Un texte signé Clément X. Da Gama

USA - 1981 - Eric Weston
Titres alternatifs : Evilspeak
Interprètes : Clint Howard,R.G. Armstrong,Don Stark

Dossierretrospective

Messe Noire

L’adolescence. Ce moment charnière de l’existence où le corps et l’esprit sont en gestation, en développement accéléré, en ébullition constante. Moment de rébellion où le regard de l’enfant perd ses illusions et devient critique vis-à-vis de la société, du travail, des institutions. Moment de transgression aussi où l’on aime à tester les limites, celles de la Loi, de la bien-pensance, des parents. Le cinéma d’horreur entretient depuis belle lurette une relation privilégiée avec l’adolescence, par son public notablement composé de jeunes en quête de sensations fortes, et par ses personnages récurrents. Mais si l’on ne compte plus les films d’horreur mettant en scène des ados, très peu ont réussi à retranscrire à l’image le chaos et la violence de cette période si marquante et définitoire de la vie de chacun. Il y a bien évidemment CARRIE, GINGER SNAPS et CREATURES CELESTES qui s’intéressent au désordre de l’adolescence féminine ; MESSE NOIRE en constitue l’un des pendants masculins.

Etudiant dans une prestigieuse académie militaire, Coopersmith est laid, grassouillet, maladroit, et souffre-douleur de ses camarades et de ses ignobles enseignants. Un jour, il découvre un grimoire satanique qui lui confère des pouvoirs surnaturels. L’enfer qu’il a subi depuis des années va se retourner contre ses agresseurs.

Eric Weston, pour son premier long-métrage, a signé l’une des séries B d’horreur les plus réussies et reconnues des années 1980. Célébré à juste titre par la plupart des critiques, MESSE NOIRE est parfaitement maîtrisé, une histoire de vengeance sans aucune fausse note narrative ou esthétique qui, si elle emprunte clairement sa structure au film CARRIE, arrive à s’en émanciper pour proposer un spectacle autonome et unique. Mais bien souvent, MESSE NOIRE jouit de cette réputation flatteuse pour de « mauvaises raisons » : Coopersmith invoque Lucifer en utilisant un ordinateur (un élément novateur pour l’époque) et Anton Szandor LaVey, débile dangereux passé à la postérité pour avoir fondé l’Eglise de Satan, adorait le film et le considérait comme une expression particulièrement juste du « satanisme » (comprenne qui pourra). MESSE NOIRE ne doit cependant pas être réduit à ces quelques anecdotes. À bien y regarder, le film de Weston est une œuvre enragée, punk et antisystème comme il en existe peu…

Le monde fictionnel de MESSE NOIRE est saturé d’agresseurs, de bourreaux en puissance qui prennent un malin plaisir à humilier et violenter Coopersmith. Ses camarades de classe d’abord. Un ramassis de bourgeois têtes à claques qui, telles de hyènes, ne se déplacent et n’agissent qu’en meute pour mieux le tourmenter. C’est ensemble qu’ils rient aux éclats en rappelant au héros son statut d’orphelin et son désespoir familial. C’est ensemble qu’ils débusquent Coopersmith dans le sous-sol d’une église pour le harceler jusqu’à le faire s’évanouir. Tous issus de bonnes familles, ils ont l’argent, les contacts d’influence (la mère de l’un d’eux finance l’académie militaire), le soutien de l’establishment, la force du nombre. En face, Coopersmith est irrémédiablement seul et désœuvré. Mais ils s’en foutent bien. Au contraire. Plus Coopersmith est faible et isolé, plus ils seront forts et sadiques avec lui. Et ce n’est pas le corps enseignant qui va les contredire.

