Un texte signé Patryck Ficini

Etats-Unis - 1994 - Laymon Richard
Titres alternatifs : In the Dark

chroniques-infernales

Le Jeu

Jusqu’où peut-on aller pour de l’argent ? Que peut-on accepter pour quelques dollars de plus, ou plutôt pour un joli paquet de dollars ? En participant à un jeu dirigé par un mystérieux inconnu, Jane, une bibliothécaire à la vie paisible et solitaire, va risquer gros. Par exemple, sa dignité, sa vie et celle de ceux qu’elle apprendra à aimer.
Richard Laymon fut sans doute l’un des plus grands auteurs américains d’horreur, avec Jack Ketchum, publiés dans la collection Gore du Fleuve Noir. Les adaptations de ses romans avaient beau être généralement tronquées pour des raisons de calibrage (Gore, c’était 150 pages, et c’est tout), elles n’en marquèrent pas moins les esprits des fans. Parfois décrit comme un splatterpunk, parfois comparé à une sorte de Stephen King de l’extrême, Richard Laymon s’est vu offrir d’autres chances de conquérir le lectorat français par la suite : Rivages, Lefrancq puis Bragelonne/Milady s’y sont mis tour à tour avec des traductions sans doute plus respectueuses du matériau original.
LE JEU, vendu aujourd’hui comme un simple thriller, est en fait un redoutable bouquin horrifique. Ecrit en 1994, précurseur si l’on veut des SAW ou même du PUZZLE de Frank Thilliez, ce roman démarre assez lentement, les premières épreuves imposées à Jane n’ayant rien de compliqué ou de dégradant. C’est pour elle une façon de se faire beaucoup d’argent très rapidement. Le parallèle avec une certaine forme de prostitution est évident. Jane devient rapidement accro au Jeu et surtout à l’argent qui coule à flots, vaguement fascinée/émoustillée par son Maître d’œuvre, et se révèle bientôt prête à tout pour gagner encore plus. Sans porter de jugement de valeur, on pense aussi aux actrices de pornos qui vont toujours plus loin dans l’extrême pour s’enrichir, mais aussi, pourquoi pas, aux candidats de jeux télé douteux prêts à toutes les compromissions. Ou encore aux employés qui multiplient les courbettes devant leur patron pour promotion et augmentation. A chacun sa métaphore.
Inutile de préciser la richesse thématique d’un tel roman lorsqu’on voit tout ce qui nous vient à l’esprit à sa lecture attentive ! Autant pour la large frange du grand public qui ne voit en l’horreur qu’un genre mineur, vide de sens et seulement destiné à procurer du frisson à bas prix…
LE JEU faisant 562 pages, on se doute que Laymon prend son temps pour installer son héroïne et son ambiance de plus en plus perverse et malsaine. Comme nombre d’auteurs post-Stephen King, il en fait même un peu trop dans l’exercice imposé de la description d’une vie banale, monotone et ennuyeuse qui plonge peu à peu dans une autre dimension. La dimension de l’horreur. La rencontre et la relation romantique entre Jane et un chevalier servant providentiel, aussi peu intéressant que possible, est même assez pénible, quelle que soit sa justification dramatique finale.
En revanche, Jane est un personnage intéressant par sa cupidité. On la découvre prête à presque tout pour l’argent. Presque. Lorsque le roman bascule dans l’horreur pure (au chapitre 32, pas avant !), et là Laymon met le paquet, Jane doit faire des choix radicaux. Savoir de quel côté elle est, choisir entre une forme de bien et le mal absolu. Ce qui est passionnant.
Le Maître du Jeu énigmatique entretient avec elle une relation maître/soumise. Il la désigne comme sa servante, lui donne des ordres sans discussion possible, dévoile son intimité à plusieurs reprises, et l’offre même en pâture à un parfait inconnu. Tout cela, AVEC son consentement, si l’on veut, puisque la cupidité de Jane la pousse à tout accepter : se laisser caresser pendant son sommeil ou encore se coucher à demi nue dans un cercueil !
Le look du Maître évoque l’univers SM le plus barkerien. On pense aussi à un autre joueur célèbre du film d’horreur, THE COLLECTOR.
Le final westernien dans une église abandonnée convaincra les moins enthousiastes. Lorsque l’heure du face à face et des explications aura enfin sonnée…
Jane résiste à tout. Tout d’abord par appât du gain, ensuite pour sauver sa peau. A mesure que le roman progresse, la bibliothécaire un peu empâtée et complexée, prisonnière d’un quotidien peu excitant, se muscle, se fait plus belle pour satisfaire aux exigences de son maître/maquereau, tout en y trouvant son compte d’une certaine façon.
Jane devient une survivante qui déploie des ressources inattendues pour triompher du Jeu. Au-delà de la morale.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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