Un texte signé Geoffrey Morlet

Japon - 1983 - Kinji Fukasaku
Titres alternatifs : Satomi hakken-den
Interprètes : Sonny Chiba, Hiroyuki Sanada, Hiroko Yakushimaru, Mari Natsuki, Etsuko Shihomi

retrospective

La Légende des 8 Samouraïs

Au XVème siècle, le Clan Satomi est depuis des décennies victime d’une terrible malédiction infligée par la très méchante (et jolie) Tamazusa, une sorcière revenue d’entre les morts. Juste avant d’être envoyée ad patres par la lame de Yoshizane Satomi, elle avait promis que tous les descendants du Clan Satomi seraient condamnés à vivre comme des chiens errants…
La légende qui sert ici de point de départ au film serait particulièrement fastidieuse à résumer, mais ce qu’il faut savoir tout de même, c’est qu’à la suite de ce maléfice, on raconte que la princesse Fuse (fille de Yoshizane, le pourfendeur de la jolie Tamazusa, vous suivez toujours ?) fut obligée d’aller vivre avec le chien de la famille (Yatsufusa) là-haut dans les montagnes. C’est de cette princesse déchue que naîtront huit bâtards errants, les fameux huit samouraïs, non pas bien sûr après une quelconque fécondation contre nature (avec le chien donc) mais simplement après avoir libéré les huit perles de son chapelet bouddhique…
Si vous n’avez pas tout compris, c’est pas grave car cette touffue légende n’est pas centrale au film, elle serait même plutôt ornementale. Elle nous est d’ailleurs révélée sur le mode de la comptine enchantée, filmée comme il se doit avec un parchemin faiblement éclairé en guise d’illustration. En fait, pour résumer grossièrement mais fidèlement le film de Fukasaku, huit samouraïs et une cruche, qui n’est autre que la dernière héritière du trône, vont devoir affronter les forces du mal. Accessoirement, leur quête servira également à lever la malédiction vengeresse qui plane sur les Satomi. Pour cela, rien de plus simple, il leur suffit de renvoyer en enfer la sorcière Tamazusa et sa progéniture malfaisante, Motofuji, qui sont les deux vilains de cette histoire fabuleuse où le légendaire côtoie le grotesque pour notre plus grand plaisir. Bref, un merveilleux conte populaire comme les Italiens n’en font malheureusement plus.
Cette incursion de Kinji Fukasaku dans le chambara gothico-légendaire n’a rien d’hasardeuse quand on passe en revue la filmographie éclectique du bonhomme. Tout le monde ou presque le connaît aujourd’hui pour BATTLE ROYALE et sa suite. Mais cette reconnaissance sur le tard ne doit pas faire oublier ses polars des années 70, période durant laquelle il allait établir une nouvelle approche du film de yakusa, où le voyou destructeur et anarchiste allait supplanter (et trucider) le gangster paternaliste traditionel. Sa série des YAKUSA MODERNE (2 films) puis celle des COMBATS SANS CODE D’HONNEUR (5 films) auront profondément influencé toute l’industrie locale. Après lui, tout le monde voudra faire du polar réaliste ultraviolent. Aujourd’hui, des réalisateurs comme Quentin Tarantino, Paul Schrader, William Friedkin ou encore Takeshi Kitano se réclament plus ou moins légitimement du travail de Fukasaku. De quoi vous poser son homme… Alors oui, il y aura toujours ces maîtres respectés et respectables que sont les Kurosawa, Mizoguchi et Ozu pour tenir facilement le haut du pavé de la cinéphilie japonaise (et c’est amplement justifié). Seulement voilà, en matière de cinéma couillu, il n’y a qu’un maître, c’est Kinji Kukasaku.
LA LEGENDE DES HUIT SAMOURAÏS est un divertissement comme on en fait plus. Les intérieurs sont un régal pour les yeux. L’architecture de l’antre des méchants est d’inspiration gothique, mais ” d’inspiration ” seulement. Les décors en carton pâte sont tellement somptueux qu’on aurait envie d’y croquer à pleines dents. Dès qu’on se retrouve dans les entrailles du château, ils se font alors particulièrement clinquants (ah, l’imposant jacuzzi rempli d’un sang rouge ketchup). Les grottes et autres cavernes servant de refuge, où les personnages bivouaquent autour d’un feu pour faire le point sur le scénario en cours, font eux aussi délicieusement tocs… L’honneur est sauf, car rappelons quand même que Kinji Fukasaku ne fait pas du Z non plus. Et fort heureusement (pour lui mais surtout pour nous), ce dernier n’a pas omis de signaler à son chef op’ de ne pas trop en faire sur l’éclairage. D’où cette ambiance noire et lugubre à souhait, qui arrive à faire illusion sur le spectateur crédule ou de bon goût. C’est d’ailleurs l’une des grandes réussites de ce film récréatif : cette atmosphère diffuse et mystérieuse où tout semble possible (comme une vieille femme se transformant sous nos yeux fascinés en perce-oreille géant et en plastoc s’il-vous-plaît !).
La présence de deux pointures dans les rôles titres finit de rendre le film sympathique et même indispensable. Sonny Chiba, qu’on ne présente plus, et qui pour changer se fait discret. Ici, pas de miaulements à la Bruce Lee ni de grimaces risquées, pas plus que de cascades casse-cou, mais sa simple présence suffit déjà à nous combler d’aise. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’avec ce film, Sonny Chiba retrouve Fukasaku pour une énième fois, étant entendu que Chiba doit être à Fukasaku ce que de Niro est à Scorsese, soit un allié indéfectible. Alors en plein dans sa période chambara, le réalisateur venait de collaborer avec son ami Sonny dans THE SHOGUN’S SAMURAI (1978), film de sabre d’inspiration classique, puis SAMURAI REINCARNATION (1981) d’inspiration plus fantaisiste. Il incarne ici Dosetsu, le meneur de la bande des huit, un guerrier au look très ninja, le visage constamment dissimulé sous un voile, mais un ninja belge alors car tout de blanc vêtu… L’autre pointure est Hiroyuki Sanada, bon acteur de composition récemment apparu dans LE SAMOURAÏ DU CREPUSCULE, mais aussi immortalisé par le Club Dorothée à cause de la série culte SAN KU KAI. Il interprète ici Shinbei, l’un des huit samouraïs, un personnage dont l’attitude et le comportement font immanquablement penser à Toshirô Mifune dans LES SEPT SAMOURAÏS. Ce n’est du reste pas la seule citation du chef-d’œuvre de Kurosawa à relever dans ce film.
LA LEGENDE DES HUIT SAMOURAÏS ne peut certes pas prétendre au chef-d’oeuvre, mais ça n’est absolument pas un film indigne de Fukasaku, et puis quel divertissement ! On passera très vite sur les chansons des génériques, au risque d’être désagréable. Disons qu’ils contiennent la guimauve chantée la plus hallucinante qu’une oreille humaine ait pu subir. Ce sommet de ringardise fera au moins une bonne raison pour les sourds d’être ravis de leur sort. Tout le contraire de la composition originale, fidèle à l’esprit du film et que Fukasaku va pleinement rentabiliser à la moindre action un tant soit peu trépidante (un cheval au galop par exemple).
Incontestablement, Fukasaku nous laisse là un juste témoignage de bon goût (exception faite des parties chantées bien sûr), avec ce beau et grand film d’aventure, certes un brin kitschounet, qu’on appréciera avant tout comme un pur divertissement à l’ancienne pour toute la famille.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Geoffrey Morlet

- Ses films préférés :

Share via
Copy link