Le premier spécimen que Weston met en scène est le prof de sport. Irascible avec Coopersmith, l’enseignant s’arrache les cheveux qui lui restent devant la nullité du héros en football, avant d’inciter des élèves à le brutaliser pour qu’il ne puisse plus jouer. L’aumônier de l’académie ne relève pas le niveau puisqu’il punit le protagoniste pour une broutille et le condamne à travailler dans le sous-sol glauque de l’église. Malgré ses vœux d’abstinence, cet agent de Dieu mate sans vergogne les pimbêches qui paradent sur le campus (regarder n’est pas coucher) et refuse d’intervenir lorsqu’il surprend le héros en train de se faire malmener (tu n’aideras pas ton prochain). Le directeur de l’académie, quant à lui, est un militaire plein de dégoût pour les miséreux économiques de la trempe de Coopersmith, et il le lui fait bien sentir à grands coups de fouet au cul. Enfin, le concierge est un vétéran alcoolique, passablement psychopathe, qui menace le héros de viol (« Je vais te montrer comment je transforme un petit garçon en une petite fille. »). Complices actifs ou passifs des tourments du héros, les enseignants sont des monstres de violence, de mépris et de perversité, des immondices qui n’en restent pas moins humains car mués par des travers affreusement banals et « adultes » (compétitivité, tartuferie, brutalité, culte de l’élite). En résulte un constat froid et implacable, d’un nihilisme exacerbé, quant aux institutions que ces hommes si respectables incarnent. Le sportif, le clérical, le militaire, l’enseignement. Rien de bon ne peut en sortir. Tout est à vomir. Tout mérite d’être exterminé.

MESSE NOIRE rejoint ici les œuvres sur l’adolescence précédemment citées tout en s’en démarquant avec brutalité. Le film de Weston propose, comme CREATURES CELESTES et CARRIE, une structure narrative que l’on pourrait appeler « en entonnoir ». Chez Peter Jackson et Brian de Palma, les récits s’élaborent autour de l’accumulation de frustrations et brimades diffuses, cachées, sournoises qui s’accroissent au fil des évènements dramatiques pour exploser « hors des adolescentes » lors des dernières séquences (l’amour contrarié de Juliet et Pauline qui mène à un matricide, les humiliations infligées à Carrie qu’elle punit dans le sang). En somme, les souffrances endurées par les héroïnes convergent vers un final inéluctable et cataclysmique où ce qui était refoulé, somatisé déborde de manière ultra-violente. Ces débordements sont des moments difficiles pour le public puisque l’on ne peut jamais totalement cautionner les meurtres commis : la mère de Pauline, bien que rétrograde, n’est pas une mauvaise femme et ne mérite pas de mourir ; Carrie tue ses ignobles bizuteurs mais d’innombrables innocents périssent durant l’holocauste. Dans MESSE NOIRE au contraire, le public désire ardemment la mort des tortionnaires et, lorsque survient enfin ce massacre, nous sommes tout entier du côté du héros, nous jouissons avec lui du trépas de ses agresseurs.

Investi de pouvoirs sataniques, Coopersmith lévite, invoque des cochons dévoreurs d’hommes et s’en va exploser le crâne de ses professeurs et camarades. Ce final, point d’orgue magistral du film, marque l’effondrement d’une humanité humaine. Pas de résilience possible, pas de pardon ni de dépassement des traumatismes subis. La seule réponse que l’on puisse apporter à la violence est un regain de violence, un paroxysme de l’atroce non pour rétablir un monde juste (a-t-il jamais existé ?) mais pour se venger, se soulager. Tout comme Coopersmith, le public est apaisé à la vue de ces tortionnaires qui hurlent et pissent le sang. Le public est contraint de partager la psyché d’un adolescent dont la régression morale est légitime, tragique et irrémédiable.

MESSE NOIRE est, au-delà de ses qualités esthétiques évidentes, une expérience limite et fascinante. En forçant le public à savourer la vendetta de Coopersmith, Weston rend particulièrement concret le désespoir d’une certaine adolescence. Celle des laissés-pour-compte, celle où l’on est mal dans sa peau, celle où tout a un arrière-goût de merde et où l’on nourrit pour le monde, ses institutions et ses représentants, des desseins destructeurs d’une noirceur abyssale. « N’avez-vous jamais rêvé d’un jour shooter dans le tas ? » demandait le groupe Silmarils. MESSE NOIRE nous impose d’y répondre par l’affirmative.


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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