Un texte signé Sylvain Pasdeloup

Espagne - 1976 - Narciso Ibañez Serrador
Titres alternatifs : Quien puede matar a un niño?, Island of the Damned, Who Can Kill a Child?
Interprètes : Lewis Fiander,Prunella Ransome,Antonio Iranzo,Miguel Narros,Luis Ciges,

retrospective

Les Révoltés de l’an 2000

Parcours étonnant que celui de l’espagnol Narciso Ibañez Serrador. Créateur des HISTORIAS PARA NO DORMIR, en quelque sorte LA QUATRIEME DIMENSION espagnole, une série d’horreur culte qui aura étalé sa production de 1965 à 1982, et véritable pape télévisuel du genre fantastique (tout de même une bonne vingtaine de films TV sans compter les séries télé) Serrador a seulement, jusqu’à présent, réalisé deux films pour le cinéma, LA RESIDENCE en 1969 WHO CAN KILL A CHILD ? en 1976. Deux long-métrages aussi différents que possible et autant d’opus qui ont durablement influencé le cinéma hispanique mais aussi européen.
Deux corps mutilés sont retrouvés aux abords de la plage de Benavis, une station balnéaire surfréquentée. Serrador nous présente alors un couple de touristes britanniques en vacance, souhaitant se rendre sur une île paradisiaque, Almanzora, qui se trouve au large de la station et que Tom connaît déjà. Ils louent donc un bateau et s’y rendent tous les deux ou plutôt tous les trois puisqu’ Evelyn est enceinte de 6 mois. Là-bas ils découvrent un village totalement désert et abandonné, à l’exception d’une bande d’enfants silencieux et hostiles. C’est là que va commencer le cauchemar quand ils comprendront que les enfants, sous l’emprise d’une force mystérieuse, massacrent leurs aînés et ont pris le contrôle de l’île.
Ils vont alors devoir combattre leurs démons s’ils veulent sortir vivants d’Almanzora et répondre à la question titre : Qui peut tuer un enfant ?
WHO CAN KILL A CHILD ? est donc un film au sujet extrêmement subversif qui démarre pied au plancher par un générique éprouvant de près de 8 minutes nous présentant des images d’enfants par temps de guerre, en proie à la famine, abandonnés et au seuil de la mort. Ces images d’archive créent d’emblée un malaise ambiant et permettent au spectateur de comprendre qu’on aura ici affaire à un métrage tout sauf léger.
Narciso Ibañez Serrador place le début de son film à Benavis, une petite ville médiévale surpeuplée en période de fête. Ces premières minutes permettent au spectateur de se familiariser avec Tom et Evelyn, un couple Anglais visiblement amoureux l’un de l’autre, dans l’attente d’un heureux événement, eux qui ont déjà deux enfants.
Ils louent une barque pour se rendre à Almanzora où, d’emblée, ils se retrouvent confrontés à une bande d’enfants silencieux et visiblement hostiles à leur présence. Ils ne trouveront par la suite aucune trace d’adultes dans le village, baigné dans un visuel qui n’est pas sans rappeler le Western Spaghetti de la belle époque, auquel même le déroulement de l’histoire fait parfois penser (des étrangers arrivent dans un lieu hostile et finissent par en affronter les habitants). En tous les cas on ne trouve ici aucun poncif proche à l’univers d’un film dit d’horreur. Ici très peu de scène de nuit, la majeure partie du film se déroulant dans un soleil torride donnant au film une bonne partie de son réalisme et presque de sa « normalité », Narciso Ibañez Serrador parvenant à rendre tout à fait crédible son scénario.
Dans un même souci de réalisme les effets sanglants sont très peu présents ici et servent avant tout à appuyer l’horreur des situations.
Pas de gratuité donc, ni d’effets de style, WHO CAN KILL A CHILD ? est en fait un pur film cérébral, empruntant le registre du cinéma de genre seulement pour appuyer son propos avec plus de force.
N’oublions pas qu’en 1976, l’Espagne sortait tout juste du règne de Franco et pansait à peine ses blessures. Serrador fait ici des enfants les premières victimes de la guerre. Des spectateurs malheureux de la violence des adultes, qui l’ont consommée et qui la ressorte à leur manière, comme un jeu. Extrêmement vindicative, cette réflexion fait des adultes que nous sommes tous des êtres qui ont oublié que chaque enfant est un futur adulte et que, de leur évolution dépend finalement le sort du monde.
Narrativement et thématiquement le film de Narciso Ibañez Serrador se rapproche bien plus de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS ou de THE CRAZIES de Georges Romero que du VILLAGE DES DAMNES, le premier film traitant d’enfants démoniaques. Ici, comme le souligne bien le titre français (LES REVOLTES DE L’AN 20000) on a ici affaire à une vraie révolte des enfants contre la cupidité et la violence gratuite des adultes un peu comme les zombies de Romero symbolisaient les laissés pour compte de l’Amérique. Voilà un élément qui n’est pas sans rappeler également la conclusion de LA BAIE SANGLANTE de Mario Bava et ce jusqu’au choix du lieu, une île isolée.
Seulement voilà, pour des enfants ayant grandi dans la guerre, la seule révolte possible doit se faire nécessairement par la violence ce qui offre au spectateur quelques meurtres choquants, se déroulant toujours hors-champs, ce qui en augmente le traumatisme. Là une petite fille tue son père, ici une autre enfant frappe à mort une personne âgée avec sa canne.
La violence aveugle des enfants est aussi rappelée dans l’attitude qu’ils ont avec la jeune femme enceinte. Alors qu’au début du film une petite fille viendra lui caresser le ventre avec émotion, elle finira pourtant, elle aussi traquée, à bout de souffle, et c’est le propre enfant qu’elle porte qui la tuera de l’intérieur lors d‘une scène aussi traumatisante que techniquement marquante.
Quand à son mari, il fera plus de résistance, trouvant même la force douloureuse de tirer sur les enfants révoltés à grands coups de mitraillette avant de connaître lui aussi un sort funeste.
Véritable brûlot anti-guerre WHO CAN KILL A CHILD ? n’oublie pourtant le spectateur avide de suspense et de frissons, Narciso Ibañez Serrador distillant tout au long de son film une ambiance malsaine et fermant les rideaux sur une fin à tiroirs, préfigurant l’invasion du monde par les enfants.
WHO CAN KILL A CHILD ? est donc un métrage possédant une rare conscience et une œuvre vraiment très riche, au pessimisme profond.
On terminera enfin en soulignant l’importance primordiale et l’influence qu’a eu WHO CAN KILL A CHILD ? vis-à-vis de films récents comme LA SECTE SANS NOM de Jaume Balaguero et particulièrement sur le cinéma de Guillermo Del Toro dans sa globalité qui empruntera au film de Serrador son thème majeur, l’enfance face à la guerre.


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- Article rédigé par : Sylvain Pasdeloup

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