Un texte signé Franck Boulègue

Mexique - 1968 - Alejandro Jodorowsky
Titres alternatifs : Fando y Lis
Interprètes : Sergio Kleiner, Diana Mariscal, Maria Teresa Rivas, Tamara Garina, Rene Rebetez…

retrospective

Fando et Lis

Deuxième œuvre cinématographique du touche à tout de génie d’origine chilienne Alejandro Jodorowsky (son premier film, une adaptation de Thomas Mann, étant perdu), FANDO ET LIS transpose à l’écran une pièce de théâtre du dramaturge espagnol Fernando Arrabal. Les deux hommes (flanqués de Roland Topor, l’auteur du roman qui inspirera à Roman Polanski l’excellent LE LOCATAIRE) sont à l’origine en 1962 du « Mouvement Panique ». Il s’agit là d’une allusion au dieu Pan – chaotique et excessif, intuitif et irrationnel, violemment sexuel. Ils créeront dans le cadre de cet « anti-mouvement » tout un ensemble de performances surréalistes et dionysiaques, en provenance directe des tripes de leurs concepteurs.

C’est dans ce contexte que s’inscrit FANDO ET LIS, qui lors de sa première diffusion au Festival du Film d’Acapulco, en 1968 a déclenché une véritable émeute du fait de son caractère jugé par trop provocateur et blasphématoire. Jodorowsky sera même obligé de fuir la salle de cinéma en urgence, de manière à ne pas se faire lyncher par le public outré ! A la suite de cet événement, le film sera interdit au Mexique et connaîtra une longue période d’hibernation de trente ans, avant de finalement nous parvenir.

Comme à son habitude, Jodorowsky nous décrit le parcours initiatique de personnages en quête d’un lieu fabuleux, empreint de mysticisme. Dans EL TOPO, le « pistolero » qu’il incarnait se perdait dans le désert à la recherche de quatre maîtres du revolver. Dans LA MONTAGNE SACREE, c’est au sommet d’une montagne mythique que le groupe de héros devait grimper afin d’accéder à l’immortalité. Ici, Fando (Sergio Kleiner) et Lis (Diana Mariscal) errent à travers un désert rocailleux à la recherche de la dernière ville de la planète, « Tar » l’utopique, dont le père de Fando lui a parlé alors qu’il était encore enfant (les autres cités du globe ont été rasées durant un conflit terminal dont nous entendons l’écho au tout début du film, tandis que Lis mange les pétales d’une rose !). En ce lieu, véritable Paradis terrestre, les souffrances sont sensées disparaître. Quand on sait que Lis est paralysée des membres inférieurs (Fando la pousse à travers le désert sur un petit chariot et, quand le terrain se fait trop abrupt, il la porte sur son dos), on peut deviner qu’un miracle pourrait se produire s’ils parvenaient à destination.

Tout au long de leur périple, les deux individus au comportement volontiers infantile vont se heurter à une flopée de personnages plus ou moins loufoques. De plus, à l’aide de « flash-backs » joliment mis en image, l’origine de leurs troubles psychologiques vont trouver un début d’explication : on découvre la relation complexe entretenue par Fando avec sa mère castratrice (qui est à l’origine du décès de son père), ainsi que le viol de Lis par d’ignobles hommes.

Chemin faisant, il vont donc avoir affaire à (dans le désordre et parmi beaucoup d’autres) : un groupe de vieilles femmes édentées, mangeuses de fruits, désireuses de satisfaire leurs instincts sexuels sur Fando ; des hommes et des femmes à moitié nus, couverts de boue des pieds à la tête, baignant dans leur jus bourbeux ; un clochard qui prélève quelques centilitres de sang dans les veines de Lis à l’aide d’une seringue (sans trucage), avant de s’en délecter comme s’il s’agissait d’un bon vin ; un groupe de travestis qui dépouillent Fando de ses vêtements avant de le vêtir en femme ; un pianiste qui continue sa prestation, imperturbable, en dépit du fait que son instrument est la proie des flammes…

Il est difficile de résumer le propos d’un pareil film. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’il s’agit d’un « road-movie » déjanté. Une œuvre cathartique, où les instincts primaires de l’auteur s’expriment sans passer à travers le filtre réducteur de la raison. Il n’est pas certain que Jodorowsky lui-même soit capable d’expliquer précisément l’ensemble des scènes collées bout à bout dans ce film. Et en fait, peu importe. Le résultat n’en est pas moins stupéfiant. On devine certes quelques éléments d’explication (par exemple, Lis serait semblable à la marionnette dont Jodorowsky sectionne lui-même les fils lors d’une réminiscence du personnage). Il est peut-être toutefois préférable de se laisser absorber par le flot d’images viscérales déployées devant nous, sans forcément chercher à leur conférer un ordre quelconque. Cela serait en tout cas plus en phase avec les objectifs avoués de Jodorowsky à l’époque, ce chantre illuminé du baroque et du grotesque.


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- Article rédigé par : Franck Boulègue

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