Un texte signé Yannik Vanesse

Etats-Unis - 2010 - Jim Mickle
Interprètes : Nick Damici, Connor Paolo, Michael Cerveris

BIFFF 2011Festival Européen du Films FantastiqueL'Etrange Festival 2011review

Stake land

Le monde a succombé à une épidémie de vampirisme. Les Etats-Unis se sont effondrés, les principales structures politiques, économiques et sociales ont disparues. Les survivants se sont pour la plupart regroupés dans de petites villes désormais fortifiées, ou bien se terrent dans leur ferme. Les grandes métropoles sont toutes tombées. « Mister » (« Monsieur ») est un chasseur de vampires qui recueille le jeune Martin dont la famille vient d’être décimée par un suceur de sang. Il le forme à se défendre et tente de remonter avec lui vers un Canada rebaptisé « New Eden ». La rumeur prétend en effet que les vampires, trop sensibles au froid, n’y sont pas restés. Au cours de leur périple, Mister et Martin s’entoureront d’une bonne sœur, d’un ancien marines et d’une jeune femme enceinte. Mais le voyage sera long et les oasis de civilisation qui jalonnent le parcours tombent petit à petit sous les coups de boutoir de « La Fraternité », une secte chrétienne intégriste qui considère les vampires comme une punition divine à diriger vers toutes les communautés non asservies à sa doctrine. Mister et Martin affronteront ainsi leur gourou Jebediah.

Jim Mickle n’est pas un inconnu des lecteurs de Sueurs Froides. Nous avions chroniqué en son temps son premier long métrage, MULBERRY STREET, qui traitait déjà d’une invasion, cette fois de zombis/infectés, et qui l’entrelardait aussi de considérations critiques à l’encontre de la politique américaine. A dire vrai, les vampires de STAKE LAND ne diffèrent guère de ses zombis de MULBERRY STREET, et tiennent plus de la bête enragée que du suceur de sang gothique encapé de noir. A certains égards, STAKE LAND s’offrent presque comme une suite de MULBERRY STREET.

Mais à l’univers urbain de MULBERRY STREET (ramené cependant, budget oblige, à un unique immeuble), STAKE LAND substitue cette fois les vastes étendues peu peuplées dont on oublie souvent qu’elles forment l’essentiel des Etats-Unis. Ce pays de petites villes, de villages et de fermes isolées.

Une localisation particulièrement pertinente en ce qu’elle raccroche le film à son thème, soit le glissement de l’Amérique vers un fondamentalisme chrétien lié à une vision ultralibérale (celle du Tea Party), les deux se conjuguant dans leur haine des institutions nationales et des structures sociales garantes de droits fondamentaux. Religion et Tea party sont particulièrement bien implantés dans l’Amérique rurale.

Sociologiquement, on ne peut que constater ce retour du religieux au Etats-Unis, dans une configuration qui donne froid dans le dos. Si par chez nous, la foi est de plus en plus souvent traitée au cinéma, c’est souvent sous un angle qui, sans nécessairement attaquer, questionne ou même ouvre à la réflexion : HABEMUS PAPAM, DES HOMMES ET DES DIEUX, LOURDES…Hollywood, pour sa part, se contente de prendre acte de la rechristianisation du public et commence à délivrer à nouveau (on y produisait déjà des bondieuseries dans avant l’époque hippie) des films aptes à satisfaire les reborn christians et autres zélateurs messianiques, comme l’évoquait le 2 octobre 2011 un papier du Los Angeles Times : HIGHER GROUND (Vera Farmiga, 2011) ; SEVEN DAYS IN UTOPIA (Matt Russell, 2011), COURAGEOUS (les frères Kendrick), SOUL SURFER , THE BLIND SIDE, JUMPING THE BROOM, voir MACHINE GUN PREACHER (Marc Foster).

De l’autre côté, des productions, souvent indépendantes, tentent un discours plus critique et pointent les dérives de la foi. A ce titre, un des « films d’horreur » les plus terrifiants de ces dernières années est le documentaire JESUS CAMP (Heidi Ewing, Rachel Grady, 2006) qui montre l’embrigadement d’enfants dès leur plus jeune âge dans une foi particulièrement rétrograde… laquelle semble avoir déjà séduit rien moins que 80 millions d’américains ! On mesure la régression sociétale quand on constate que là où une comédie suffisait il y a une génération (LIFE OF BRIAN des Monty Python, ou LE MIRACULE de Jean-Pierre Mocky, 1987), il faut maintenant traiter le sujet sérieusement puisque la menace fondamentaliste se fait plus prégnante (des tentatives récentes comme les très bons POSTAL ou WE ARE FOUR LIONS, qui visent eux le fondamentalisme musulman, sont d’autant plus remarquables). Et c’est dans cette mouvance, déjà creusée par le RED STATE de Kevin Smith, qu’on peut classer STAKE LAND. Jim Mickle y évoque des communautés d’ultra chrétiens qui voient un dessein divin dans l’invasion de vampires qu’il leur revient de lâcher sur les impurs, c’est à dire à peu près tout le monde.

