Un texte signé Stéphane Bex

Etats-Unis - 1981 - Tobe Hooper
Titres alternatifs : The Funhouse
Interprètes : Elizabeth Berridge, Shawn Carson, Jeanne Austin

retrospective

Massacre dans le train fantôme

Alors que le parc d’attraction vient planter son chapiteau dans une petite ville américaine, quatre adolescents et le petit frère de l’héroïne viennent passer la nuit dans un train fantôme de sinistre réputation. Peu en sortiront vivants.
C’est en 1981, soit la même année que le second épisode d’HALLOWEEN que sort MASSACRE DANS LE TRAIN FANTOME (FUNHOUSE) de Tobe Hooper, sous l’égide d’Universal Pictures, studio également responsable des DENTS DE LA MER en 1975. Ce film, considéré longtemps comme un des maillons les plus faibles de la filmographie de Hooper et jusque là inédit en France, devrait-il être réévalué ? L’occasion est donnée grâce à la sortie en combo blu ray / DVD de l’œuvre chez Elephant Films, de découvrir sous l’habit d’une œuvre mineure un opus passionnant et contribuant à renforcer la cohérence d’un parcours jugé a priori chaotique pour Hooper.
Ouvrant la décennie des eighties, le film est d’abord un hommage à la tradition du slasher telle qu’elle s’est imposée à travers Hitchcock (PSYCHOSE), ou plus tard Carpenter (HALLOWEEN). La caméra subjective qui ouvre le film de Hooper, et inspirée du point de vue du tueur Michael Myers chez Carpenter, finit par aboutir au lieu séminal du slasher, à savoir la douche de PSYCHOSE. A cette différence près que la menace n’est plus que factice et que l’on ne tue ici que pour de faux ; mais la remise en cause du genre dont De Palma, plus tard, se fera le chantre à travers ses jeux parodiques, prend un tour plus original en se teintant d’inceste chez Hooper. C’est que pour le réalisateur, l’horreur, que ce soit dans ses conditions de production, dans ses thématiques ou en tant que genre, ne peut échapper à cette notion de « famille » qui faisait déjà le cœur de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE (TEXAS CHAINSAW MASSACRE). S’y lit également l’indice du pouvoir transgressif d’une œuvre qui, sous couvert d’illustrer et accompagner l’évolution d’un genre en pleine expansion, en livre également, mais de façon plus secrète, la critique. Ainsi, ni tourné du côté du classicisme à tendance gothique de PSYCHOSE chez Hitchcok, ni de celui d’une abstraction minimaliste comme chez Carpenter, l’œuvre de Hooper navigue entre des références qu’elle convoque pour mieux les éliminer, entre parodie satirique et grotesque de la farce.
Au centre de MASSACRE DANS LE TRAIN FANTOME, on trouve donc une famille dégénérée qui est la descendante de celle qui apparaissait déjà dans MASSACRE A LA TRONCONNEUSE ou encore dans LE CROCODILE DE LA MORT (1977). Mais, par un renversement notable par rapport au premier opus de Hooper, c’est désormais la famille monstrueuse, composée des gens du cirque qui passe du côté du nomadisme, alors que la famille normée ne voyage plus mais est caractérisée par son sédentarisme. Au cirque ambulant, promenant ses monstres de ville en ville s’oppose ainsi l’immobilisme des suburbs et des banlieues américaines. De même, alors que la ferme-abattoir de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE représentait une forme évoluée et décadente de l’habitat des anciens fermiers du western, dans laquelle on aurait échangé les fusils contre des tronçonneuses, l’espace de la foire, le FUNHOUSE du titre original définit, quant à lui, un espace plus difficilement assimilable et paradoxal, à la fois mouvant et insulaire, appartenant au présent de l’attraction spectaculaire en même temps qu’au passé d’une conservation muséale.
C’est que, chez Hooper, les valeurs se confrontent les unes aux autres dans un processus cannibalistique qui les fait s’entredévorer les unes les autres sans que la victoire d’un camp ne vienne ratifier et donner preuve d’un idéalisme donné a priori. Tout circule dans le film de Hooper, basculant d’un côté ou de l’autre, à l’écart d’une catégorisation morale. Le petit frère voyeur qui fait semblant d’assassiner sa sœur sous la douche est-il finalement moins effrayant que le monstre essuyant les rebuffades d’une prostituée ou de son géniteur, et obligé de dissimuler sa laideur sous le masque d’un autre monstre ? Il n’existe pas de winners chez Hooper ; tous les personnages, peu ou prou, incarnent des marginaux, loosers en puissance que les circonstances obligent à se ranger dans un camp ou dans l’autre. Le naturalisme qui semble caractériser Hooper, à travers la convocation de certains