Un texte signé Alexandre Lecouffe

U.S.A.-Canada - 2009 - Jaume Collet-Serra
Titres alternatifs : Orphan
Interprètes : Vera Farmiga, Peter Sarsgaard, Isabelle Fuhrman

BIFFF 2010review

Esther

Kate et John Coleman forment un couple fragilisé : d’un milieu social aisé et parents de deux enfants, ils ont dû récemment faire face à un drame : Kate a accouché d’un bébé mort-né. Le couple décide alors d’adopter et tombe sous le charme d’Esther, une fillette de neuf ans d’origine russe. Délicate, douée artistiquement, l’ex-orpheline comble ses nouveaux parents, est admirée par Max, la petite fille sourde-muette des Coleman mais se heurte à des brimades à l’école et à l’animosité de Daniel, son frère adoptif. Bientôt, le comportement d’Esther se fait plus trouble voire violent et Kate l’accuse d’être une manipulatrice. Devant la menace d’un possible retour à l’orphelinat, la fillette va se dresser de façon…radicale.

Après le très fréquentable LA MAISON DE CIRE (2005), le réalisateur espagnol Jaume Collet-Serra signe ici son second film pour la maison de production Dark Castle, spécialisée dans la série B horrifique sous la houlette des influents Joël Silver et Robert Zemeckis (au rayon de leurs réussites relatives, on peut citer LA MAISON DE L’HORREUR de William Malone en 1999 ou GOTHIKA de Mathieu Kassovitz en 2003). Le thème de l’enfant diabolique à l’œuvre dans ESTHER a été maintes fois traité au cinéma que ce soit par le prisme du fantastique (LES INNOCENTS de Jack Clayton, 1960 ; LA MALEDICTION de Richard Donner, 1976 ; LE CERCLE INFERNAL de Richard Loncraine, 1977…) ou par le biais plus prosaïque du thriller psychologique (LE BON FILS de Joseph Ruben, 1993 ou JOSHUA de George Ratcliff, 2007 auxquels le film de Jaume Collet-Serra emprunte énormément.). Pas de rejeton aux pouvoirs maléfiques dans ESTHER donc, mais le portrait d’une psychopathe en herbe qui va s’évertuer à disséminer la perversion au sein d’une cellule familiale pour mieux ensuite la détruire de l’intérieur. L’intérêt du film réside en grande partie sur son approche réussie de son personnage principal : dotée d’un prénom magnifique, pourvue d’une éducation et d’un visage aristocratiques, d’une grande sensibilité artistique, l’orpheline (titre original) semble tout droit échappée d’un roman victorien. Précieuse, supérieurement intelligente, différente et un peu hors du temps, la fillette va donc se heurter à l’incompréhension puis à l’hostilité d’antagonistes médiocres (son frère adoptif, pré-ado abêti, des écolières stupides…) et gagner de fait notre sympathie. Ses premiers actes moralement répréhensibles auront même notre approbation (l’oiseau achevé à coups de pierre, la sale gamine poussée du haut d’un toboggan…) tant l’environnement de la fillette nous paraît mesquin et étriqué. Malheureusement, si le personnage éponyme est caractérisé de façon assez originale, ceux formant la famille d’accueil sont trop stéréotypés pour gagner notre empathie (la mère fragile et rongée par la culpabilité, le père qui se laisse trop facilement aveugler par Esther, l’innocente petite fille victime sous influence…). L’autre déséquilibre du film provient de son intrigue beaucoup trop linéaire qui permet au spectateur d’avoir souvent plusieurs scènes d’avance sur son déroulement ; de même, les « scènes à faire » (la vengeance d’Esther contre une écolière, son stratagème meurtrier pour se débarrasser physiquement d’une infirmière trop curieuse…) apparaissent de façon beaucoup trop prévisible, annihilant tout suspense. En fait, le réalisateur cherche ouvertement l’effet choc et l’impact physique plutôt que la tension dramatique et psychologique qui est loin d’être toujours bien soutenue ; on saluera en revanche l’énergie mise au service d’une montée en puissance des actes cruels, violents puis meurtriers de la petite orpheline. Crâne fracassé à coups de marteau, corps mutilé à l’arme blanche, ESTHER ne recule pas devant les plans vraiment graphiques qui surprennent dans une production de ce type et l’éloignent d’un long métrage inoffensif comme LE BON FILS au sujet similaire mais à la violence aseptisée. Le dernier acte du film, dynamisé par un habile « twist » final, développe quant à lui une atmosphère de pure épouvante, vénéneuse et dérangeante. ESTHER apparaît clairement comme une relecture d’œuvres américaines de série B des années 90 dans lesquelles un élément extérieur (un homme, une femme, un enfant) venait perturber et tenter de détruire une structure familiale bancale ; on pense bien sûr à des films comme LE BEAU PERE (de Joseph Ruben, 1987, dont un remake a été fait en 2009 !), LA MAIN SUR LE BERCEAU de Curtis Hanson, 1991) ou LE BON FILS que nous avons déjà cité. Le film de Jaume Collet-Serra revêt la même dimension métaphorique un peu pesante qui fait de l’« étranger » (ici, l’enfant psychopathe) l’incarnation de la mauvaise conscience, des failles, des frustrations et des mensonges du noyau familial. En rejetant le « happy-end » total, en creusant plus qu’à l’habitude les névroses de ses personnages « normaux » et en conférant à sa « méchante » une épaisseur et une ambiguïté assez inédites, le réalisateur espagnol signe une intéressante variation sur ce genre très codifié.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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