Un texte signé Angélique Boloré

Italie, France - 1973 - Domenico Paolella
Titres alternatifs : La Monache di Sant'Arcangelo
Interprètes : Luc Merenda, Ornella Mutti, Martine Brochard

retrospective

Les Religieuses du Saint Archange

LES RELIGIEUSES DE SAINT-ARCHANGE est un film qui vous laisse un souvenir impérissable. Loin des simples films de sexploitation du genre, il se démarque par son savant dosage entre un érotisme cru et sans artifices vulgaires, une mise en valeur subtile des décors, des personnages complets et surtout par un propos hautement intéressant. Ce que le film raconte n’est pas forcément original, mais ce qui est simplement souligné dans d’autres films, est ici totalement exploité. De plus, le propos n’est ni pompeux, ni ridicule, il est plutôt le noeux central de l’intrigue et des motivations humaines, simplement exposé comme un fait, sans jugement, hasardeux et bien souvent extrêmistes dans d’autres films.
En effet, le film retrace l’histoire d’une religieuse, mère Julia, et d’un couvent, celui de Saint-Archange. Cette nonne, ambitieuse, parvient avec force intrigues à accéder au poste de mère supérieure du couvent. Ses méfaits sont découverts par le conseiller de l’archevèque, homme pieux et épris de justice. Quand il décide d’intenter un procès contre mère Julia et les autres religieuses peu inclines à respecter leurs voeux, il réalise qu’il a lâché la monstrueuse machine qu’est l’Inquisition, réclamant du sang, même au prix de femmes, peut-être finalement coupables mais pas responsables.
Saint-Archange est un couvent, sûrement comme tous les autres. Il abrite des novices, des religieuses, une mère supérieure. Tout ce petit monde féminin est régi par les lois de la vie conventuelle. Ce couvent et ces lois sont elles-mêmes contrôlées par le Cardinal d’Arezo et son conseiller, l’archevèque Carafa qui est son lien direct avec les affaires courantes (il est possible que je me trompe dans les titres religieux de ces messieurs, mais je suis peu au fait de ces choses, que ceux que mon inculture peut froisser m’en excusent).
Ainsi, la vieille mère supérieure du couvent en question est très malade, et le Cardinal doit procéder à l’élection de sa remplaçante. L’élection est certainement, dans cette procedure, un grand mot. En effet, les questions d’argent semblent plus conditionner cette nomination que le mérite personnel. Trois religieuses postulent pour accèder à cette illustre fonction : mère Julia, mère Carmela et mère Lavinia. Les prétendantes sont appuyées par leurs familles ou personnages influants et leur nomination dépendra de la somme versée à l’Église. Mère Julia, animée d’une dévorante ambition s’allie à Don Carlos Rigera, un gentilhomme détestable mais qui lui assurera la victoire. Les deux autres religieuses ont apparemment plus de chances d’être désignées qu’elle, l’une parce que sa famille est extrêmement influente, l’autre parce qu’elle est la plus âgée. Aussi, afin de se débarasser au plus vite de ses rivales, mère Julia empoisonne mère Lavinia, sans la tuer, bien sûr. Etre simplement malade ôte toute chance d’être choisie. Pour l’autre, elle l’évince, en voulant dénoncer ses frasques amoureuses au sein du couvent avec son amant, Pietro Lanchani. Elle se retrouve donc seule en lisse et est désignée.
Malheureusement pour elle, son règne est de courte durée. Alerté par des lettres anonymes, envoyées par soeur Ciara, amoureuse délaissée de Julia, Carafa fait une inspection surprise au couvent. Face aux preuves ainsi accumulées, il intente un procès contre soeur Ciara pour amour contre-nature et de surcroît totalement interdit. Mère Carmela est, quant à elle jugée pour relations charnelles avec un homme et mère Julia est la seule condamnée à mort pour conduite criminelle. Avant de boire le poison, elle exprime tout haut et de manière concise le propos du film entier.