thèmes récurrents comme la cupidité, le désir sexuel et la généalogie familiale n’est-il qu’un moyen de faire circuler les valeurs dans un circuit dialectique, labyrinthique et complexe. De fait, si le slasher oblige à la désignation précise d’un monstre et à l’identification de victimes identifiées d’avance par des protocoles assignés au genre, chez Hooper, tout se floute irrémédiablement. Le monstre ne forme ainsi qu’un élément parmi d’autres de cette foire aux atrocités dont Hooper a l’intelligence de montrer les membres sans les fondre dans le décor à fin d’illustration. Tout le monde – que ce soit les membres de la famille normée ou les autres attractions de la foire – participe qu’il le veuille ou non à un crime que personne n’a vraiment voulu. Au-delà du naturalisme dramatique, Hooper vise une forme de matérialisme du mal rendu ici à sa dimension à la fois grotesque et tragique.
Sous son allure convenue, on trouve donc dans MASSACRE DANS LE TRAIN FANTOME ce qui fait l’essence caractéristique des œuvres de Hooper : le mélange entre l’énergie primaire, brute, viscérale du cartoon et une distanciation formelle et réflexive, la déconstruction des lois du genre, le mixage d’un matériau hétérogène et la revendication d’une forme d’hybridation impure. C’est sans doute cette association de paradoxes qui a parsemé la carrière de Hooper de difficultés nombreuses, l’opposant ainsi à la réussite d’un Spielberg ou d’un Craven, ces deux derniers ayant abandonné les ressources de la farce pour épouser le cynisme post-moderne (Wes Craven) ou un idéalisme revisité par la la satire et la comédie (Steven Spielberg). Ajoutons qu’aux principes d’économie qui régissent habituellement les narrations hollywoodiennes, Tobe Hooper préfère la dépense sacrificielle, forme de générosité généralement mal perçue ; enfin la satire qui porte sur la classe moyenne chez Spielberg se fait beaucoup plus profonde chez Hooper qui remet en cause les médias comme attractions spectaculaires. C’est à l’ensemble du cinéma que s’en prend le réalisateur comme machine à faire disparaître les rêves pour leur en substituer d’autres, plus étroits et moins poétiques.
Il émane ainsi du monstre déguisé en Frankenstein et forcé à servir de larbin du train fantôme et gardien de son musée horrifique, une forme de terrible mélancolie. Les monstres Universal ne sont plus que des fantômes qu’on exploite en même temps qu’on les a bannis hors du genre. A la poésie s’est substitué le spectacle donné par le train fantôme – gigantesque métaphore métacinématographique – d’attractions pop, vulgaires et colorées, qui se donnent pour alibi de retracer une histoire anecdotique et sensationnaliste. Les adolescents partis pour écouter du rock dans MASSACRE A LA TRONCONNEUSE sont ici remplacés par ceux qui constitue le public des drive-in, demandeurs de légendes sanglantes et d’émotions fortes. Dans un cas comme dans l’autre est souligné le détachement d’une génération qui a fait de l’horreur une des formes privilégiées du spectacle et en paie le prix en intégrant pour ainsi dire comme victime le film qu’elle phantasme. Elle n’est cependant pas ici la seule et il est fort tentant de voir dans la fin du monstre une préfiguration du destin à venir de Hooper. Condamné pour avoir révélé aux spectateurs les coulisses du spectacle et en avoir exhibé la machinerie, le réalisateur se fera lui aussi broyer pour s’être trop approché du piège qu’il voulait dénoncer.
Des automates effrayants qui ouvrent le générique jusqu’à la machinerie du train fantôme qui clôt le film, MASSACRE DANS LE TRAIN FANTOME n’aura eu ainsi de cesse de moquer la prétention du spectaculaire cinématographique à fabriquer une réalité illusoire qui s’aveuglerait volontairement sur le réel ; à la mécanique plaqué sur le vivant qui fait le ressort du comique s’oppose ce vivant plaqué sur le mécanique qui fait l’horreur et les cauchemars. La réunion de l’un et de l’autre constitue le génome et la recette de l’art hooperien qu’il faudrait réévaluer à sa juste valeur : celle d’un outsider ayant su offrir une voie originale sous forme d’un matérialisme horrifique dans lequel les œuvres contemporaines viennent parfois puiser : le Freak Show de la quatrième saison d’ AMERICAN HORROR STORY ou celui des œuvres de Rob Zombie auraient-il pu exister sans le MASSACRE DANS LE TRAIN FANTOME de Tobe Hooper ? C’est peut-être reconnaître le signe de l’importance de cette œuvre dite mineure.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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