en être hideux lors de brèves mais percutantes séquences utilisant la surimpression et l’animation image par image pour nous présenter une créature dont le faciès évoque justement quelque peu celui de Fredric March dans DOCTEUR JECKYLL ET MISTER HYDE de Rouben Mamoulian (1931). Cependant, LE MONSTRE AU MASQUE parvient à tisser son originalité en infusant son récit d’éléments science-fictionnels qui font référence aux peurs contemporaines des années cinquante : le danger atomique, la conséquence des radiations et la possible destruction de l’humanité par une arme scientifique. Ainsi, les scènes où le professeur s’inocule son sérum radioactif puis celle où il utilise une machine tout droit sortie d’un roman de H.G.Wells pour se « décontaminer » sont à la fois inquiétantes et visuellement réussies malgré leur simplicité graphique. Par ailleurs, Anton Majano parvient à s’éloigner de son modèle revendiqué LES YEUX SANS VISAGE en faisant de son protagoniste (interprété avec justesse par Alberto Lupo vu dans LA TERREUR DES GLADIATEURS de Giorgio Ferroni, 1964) non pas un père dévoré par l’amour filial mais un homme hanté par l’amour (non réciproque, bien sûr) d’une femme. En ajoutant le thème du désir, de l’obsession amoureuse comme ressort principal de son film, le réalisateur italien lui permet d’atteindre par instants des sommets dramatiques plutôt rares dans un « petit » film d’épouvante. LE MONSTRE AU MASQUE se démarque également du chef d’œuvre de Georges Franju et de sa tonalité réaliste-poétique par le fait qu’ici, une grande part de l’imagerie et des topos qui ressortissent au fantastique-gothique sont mis en évidence, même si l’intrigue est située dans une petite ville portuaire (et supposée française) de la fin des années cinquante. On privilégie donc les apparitions du monstre amoureux et les séquences nocturnes durant lesquelles il attaque et laisse pour mortes ses victimes féminines ; le laboratoire très « frankensteinien » du professeur cache un passage secret derrière un mur dont on ne connaîtra d’ailleurs pas l’usage ( !) ; le jardinier inquiétant et muet est à lui seul une figure obligée du gothique…On peut ajouter à ce sympathique folklore la présence inopinée d’une vieille gitane qui, ayant croisé notre « freak », affirmera ensuite qu’il s’agit de « Seddok, le fils de Satan » ; personne, jusqu’à la fin du film ne tiendra compte de cette remarque insolite, sauf un producteur qui décidera d’en faire le titre du long-métrage !

Mais le plus passionnant dans LE MONSTRE AU MASQUE demeure la relation impossible car guidée par les contraires entre le professeur Levin et la blonde Jeannette (interprétée par la pulpeuse Suzanne Loret, vue dans THESEE ET LE MINOTAURE de Silvio Amadio, 1960). Lui est un scientifique, un intellectuel, un homme du dix-neuvième siècle alors qu’elle est plutôt superficielle, sensuelle et bien de son époque ; tandis que lui est prêt à perdre son humanité, physiquement et moralement, par amour, elle ne vit que pour les apparences, soit les traits de son visage sans lesquels elle n’est rien…
En dépit de quelques longueurs et maladresses, LE MONSTRE AU MASQUE est une assez belle réussite de l’épouvante gothique à l’italienne servie dans un beau noir et blanc atmosphérique, à l’instar de la plupart des meilleurs fleurons du genre. Le film est longtemps sorti dans des versions plus ou moins écourtées, notamment aux Etats-Unis où il bénéficia néanmoins d’un petit culte sous le titre semi-mensonger d’ATOM AGE VAMPIRE.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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