Les familles envoient dans les couvents leurs filles, soit pour concentrer les richesses sur l’aîné, soit parce qu’elles refusent les mariages qu’on leur impose, ou encore pour ainsi avoir un levier politique qui les aidera à accroître leurs richesses et leur puissance. L’Église apparaît ainsi en plein jour comme une entité politique et non pas comme ce qu’elle devrait être. C’est justement ça qui écoeure Carafa. Il veut condamner ces femmes qui voulaient devenir abbesse, parce que cette fonction représente le pouvoir dans les couvents. Mère Carmella aurait ainsi eu les clefs et aurait pu ouvrir les portes à son amant. Carafa dénonce alors les vices de ses trois femmes, leur amour qui s’est détourné de Dieu, leurs intrigues. Il pense juger ces femmes mais à la fin du procès, il comprend que ces femmes ont été obligées de devenir religieuses, et qu’elles n’ont fait que copier une Église qui n’est qu’elle-même quête de pouvoir. Il veut condamner mère Julia à la prison à perpétuité et alors, il faudrait abolir sa nomination et de ce fait, restituer la donation de Don Carlos. Mais cela se révèle hors de question pour l’Église qui la consacre abbesse, la condamne à mort et garde la donation. Tout n’est que chantage, meurtres et perversion. Pour avoir aidé Julia à devenir abbesse, Dan Carlos attend qu’elle le nomme pour exploiter des mines sur les terres du couvent, et qu’il lui donne sa jeune nièce novice.
Ce film, dans son traitement, dans ses regards en coin, dans les expressions du visage des acteurs souligne à la perfection tout cela. Les acteurs sont merveilleux. Carafa, dans son désir de faire justice peut apparaître comme antipathique, mais il ne l’est nullement. Il n’y a aucune malignité dans ses actes. Il est simplement trop naïf et trop intègre. Il ne pensait pas que le Cardinal utiliserait la torture pour qu’elles avouent. Le cardinal, a réellement la tête de l’emploi, tout comme Don Carlos d’ailleurs. L’un a le regard et les bajous molles du tortionnaire et l’autre le vice imprimé sur ses traits. Les amours entre Julia et l’une des novices sont discrètes et belles. La jalousie et la passion de soeur Ciara pour cette même Julia sont touchantes et empreintes de vérité. Tout est beau et loin de la vulgarité habituelle de ce genre de films. Parfois, cela frise la niaiserie, comme la nièce de Julia et son amant Fernando que les familles respectives ont tenté de séparer en enfermant Isabelle dans le couvent. Mais ils parviennent à se voir, chacun de chaque côté d’une double grille d’enceinte. A leur première entrevue, ils exécutent ensemble une sorte de ballet, avancant vers un endroit moins large qui leur permettre de se toucher les mains, échangeant des regards éloquants et des paroles d’amour. C’est extrêmement beau, timide, empreinté, enfièvré. Souligné par une musique douce, tout cela est touchant à croquer !
Dans le même style, le réalisateur soigne quelques plans comme celui d’une chapelle dans la lumière rasante du matin par exemple. Il nous fait aussi assister à la “consécration” des novices qui quittent leur robe de bure grossière pour revêtir de jolies robes de religieuses bleues. Les filles se présentent devant Monseigneur d’Arezo aux gants d’un rouge sang. On leur coupe les cheveux très court, puis on leur met un voile et une couronne de couleur blanche, ensuite il leur passe un anneau d’or au doigt. Le soucis de crédibilité historique est très louable, et au moins, ça change.
Dans un registre moins drôle, les scènes de tortures, elles aussi sont très soignées. Plusieurs plans flattent l’oeil par leur beauté. Lumière rasante perçant une sorte de brouillard de poussière, des corps luisants, nus, à côtés des juges et de Carafa, tout de noir vétus et du Cardinal, imposant dans son immense robe rouge. A signaler tout de même quelques scènes érotiques, une jambe, un sein. Pas de folie furieuse comme dans d’autres films, mais c’est justement ce dosage savant, cette sobriété, cette pudeur même qui fait tout le prix de ce film qui est, je trouve, l’un des meilleurs du genre.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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