Un texte signé Philippe Chouvel, Jérôme Pottier

France - 2005 - Jean Rollin
Titres alternatifs : The Living Dead Girl
Interprètes : Françoise Blanchard, Marina Pierro, Mike Marshall, Carina Barone, Jean-Pierre Bouyxou, Alain Petit

retrospective

La Morte Vivante

Une fuite de déchets toxiques entreposés dans des sous-sols proches d’une crypte provoque la résurrection d’une jeune châtelaine, décédée deux ans auparavant.

Dès son réveil, elle tue deux ouvriers venus profaner sa sépulture puis quitte les souterrains pour retourner « vivre » dans son château. Après avoir erré dans les nombreuses pièces de l’édifice, à la recherche de ses souvenirs, elle réalise qu’elle aura besoin de sang humain pour subsister. Seule son amie d’enfance, avec qui elle avait conclu un pacte, sera en mesure de l’aider…
Nous sommes en 1982. Après une décennie de films fantastiques caractérisés par un apport de poésie et d’onirisme dans le gothique (ponctuée en beauté par LEVRES DE SANG en 1975), Jean Rollin, en plus de faire dans le porno alimentaire (toujours avec sa touche personnelle, à l’exemple de l’hommage à Louis Feuillade dans LA COMTESSE IXE-1976) multiplie les expérimentations cinématographiques avec Brigitte Lahaie. Ainsi, il enchaîne un remake agricole de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS (George A. Romero-1968), LES RAISINS DE LA MORT (1978), un pur chef-d’œuvre, FASCINATION (1979), un thriller high-tech ambitieux mais malheureusement fauché, LA NUIT DES TRAQUEES (1980), puis un road-movie étrange, LES ECHAPPEES (1981). Après ce film un peu à part dans son œuvre, Rollin prend conscience qu’il doit retourner vers un cinéma qui lui ressemble plus, susceptible de relancer sa carrière. Lionel Wallmann, ami de longue date, va l’aider à réaliser ce projet. A cette époque, Wallmann est en cheville avec une boite de production italienne. Cette dernière est disposée à fournir les capitaux nécessaires à Jean Rollin, garantissant même au réalisateur six semaines de tournage, un luxe auquel il n’est pas habitué.
Evidemment, en contrepartie, le partenaire financier verrait d’un bon œil la présence d’une vedette féminine transalpine. Rollin pense alors à Theresa Ann Savoy, une habituée des films bandulatoires de Tinto Brass (SALON KITTY en 1976, CALIGULA en 1979) qui, bien que d’origine anglaise, vit à Rome. Un rendez-vous est fixé, mais la rencontre avec l’actrice s’avère un véritable désastre, Theresa Ann Savoy refuse obstinément de tourner pour le réalisateur. Après ce fiasco, Wallmann suggère à Rollin un autre nom: Marina Pierro. Jean Rollin l’avait croisé l’année précédente au festival de Sitges où elle défendait le dernier film de Walerian Borowczyk : DOCTEUR JEKYLL ET LES FEMMES (1981). Cette fois, tout se déroule le mieux du monde, le courant passe entre la jeune femme (qui avoue être une grande fan des films d’horreur) et le metteur en scène. Marina Pierro partagera donc la tête d’affiche avec Françoise Blanchard.
Avec LA MORTE VIVANTE, Jean Rollin a, pour la première fois dans sa carrière, la possibilité de répéter tout le temps nécessaire avec ses acteurs avant d’effectuer le premier tour de manivelle. Même si ces derniers, dans les suppléments de cette édition DVD, avouent que Rollin leur laissent toute latitude et n’est pas dirigiste. L’essentiel du film se situe dans un château, toute l’équipe s’y installe pendant la durée du tournage. Ces conditions favorables expliquent, en partie, la réussite et le succès de ce film qui, en dehors des scènes gore, soulève des questions plus sérieuses. En effet, le personnage de Catherine, incarnant LA MORTE VIVANTE, est partagé entre le désir de revivre et la nécessité de retourner au néant. Plus elle devient consciente de son état et de ses actes, plus elle souhaite que tout finisse. En cela, le film combine avec bonheur l’horreur pure et la poésie, la marque de fabrique de Rollin. L’évolution de la psychologie et du comportement des deux héroïnes est particulièrement réussie, et l’on peut dire que le film est porté par l’interprétation de ses deux actrices principales.
Car, une fois de plus (cf. REQUIEM POUR UN VAMPIRE en 1971, LA NUIT DES TRAQUEES, etc. etc.), le réalisateur choisit de confier les rôles principaux à un duo féminin. Si, par le passé, les seconds rôles venaient épauler avec brio les héroïnes du film, notamment grâce aux habitués de l’auteur (Louise Dhour, Willy Braque, Paul Bisciglia…), dans LA MORTE VIVANTE il en va tout autrement. Là, le film repose entièrement sur les deux actrices : Françoise Blanchard et Marina Pierro.
Françoise Blanchard incarne le rôle titre. Elle est Catherine Valmont, dernière d’une lignée de nobles désormais éteinte depuis son décès voici deux ans. Elle repose dans la crypte située sous le château, et pour une raison inexpliquée, son enveloppe physique est demeurée intacte (bien que Françoise Blanchard avoue dans les bonus que, peut-être, Catherine n’était pas morte…). C’est une secousse tellurique qui va provoquer son retour à la vie suite à un incroyable concours de circonstances.
