Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1977 - Pasquale Festa-Campanile
Titres alternatifs : Autostop rosso sangue, Hitch -hike
Interprètes : Franco Nero, Corinne Cléry, David Hess

L'Etrange Festival - édition 2009retrospective

La proie de l’auto stop

Le nom de Pasquale Festa-Campanile est associé au genre de la comédie à l’italienne « classique » des années 60 et 70 où grivoiserie, libertinage et étude de mœurs s’entremêlent de façon souvent harmonieuse (MA FEMME EST UN VIOLON, 1971). Scénariste (notamment pour Luchino Visconti) et écrivain (un de ses derniers films, LA FILLE DE TRIESTE, 1983, est une adaptation de son propre roman), ses œuvres en tant que réalisateur sont plutôt méconnues en dehors de l’Italie mais offrent presque toujours une trame érotique ne serait-ce que la présence des actrices avec lesquelles il a tourné : Lilli Carati, Edwige Fenech, Laura Antonelli, Ornella Muti, Barbara Bouchet, Agostina Belli… LA PROIE DE L’AUTO STOP est le seul « thriller » de la filmographie de Pasquale Festa-Campanile, tourné à une période où plusieurs réalisateurs italiens vont s’essayer, de façon opportuniste, au sous-genre du «survival/ rape and revenge » initié par le succès du film de Wes Craven LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, 1972. Les démarquages italiens les plus fameux se nomment RABID DOGS de Mario Bava (1974) ou LA BETE TUE DE SANG FROID de Aldo Lado (1975).
Walter Mancini (Franco Nero) et son épouse Eve (Corinne Cléry) sillonnent les routes de Californie en caravane ; il est un journaliste raté et alcoolique, elle ne l’aime plus. Le couple prend à bord un automobiliste en panne, Adam Konitz (David Hess) qui se révèle être un dangereux malfaiteur qui a tôt fait de menacer les deux touristes italiens avec une arme à feu. Les deux otages n’ont d’autre solution que d’obéir, d’autant plus qu’ils apprennent que Konitz est un psychopathe récemment évadé de prison…
LA PROIE DE L’AUTO STOP se caractérise tout d’abord par son aspect hybride, croisement de plusieurs sous-genres du cinéma américain tels que le « road-movie », « le survival » et le « rape and revenge ». Cette hybridation est flagrante, jusque dans le choix de la topographie faussement américaine puisque les routes désertes et montagneuses de la Californie du film sont en fait situées en Italie ! Cette habile transposition permet au réalisateur d’orchestrer une variation assez personnelle sur des thèmes et des codes issus d’une contre-culture cinématographique à priori très éloignée de l’esprit européen. Reprenant à son compte tous les clichés des sous-genres précités (les espaces sauvages et hostiles, le fantasme de viol, l’instinct de mort et de survie…), Pasquale Festa-Campanile les nourrit d’un sous-texte plus « européen » où les rapports de force entre les trois protagonistes s’ouvrent sur une réflexion sur la « guerre des sexes ». Le huis clos forcé dans la voiture n’est plus un simple espace de tension (comment va réagir le tueur armé avec ses deux otages ?) mais un lieu où les caractères vont se révéler de façon inattendue. En effet, les deux hommes en arrivent presque à sympathiser dans une espèce de fraternité machiste où la femme n’est qu’un objet ou une « pute » et où la relation homme/femme est nécessairement basée sur un rapport de domination. De même, le réalisateur s’éloigne de ses modèles américains en refusant de traiter de manière manichéenne ses personnages qui semblent plutôt sortis d’un western italien. Le sympathique raté joué par Franco Nero (DJANGO de Sergio Corbucci, 1966) se mue en être veule, cynique et lâche tandis que le patibulaire Konitz (David Hess, le chef de bande de LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, ce n’est pas un hasard…) fait preuve d’humour, d’humanité et pose un regard extérieur critique sur le couple en crise. Le personnage féminin joué par la française Corinne Cléry (HISTOIRE D’O de Just Jaeckin, 1975, ce n’est pas un hasard non plus !) est le seul auquel on puisse s’identifier : cette femme bafouée et faussement résignée est clairement mise sur un piédestal par le réalisateur. Si LA PROIE DE L’AUTO STOP privilégie les ruptures de ton (l’humour est aussi présent qu’inattendu, la musique d’Ennio Moriconne à base de banjo et de chansons « hippies » crée un contraste avec la violence de la situation,…), son scénario est très bien construit et riche en rebondissements (l’arrivée des anciens complices de Konitz, la vengeance inattendue de l’épouse,…). Jouant jusqu’au bout sur des effets de tension et de suspense qui implosent finalement lors d’une bouleversante scène de viol qui évite tout aspect racoleur ou trop graphique, le film s’achève sur une conclusion aussi cruelle qu’imprévisible, bien éloignée encore de la tradition américaine. Ouvertement influencé par tout un pan du cinéma d’exploitation US, LA PROIE DE L’AUTO STOP en constitue une passionnante relecture personnelle ; un peu oublié, le film est à redécouvrir d’autant plus qu’il préfigure (juste retour des choses) un certain HITCHER (Robert Harmon, 1986) au thème principal étrangement similaire.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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