Un texte signé Philippe Chouvel

Italie, France - 1965 - Elio Petri
Titres alternatifs : La decima vittima
Interprètes : Marcello Mastroianni, Ursula Andress, Elsa Martinelli, Salvo Randone, Massima Serato

retrospective

La dixième victime

Dans un futur proche, les gouvernements des pays industrialisés ont instauré un jeu mortel de chasse à l’homme, dans lequel les participants sont tour à tour chasseur et gibier. Ce jeu, élaboré par le Ministère de la Grande Chasse, et supervisé méthodiquement par un ordinateur à Genève, a pour but d’éviter les conflits mondiaux en permettant à l’être humain de laisser libre cours à son instinct agressif, ce en toute légalité.
Les règles sont les suivantes. Les personnes qui s’inscrivent doivent remporter dix épreuves, avant de gagner le titre de décathlète et une récompense de un million de dollars. Avant cela, chaque participant endossera cinq fois le rôle de traqué, et tout autant celui de prédateur (chaque victoire rapportant des gains). En tant que chasseur, il connaît l’identité de sa victime, contrairement à cette dernière. Toutefois, le gibier a le droit de se défendre, et de tuer le chasseur. Mais s’il se trompe sur l’identité du chasseur et tue un innocent, il encourt une peine de trente ans de prison !
« LA DIXIEME VICTIME » a pour nom Marcello Polletti, un italien qui vient de remporter sa sixième manche en déployant beaucoup de ruse. Son bourreau risque d’être, cette fois, une femme aussi splendide que dangereuse : Caroline Meredith. Fourbe et vénale, la belle américaine se fait sponsoriser par des grandes marques afin d’améliorer ses gains. En l’occurrence, le PDG des thés Ming lui fait signer un contrat juteux. Pour l’honorer, Caroline va devoir attirer sa proie dans un lieu prestigieux de Rome, le Temple de Venus, situé près du Colisée, et la tuer implacablement devant les caméras de télévision.
Elio Petri, même s’il n’a réalisé qu’une quinzaine de longs métrages, n’en est pas moins un cinéaste majeur du cinéma italien. Il a marqué le 7ème Art de quelques œuvres foncièrement originales, parmi lesquelles « UN COIN TRANQUILLE A LA CAMPAGNE » et « ENQUETE SUR UN CITOYEN AU DESSUS DE TOUT SOUPCON ». Metteur en scène soucieux d’égratigner les institutions avec un sens aigu du cynisme, Elio Petri démontrait déjà en 1965, avec « LA DIXIEME VICTIME », un talent certain pour la satire. Produit par Carlo Ponti, le film est tiré d’une nouvelle de Robert Sheckley : « The Seventh Victim ». L’existence d’un film éponyme réalisé par Mark Robson en 1943 (et n’ayant donc aucun rapport avec la nouvelle de Sheckley) obligea Petri à modifier légèrement le titre. Qu’importe, le film n’en demeure pas moins une satire sociale corrosive sur le devenir de l’humanité. Le réalisateur a campé le décor dans un futur proche, mais « LA DIXIEME VICTIME » n’est pas à proprement parler une œuvre d’anticipation (comme « FAHRENHEIT 451 », par exemple, qui relève aussi de la dystopie). Non, le film d’Elio Petri est à considérer comme un film à l’ambiance « pop », très stylisée, dans un esprit « comics » où il ne manque que les bulles des bandes dessinées. Pour le reste, tout y est : les toilettes psychédéliques d’Ursula Andress et Elsa Martinelli, le look atypique de Marcello Mastroianni, blond peroxydé, et l’abondance des situations farfelues. Si le réalisateur ne se prive pas d’écorner aussi bien les politiques que les religieux, les médias et les défauts de l’être humain, le film n’en est pas moins léger dans la forme, accumulant les scènes absurdes. Un policier, par exemple, observe deux protagonistes se tirer dessus sans broncher. Quand l’un des deux est tué, il demande à vérifier les papiers du vainqueur, le félicite, mais lui dresse un procès-verbal car sa voiture est garée en stationnement interdit. Au début du film, on voit Ursula Andress se débarrasser de son bourreau en lui tirant dessus grâce à un soutien-gorge trafiqué ; alors qu’un peu plus tard, Marcello Mastroianni se défait de son adversaire en piégeant ses bottes avec un puissant explosif. Ces deux grands acteurs sont omniprésents durant tout le film, et se montrent dignes de leur réputation. Chacun dans leur registre, ils incarnent la classe, le charme et le talent. A leurs côtés, les amateurs de gialli reconnaîtront quelques acteurs ayant évolué dans le thriller transalpin, parmi lesquels la ravissante Elsa Martinelli (« LA MACHINATION », de Lucio Fulci), mais aussi Massimo Serato (« FRISSONS D’HORREUR », « TERREUR SUR LA LAGUNE »), Salvo Randone (« FOLIE MEURTRIERE »), ou encore Milo Quesada (« LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP »).
De par son sujet, « LA DIXIEME VICTIME » rappelle le fameux jeu du « Killer » pratiqué dans les milieux estudiantins (qui a donné lieu à des films comme « TAG : THE ASSASSINATION GAME »), et anticipe des films réputés tels « LE PRIX DU DANGER » et « RUNNING MAN » (sans oublier « LES GLADIATEURS DU FUTUR », de Joe D’Amato). Il s’agit là d’une œuvre autant caustique que distrayante, mélange habile d’étude de mœurs subtile et de farce grossière, qui plus est accompagnée d’une partition musicale fort agréable de Piero Piccioni. Et puis, voir danser Ursula Andress vêtue d’un bikini style Paco Rabanne est un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte. « LA DIXIEME VICTIME » a manqué de faire l’objet d’un remake voici une dizaine d’années, sous la houlette de John Mc Tiernan ; projet qui fut avorté. De toute façon, il ne paraissait guère possible de faire mieux qu’Elio Petri.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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