Un texte signé Angélique Boloré

Espagne - 2004 - Francisco Plaza
Titres alternatifs : Rosamanta
Interprètes : ulian Sands, Elsa Pataky, John Sharian, Ivana Baquero, David Gant, Carlos Reig, Gary Piquer, Luna McGill, Laura Mañá, Maru Valdivielso…

review

L’Enfer des Loups

Là où le loup-garou est terriblement humain (LA NUIT DU LOUP-GAROU), organisé (HURLEMENTS), exterminateur (DOG SOLDIERS) ou encore extraordinairement puissant (VAN HELSING), il était peut-être difficile pour un nouveau film traitant de ce thème ô combien rabattu de ne pas être une énième et pâle version. L’ENFER DES LOUPS s’y est frotté et on peut dire qu’il a su trouver sa place dans la longue filmographie de cette figure de proue du bestiaire du Fantastique. Sans renouveler le genre, il a su exploiter l’imagerie classique du lycanthrope tout en y instillant une vision différente.
1851, La Galice. Dans cette Espagne rurale du XIXème siècle, les loups sont les habitants redoutés des bois. Cette année-là, les victimes sont trop nombreuses, trop singulièrement mutilées pour que les loups faméliques hantant la contrée en soient les seuls responsables. Rapidement, les villageois redoutent la présence d’un loup-garou. Les découvertes macabres se succèdent, la police reste impuissante devant un adversaire apparemment nouveau. Les superstitions se mêlent à une vision révolutionnaire du meurtrier et de ses mobiles. Le loup-garou de Illariz… homme ou bête ?
A cette question, on pourrait répondre les deux, tout en ne parlant pas bien sûr du forgeron qui se couvre de poils à la nuit tombée. L’ENFER DES LOUPS utilise en filigrane à travers divers éléments (des sons, des cris, des visions oniriques) l’imagerie fantastique liée au loup-garou. Même si son propos est autre, il ne renie pas ce pan du mythe qui est fait de peur, de nuit sombre, de longs hurlements dans les bois, de corps mutilés et sanglants. Il s’en sert comme écrin au pendant fantastique de son histoire. Les spectateurs sont donc en terrain connu. Mais cela sera pour mieux les surprendre.
En effet, et c’est ici que réside l’intérêt nouveau du film, il marie à ce thème usé jusqu’à la moelle un développement scientifique et médical. L’adversaire du loup-garou de Illariz n’est pas la populace terrorisée et furieuse. Cette dernière se contente d’être sa pâture, se cantonne au rôle de mouton passif. Non, le véritable adversaire du monstre, c’est la science, incarnée par un médecin révolutionnaire. Nous faisons sa connaissance alors qu’il intervient dans un procès au début du film. Le meurtrier n’est pas abject, le meurtrier est nécrophile. Le tueur sanguinaire d’Illariz n’est pas un monstre, il souffre de lycanthropie.
Le film fait référence à diverses maladies mentales. Pour les illustrer, il utilise l’accusé nécrophile du début ainsi que l’acolyte du loup-garou qui, par culpabilité morale, transformerait ses souvenirs. Ces pathologies déclinent de manière nouvelle le comportement humain et la folie. Elles transportent alors le mythe dans un autre contexte. En allant même plus loin, on pourrait dire qu’elles assoient le mythe dans l’Histoire. Pour le spectateur, il devient certain que le mythe du loup-garou n’est pas qu’une invention fantasmagorique destinée à effrayer les enfants mais qu’il fait partie de l’histoire de l’homme, qu’il trouve son origine dans un fait, des circonstances crédibles. Devenant explicable, le loup-garou devient du même coup réel.
En sus des hommes, les décors jouent également leur rôle symbolique dans la mise en scène de ce propos. Tout ce qui a trait au mythe se déroule dans les bois touffus, dans cette Espagne rurale avec ses maisons en pierres isolées, au milieu des champs et des chè-vres. Toutes les scènes qui apportent des éléments scientifiques ou rationnels ont comme théâtre un tribunal, une morgue, un commissariat. Ces deux types de décors opposent ainsi les deux aspects de la lycanthropie, mais sans se dénier l’un l’autre. Le réalisateur ne souhaitait certainement pas imposer une vision par rapport à une autre. Ainsi, le médecin si visionnaire et finalement si humaniste utilise des méthodes et des instruments totalement fantaisistes et extravagants.
Le soin apporté dans L’ENFER DES LOUPS se voit dans le propos mais également dans les images. La mise en scène est extrêmement soignée, la photographie magnifique. Il faut bien sûr dire que rendre hommage à de si beaux décors naturels prend du temps. Néanmoins, tant de recherche esthétique ralentit considérablement le film. Le jeu des acteurs, également très recherché renforce cette impression lisse et contemplative. De même, les cadavres présentent des blessures atroces, témoignent d’une sauvagerie innommable. Ils devraient soulever le cœur du spectateur, le faire entrer de plein pied dans la nauséabonde atrocité du meurtre. Eh bien non. Les corps terriblement mutilés et décomposés sont tellement magnifiques qu’ils créent une distance entre nos viscères et l’abomination.
Par contre, violent, L’ENFER DES LOUPS, l’est incontestablement. Les meurtres sont rarement montrés. Ce n’est donc pas l’image qui heurte le spectateur. C’est plutôt de savoir que la bête sauvage s’introduit dans l’intimité de ses victimes, jouit de leur douce confiance. Et comme si ces inconcevables violations ne suffisaient pas, la bête n’hésite aucunement à tuer des enfants. L’ENFER DES LOUPS n’est pas violent parce qu’il tue mais parce qu’il tue sauvagement les plus innocentes des victimes. Cette absence de concession est trop rare dans le cinéma contemporain pour ne pas être très remarquée. De plus ce type de victime enfantine est absent du mythe du loup-garou. Il commet des atrocités, mais pas celle-là. Ici, on rejoint la volonté du film d’être crédible, d’être ancré dans une continuité humaine et historique.
Dans ce contexte, le film réserve une autre surprise. Alors que le loup-garou est généralement une abomination, une erreur de la nature condamnée sans réserve par les hommes à cause de sa bestialité, il est ici jugé. Jugé et condamné, naturellement, mais il ne s’agit pas des lynchages populaires ou des rédemptions meurtrières. Un tribunal, le représentant de la société, lui attribue une peine à la hauteur des crimes commis mais il a écouté et entendu le loup-garou.
Pour toutes ces raisons, L’ENFER DES LOUPS est différent. En effet, là où Paul Naschy était la victime malheureuse d’une malédiction et abhorrait sa condition, le loup-garou de Francisco Plaza, a contrario, la sublime. Peu importe ce qu’il fait, peu importe qu’il soit un homme ou une bête. Ce qui est important, c’est qu’il ait un nom.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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