Un texte signé Philippe Delvaux

L'Etrange Festival 2016retrospective

Déluge

Les scientifiques du monde entier sont perplexes, la population inquiète : des phénomènes météorologiques inconnus annoncent tempêtes et tremblements de terre. Personne ne comprend ni n’est capable d’y faire face. Et l’inévitable se produit : une onde de choc parcourt la terre, renversant les villes comme fétus de paille, noyant les cités côtières et leurs habitants. C’est le déluge. Après le ressac, les rares survivants se retrouvent éparpillés. Un avocat a perdu sa femme Claire et ses deux enfants. La nageuse Helen est recueillie par deux vauriens qui entendent bien profiter de son corps. La voilà qui fuit et rencontre notre avocat. Mais parmi les survivants errent d’autres gredins.

1933, la grande crise de 1929 n’est pas encore digérée, Plus grande catastrophe économique des Etats-Unis, avec des répercussions mondiales, cette crise a jeté au chômage des millions de gens. Pas étonnant dans un tel contexte de voir apparaitre les prémisses du film catastrophe tel qu’illustré par DELUGE. On comprend d’autant plus la séquence voyant les survivants creuser les décombres d’une banque en ne sachant que faire des liasses d’argent devenues inutiles.

En outre, le film a été produit par une compagnie alors au bord de la faillite et qui espérait ainsi se refaire une santé financière. Le projet l’englouti au contraire. On peut imaginer que le scénario de DELUGE a résonné en écho aux dirigeants de la production, alors au bord de l’abîme.

Racheté par la RKO, DELUGE a très vite disparu des écrans pour ne plus réapparaitre. Le film sera considéré comme perdu, à l’exception d’une courte séquence de deux minutes exploitée par une compagnie de vente de stock-shots. Pourtant, les archives françaises du film disposaient d’une copie, complète de surcroit, redécouverte par l’infatigable Serge Bromberg, scannée et restaurée en 2016 et présentée en première mondiale à l’Etrange festival.

Et c’est un vrai bonheur de découvrir plus de quatre-vingt ans après sa première exploitation cet ancêtre des post apocalypse(s).

Dans ce proto-post-apo, la catastrophe ouvre le film, plutôt que de venir en climax final. Passé l’impressionnante séquence, le reste du métrage se concentrera sur la survie des rescapés. Si on n’atteint bien évidemment pas la violence des métrages contemporains, DELUGE n’occulte pour autant pas celle-ci, la femme devenant une proie pour les hommes, l’enjeu de la perpétuation de l’espèce.

L’avocat et Helen tentent de construire un nouveau foyer mais doivent faire face à une bande de vauriens. La fin du métrage glisse vers un plus classique triangle amoureux avec conflit moral à la clé. En filigrane, on retrouve aussi le positivisme d’une époque qui, en dépit des difficultés, croit encore aux lendemains qui chantent : la société se reconstruira, sur des bases plus saines et égalitaires – on retrouve ici les conséquences de la crise de 1929.

Pour l’anecdote, tourné alors que s’élabore seulement le code Hays, ce métrage au demeurant très chaste, montre notre nageuse Helen le ventre nu, là où le code prohibera bientôt l’exhibition du nombril.

Le fait de gloire de DELUGE est bien entendu sa longue séquence de fin du monde. Et on reste bluffé par les effets spéciaux de l’époque qui s’ils n’ont pas tous bien vieillis se montrent dans l’ensemble encore très largement efficaces et crédibles. Les immeubles s’effondrent, des vagues gigantesques emportent tout. Il faudra ensuite attendre une bonne vingtaine d’années pour que, dans la foulée de la bombe atomique, le Kaiju Eiga se mette lui aussi à saccager à grande échelle des villes pour la plus grande frayeur du public d’alors.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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