Japon - 2001 - Sogo Ishii
Interprètes : Tadanobu Asano, Masatoshi Nagase, Masakatsu Funaki

retrospective

Electric Dragon 80 000V

S’il ne fait pas l’ombre d’un doute que BURST CITY a l’allure du parfait film culte et la saveur d’un bon trip sensoriel, on peut en revanche toujours ergoter sur sa réalisation, en totale roue libre, et sa narration, déglinguée à mort… On a les défauts de ses qualités comme on dit si bien (à moins que ce ne soit l’inverse…).

Et justement, Sogo Ishii en a une de qualité : sa constance dans l’effort, qui, avec son penchant pour l’expérimentation visuelle, lui permet d’accoucher d’œuvres toujours plus audacieuses.

La meilleure preuve de cela est son récent ELECTRIC DRAGON 80.000 V. Avec ce film, non seulement il renoue avec les films punks de ses débuts, en en gommant par la même occasion les aspérités pour ne garder que le meilleur, mais il réaffirme également sa volonté d’innover, en bousculant les règles du cinéma. Pour cela, il nous propose « quelque chose » de jamais vu… depuis, tout simplement, TETSUO de Tsukamoto. Ici, ce « quelque chose », c’est un objet filmique clairement identifié comme “ovniesque” !

electric dragon 80 000 v

Jugez plutôt : nous avons d’un côté Dragon Eye Morrison interprété par le grand Tadanobu Asano, électrocuté lorsqu’il était enfant, depuis capable de conduire l’électricité (il dispose de 80000 volts dans le corps) et de communiquer avec les reptiles (cette électrocution a altéré une zone de son cerveau héritée de nos ancêtres rampants). A tout superpouvoir, son lot de désagréments, sinon ça serait trop facile. Il lui arrive en effet de péter les plombs et devenir ainsi un véritable danger pour lui-même mais surtout pour les autres. Seule sa fidèle guitare électrique peut le calmer dans ces moments là.

Il lui suffit alors de crier « Guitaaaare !!! » pour qu’elle rapplique aussi sec… Son mystérieux adversaire est Thunderbolt Buddha (Masatoshi Nagase), lui aussi foudroyé dans sa prime jeunesse. Par contre, il semble en avoir conservé un voltage autrement plus conséquent (2 millions de volts dans l’organisme), mais également une schizophrénie bien handicapante puisqu’elle le pousse à s’autodétruire (ou à s’autoéléctrocuter, ce qui revient au même) en cas de surtension… Dragon Eye Morrison VS Thuderbolt Buddha, voilà l’affiche de ce film fou. Le duel sera sans merci entre ces deux électrons libres…

Attention, film addictif. Jouissif et délirant sont les premiers adjectifs qui viennent à l’esprit après visionnage. Dès le début, on a comme la sensation prémonitoire que le film sera différent. Les images accrochent tout de suite la rétine, le rythme vous happe littéralement de votre fauteuil. Quant à la bande son, elle est tout aussi immersive et colle parfaitement à l’esprit expérimental du film. Cette dernière est d’ailleurs signée du groupe de Sogo Ishii lui-même et de son acolyte Hiroyuki Onogawa, son compositeur attitré depuis LE LABYRINTHE DES REVES en 1997.

Faite de guitares hurlantes comme le métal, d’électro industriel et de punk rock noisy, elle ne demande qu’une chose : qu’on pousse le volume à fond. Un peu comme dans un clip, elle est omniprésente, mais jamais envahissante, indissociable des images qu’elle accompagne. Les personnages ne s’exprimant que très rarement, les dialogues en sont réduits à peu de chose dans ce fatras sonore. Ça n’est pas un problème en soi, car l’histoire proposée ici n’a au fond rien de bien sorcier, les images se suffisent à elles-mêmes.

electric dragon 80 000 v 1

L’une des grandes trouvailles du film est la voix off. Ici, elle ne fait pas office de narrateur, mais plutôt de speaker. Elle nous présente ainsi les forces en présence, à la manière d’un match de boxe. Le champion d’un côté, le challenger de l’autre. Un dispositif original et excitant où chaque intervention devient jubilatoire. Il faut l’entendre hurler comme un excité, notamment lors de la présentation du personnage principal, Dragon Eye Morrison. Alors que ce dernier est en train de malmener sa guitare pour se calmer les nerfs, le speaker entre alors en scène (toujours off), pour nous annoncer avec un certain panache : « He conducts electricity ! He talks to reptiles ! He’s the man ! “Dragon Eye” ! Dragon Eye Morrison !!! ».

Lorsqu’il finit sa présentation, le speaker est en transe, le spectateur lui est en extase… Ces scènes sont d’une efficacité redoutable. Le réalisateur a eu en plus la bonne idée de les illustrer visuellement, à l’aide de cartons. Apparaissant à l’écran dans un style coup de poing et tape à l’oeil, ils font ressortir toute l’animalité qui se dégage des personnages. Il va s’en dire que ces cartons sont bien sûr très différents de ceux qu’on voit généralement dans les vieux films muets. Ce qui est somme toute assez logique, étant donné l’aspect pour le moins tintamarresque d’ELECTRIC DRAGON 80.000 V !

Bien qu’original et unique en son genre, ce film expérimental brasse des univers aussi différents qu’inattendus, empruntant autant au manga qu’au jeu vidéo, au cyberpunk ou à la science-fiction ainsi qu’au film de kung-fu et au rock. C’est bien connu, tout film rendant hommage à Bruce Lee ne peut qu’attirer la sympathie. Il est forcément amusant de voir l’acteur Tadanobu Asano, inoubliable yakusa masochiste dans ICHI THE KILLER, imiter les gestes du petit dragon dans le final de LA FUREUR DE VAINCRE. Dans les hommages toujours, mais dans un registre moins bagarreur (quoique), on trouve également cité le poète chanteur Jim Morrison, dont le répertoire évoquait souvent serpents, lézards et autres reptiles…

electric dragon 80 000 v

Ce film a donc tout pour plaire, malgré sa trop courte durée (55 minutes seulement). Il s’en dégage une belle énergie communicative, rappelant furieusement celle de TETSUO. Cet autre grand film aussi intense que chtarbé, réalisé par Tsukamoto en 1989, est ici copié sans vergogne, mais qu’on se rassure, avec toute la classe et le talent d’Ishii. Mais quelle ironie du sort de voir aujourd’hui Sogo Ishii, le chantre du cyberpunk, s’inspirer de celui qui fut considéré comme son continuateur dans cette veine, et dont le TETSUO n’était après tout qu’une réactualisation de ses premières œuvres.

Il est toujours permis de rêver de les voir un jour réunis à la faveur d’un film à segments par exemple. Là, ils pourraient enfin confronter leurs univers communs et conjuguer leurs expériences respectives. En tout cas, ces deux-là sont clairement faits pour s’entendre comme deux larrons en foire…

ELECTRIC DRAGON 80.000 V n’est pas un film qui se voit, mais qui se vit. Une expérience trippante qu’on n’est pas prêt d’oublier de sitôt, et qu’il est toujours possible de renouveler à l’envie. La marque des grands films, dit-on, est leurs résistances au temps et aux visionnages. Sachant cela, on peut sans difficulté ranger le métrage du décidément très doué Sogo Ishii dans cette catégorie.

Geoffrey Morlet

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