Un texte signé Jérôme Pottier

USA - 1948 - Alfred L. Werker, Anthony Mann
Titres alternatifs : He Walked By Night
Interprètes : Richard Basehart, Scott Brady, Roy Roberts, Whit Bissell, James Cardwell, Jack Webb, Dorothy Adams

retrospective

Il Marchait La Nuit

Il existe des films avec de bien étranges destinées, à l’image de IL MARCHAIT LA NUIT. Cette série B, considérée comme anecdotique par la critique lors de sa sortie en 1948, réalisée par un quasi-inconnu (Alfred L. Werker) assisté d’une légende (Anthony Mann), est sortie de l’ombre par quelques sommités hexagonales du polar comme du cinéma. En effet, Bertrand Tavernier, Alain Corneau, Stéphane Bourgoin et François Guérif (excusez du peu) prennent la défense de ce film noir longtemps invisible, alertés qu’ils sont par la présence de Jack Webb au générique. Jack Webb, légende US du polar, qui interprète ici un expert scientifique policier (et oui, déjà !), est le créateur de la série mythique L.A. DRAGNET qu’il adapta, en personne, pour la télévision et le cinéma. Cette série policière est exceptionnelle à plus d’un titre, ne serait-ce que pour sa longévité (1954-2003), et se singularise par un grand réalisme à l’image de HE WALKED BY NIGHT qui se base sur un fait divers réel.

Davis Morgan est un cambrioleur bien étrange. Beau garçon, intelligent, il a tout pour réussir, sauf qu’en plus d’être un mythomane, il se révèle être un psychopathe. Lors d’une de ses errances nocturnes, il tue un agent de police. S’engage alors une poursuite entre la police, sur les dents, et ce malade mental atypique…

Ce qui frappe, à la première vision de cette pure série B made in 50’s, c’est l’absence de tout pathos et le rythme sec. Construit, comme beaucoup de petits budgets de l’époque, à l’aide d’une voix-off qui renforce l’aspect documentaire, HE WALKED BY NIGHT s’avère être un véritable petit bijou de nervosité. En effet, le nombre de plans est très conséquent pour un film de la fin des années 40. La variété des prises de vues est également très frappante, chaque personnage étant filmé sous un angle différent. Ainsi, le tueur, qui vit seul avec son chien dans une petite bicoque, est presque tout le temps filmé en contre-plongée, ce qui le rend d’autant plus effrayant. La caméra, maniée de main de maître, souligne avec astuce le jeu du chat et de la souris qui se noue entre Morgan et ses poursuivants, en particulier lors de l’assaut de sa maison par les forces de l’ordre ou encore lors de ses multiples disparitions dans les égouts. Le final, magistral, prend place en ces lieux putrides et voit l’interprète du tueur se déplacer tel un félin au milieu des rats et des gerbes d’eaux. Une conclusion que l’on attribue volontiers à Anthony Mann, tant le filmage, caméra à l’épaule, se révèle d’une élégance rare.

Le réalisateur mythique de quelques chefs d’œuvres du western comme WINCHESTER 73 (1950) est indiscutablement l’un des grands artisans de la réussite de IL MARCHAIT LA NUIT. Toutefois il ne faut pas minimiser le travail d’Alfred L. Werker qui, s’il n’est pas un génie, est un talentueux spécialiste de la série B. Il a plus particulièrement marqué les cinéphiles avec son SHERLOCK HOLMES (1939) interprété par Basil Rathbone et qui voit la première apparition de Moriarty. Il ne faut pas négliger, non plus, le travail de l’assistant réalisateur qui n’est autre qu’Howard W. Koch, un petit maître du polar qui signa quelques pépites comme LA RAFALE DE LA DERNIERE CHANCE (1959) et BADGE 373 (1973), deux des pelloches préférées de William Friedkin. Enfin, autre plasticien de légende avec plus de cent longs métrages à son actif, le directeur de la photographie, John Alton, magnifie ici chaque plan d’un noir et blanc sublimement contrasté.

Cette somme de talents, aidé par une interprétation incroyable de Richard Baseheart (acteur vedette chez Fuller pour l’excellent BAÏONNETTES AU CANON –1951) dans le rôle de Davis Morgan, accouche d’une bobine avant-gardiste. Construit comme la totalité des séries télé US d’aujourd’hui (avec même une séquence d’expertise scientifique), doté du rythme tranchant hérité de l’écriture d’un Dashiell Hammett, HE WALKED BY NIGHT détonne par rapport aux autres films noirs de l’époque beaucoup (trop ?) plus mélodramatiques. Cette série B efficace, particulièrement moderne et violente de par sa froideur, centrée sur la psychopathie de son principal protagoniste, n’a pas pris une ride. IL MARCHAIT LA NUIT obtint le prix du meilleur film policier au Festival de Locarno en 1949, et le moins que l’on puisse dire est que ce n’était pas usurpé pour cette pépite à redécouvrir de toute urgence !


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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