Beauté diaphane, aux longs cheveux blonds, Françoise Blanchard est une habituée du cinéma bis. Elle a côtoyé l’incontournable Jess Franco (LA CHUTE DE LA MAISON USHER en 1982, LES AMAZONES DU TEMPLE D’OR en 1984), tourné dans des péplums érotiques italiens (CALIGULA ET MESSALINE réalisé en 1982 par Antonio Passalia, LES AVENTURES SEXUELLES DE NERON ET POPPEE mis en scène la même année par le même tâcheron aidé de son copain super tâcheron: Bruno Mattei) et des comédies franchouillardes (L’EMIR PREFERE LES BLONDES du pornocrate Alain Payet-1983). Tout laisse supposer que Jean Rollin apprécie l’actrice puisqu’il l’engage deux ans plus tard pour LES TROTTOIRS DE BANGKOK. Les bonus de ce DVD font la part belle à Françoise Blanchard, toujours aussi charmante et très drôle. Elle fait même la présentation et le commentaire audio du film puis revient sur sa carrière (avec un hilarant portrait de Jésus Franco). C’est le moindre hommage que l’on puisse rendre à l’une de nos rares « scream-queen » nationales. Elle avoue également que, lors du tournage du final, elle a réellement eu une crise de tétanie d’où son interprétation hallucinée. Elle nous révèle aussi avoir blessé tous ses partenaires lors de ce film… Quelle furie cette morte vivante !
L’actrice semble avoir conservé un bon souvenir du film, et elle confirme ses propos recueillis à l’époque dans le magazine Starfix n°5 de juin 1983: « J’ai tout de suite eu un très bon contact avec Jean Rollin. J’aimais l’histoire et le rôle. Cette fille fragile victime d’elle-même, tour à tour tendre et cruelle. Jean croyait que je refuserais à cause de l’absence de dialogues, mais c’est ce qui m’attirait justement: faire passer un maximum de sentiments avec un minimum d’expressions, laisser affleurer toutes sortes de nuances, de détresses… J’ai bien apprécié la façon romantique, presque anachronique, dont Rollin filme la femme. »
Aux côtés de Françoise Blanchard, Marina Pierro interprète Hélène, l’amie d’enfance. Plusieurs flash-back nous montrent les liens étroits unissant les deux jeunes femmes depuis qu’elles sont petites filles, une complicité parachevée par un pacte de sang. Et de sang, il en est beaucoup question. Fidèle à son serment, Hélène commence par dissimuler les cadavres laissés çà et là par Catherine dans les pièces du château; puis elle lui offre son propre sang, n’hésitant pas à s’entailler le bras, un acte qui lui permet ainsi de renouer avec le fameux serment. Enfin, désemparée devant la souffrance de Catherine, elle n’hésite pas à jouer les rabatteuses et à attirer les futures victimes au château. Elle va devenir plus sanguinaire encore que son amie, dans le seul but de la sauver.
La féline et magnétique Marina Pierro ne tournera pas d’autres films avec Jean Rollin. En fait, elle restera l’actrice attitrée de Walerian Borowczyk (qui vient de décéder en février 2006), puisqu’on la retrouve dans cinq de ses films majeurs : INTERIEUR D’UN COUVENT en 1977, LES HEROINES DU MAL en 1979, DOCTEUR JEKYLL ET LES FEMMES en 1981, L’ART D’AIMER en 1983 et LA CEREMONIE D’AMOUR en 1988.
On retrouve pareillement l’excellent Jean-Pierre Bouyxou qui, dans les bonus de cette édition DVD, fournit une prestation impressionnante (il a même le droit à un gros bisou du sieur Rollin). Il est, sans aucun doute, celui qui parle le mieux de Jean Rollin. Le compositeur de la bande originale, Philippe D’Aram, s’exprime aussi… c’est assez cocasse de voir comment on peut travailler à la fois avec Jean Rollin et François Dupeyron (réalisateur très conventionnel de, entre autres, LA CHAMBRE DES OFFICIERS en 2001) !
Avec LA MORTE VIVANTE, Jean Rollin retrouve ce savoir-faire, tant apprécié de ses partisans (et haï par ses détracteurs !): un savant mélange de poésie, d’érotisme et de fantastique. S’ajoute ici l’horreur, avec son lot de scènes gore, qui remplace le gothique des seventies (on peut d’ailleurs le regretter). Maquillages et effets spéciaux ont été confiés à Benoît Lestang (qui, malheureusement, ne figure pas dans les suppléments), qui sévira quelques années plus tard, en 1987, sur le kitschissime LA REVANCHE DES MORTES VIVANTES de Pierre B. Rheinard.
Le film alterne donc les séquences d’horreur pure, où l’hémoglobine coule à flots, et de très belles scènes, pleines d’émotion et de sensibilité. Parmi elles, celle où Catherine, nue, les doigts couverts de sang, joue un air au piano. Elle a à la fois le regard vide d’une morte et celui triste d’une vivante. Une autre scène marquante montre Hélène qui fait la toilette intime de son amie, sur un balcon, accompagnée par le hululement des chouettes. Enfin, difficile de rester insensible devant la détresse de Catherine qui, à bout de force, tente en vain de se noyer dans l’eau des douves. Devant la performance des deux actrices, on oubliera très vite la médiocrité de quelques seconds rôles, notamment un horripilant couple de touristes américains, dont le jeu d’acteurs rappelle les pires sitcoms. D’autant plus que Rollin se permet quelques délires formels à l’image de ce raccord dans l’axe lorsque nos deux héroïnes se regardent dans un miroir: hallucinant !
En résumé, LA MORTE VIVANTE réconcilie tous les fans de Rollin, qui espèrent un retour en force du réalisateur en ce début des années quatre-vingt. Malheureusement, des problèmes d’argent et de santé l’empêcheront de mener à bien ses nombreux projets.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Philippe Chouvel, Jérôme Pottier

- Ses films préférés :

Share via
Copy link