On l’a dit, les vampires de Jim Mickle ressemblent plus aux zombis modernes : forts, véloces, semblables à des bêtes féroces. STAKE LAND a été présenté au BIFFF 2011 où il y côtoyait PROWL de Patrick Syversen, les deux partageant une vision assez semblable du vampire. Auparavant, PROWL était présenté à l’Etrange Festival 2010… STAKE LAND s’invitant, lui, pour l’édition 2011. Cette vision bestiale du vampire se développe depuis quelques années déjà.

Des vampires proches de zombis, une société en décomposition… un nom vient immédiatement à l’esprit : celui de George Romero. Jim Mickle glisse d’ailleurs une allusion au père fondateur du zombi flicks via le prénom de son héros : Martin renvoie évidemment au film homonyme de George Romero (MARTIN, 1976) où un jeune homme était convaincu d’être un vampire. C’est d’ailleurs ici un des rares personnages bénéficiant d’un vrai nom. « Monsieur », jamais autrement nommé, est un passeur, le père adoptif de Martin sous les atours d’une figure mystérieuse semblant sortie d’un western italien ; Belle est la jeune femme enceinte dont le prénom souligne l’accompagnement de la découverte par Martin de sa sexualité, laquelle se réalisera en fin de métrage, la sœur restera également non nommée et on ne découvre que très tard le nom du marines. Et si ici Martin est, au contraire du film de Romero, un tueur de vampires, c’est justement pour bien souligner la distinction entre STAKE LAND et les films traditionnels de zombis. Dans ces derniers, le danger vient nettement moins des monstres que des humains dont les comportements égoïstes, exacerbés par leurs peurs, finissent par les anéantir. Jim Mickle tente une approche sensiblement différente : des groupes cohérents se recréent, ceux des petites villes fortifiées. L’homme reste un loup pour l’homme, certes, et on le voit avec l’irruption de La Fraternité, mais le réalisateur nous montre une cellule familiale qui se recrée petit à petit et qui tisse un cocon permettant à Martin de devenir adulte.

C’est en effet le thème le mieux traité de STAKE LAND : on part de la cellule familiale de Martin détruite, de sa récupération par un « Monsieur », qui ne lui accorde au départ qu’une considération limitée, pour scruter l’évolution de leur relation, les apprentissages et transmissions, les liens qui s’opèrent, l’adjonction de nouveaux partenaires au groupe. A cet égard, le scénario traite bien l’épilogue, voyant un Martin adulte, au terme d’un voyage qui n’a pas été que géographique – comme dans tout road-movie qui se respecte -, vivre à son tour une série de moments qui n’appartenaient qu’à « Monsieur » en début de film. Le père spirituel a transmis à son fils adoptif. Une simple ligne de dialogue souligne d’ailleurs cette passation, lorsque « Monsieur », blessé par sa Némésis, confie les clés de voiture à Martin en lui disant « qu’il est temps d’apprendre à conduire » (donc de mener sa vie, de décider, de prendre la direction). Pour « Monsieur »et Martin, ce moment symbolise le passage du second à l’âge adulte. Plus loin, « Monsieur »regardant Martin flirter puis dormir avec une jeune femme enfonce le clou, par effet miroir avec une séquence initiale voyant « Monsieur »sortir de chez une prostituée tandis que le jeune Martin l’attend dehors en l’observant passivement.

Jim Mickle affectionne d’ailleurs la structure en miroir qu’il utilise aussi dans le traitement de la question religieuse : « Monsieur » tue un violeur, qui se révèle être le fils du Jebediah, avec une arme en forme de croix … en retour, Jebediah martyrisera d’une crucifixion son ennemi.
Auparavant, d’autres personnages auront accompagné Martin : une bonne sœur violée par les suppôts de Jebediah (la foi véritable mise à mal par le fondamentalisme), une jeune fille enceinte (élément transitionnel permettant à Martin de prendre conscience de sa sexualité et de la notion d’amour) et un ancien marines noir servant contre son gré d’appât à vampires pour La Fraternité. Le rôle de ce dernier semblerait à première vue plus anecdotique, la figure paternelle étant déjà incarnée par « Monsieur », mais on ne s’interdit par d’y voir une autre citation à Romero dont les héros, noirs, lutaient contre les monstres et les hommes (LA NUIT DE MORTS-VIVANTS, ZOMBI…). Ici, le combat se déplace alors contre les monstres et les fondamentalistes, Jim Mickle adaptant donc Romero à notre époque.

Visuellement, Jim Mickle vogue entre le western et le post-apocalyptique à la MAD MAX, lequel ne faisait finalement rien d’autre que de moderniser le western. Une synthèse qu’on a ainsi retrouvé en bande dessinée avec la série Jeremiah auquel STAKE LAND nous fait parfois penser. BD, cinéma, horreur et western, l’équation se retrouve encore dans les comics Walking Deads, adapté ces temps-ci en série TV. Mais la mise en scène, le montage et la musique de STAKE LAND renvoient nettement moins à l’actionner qu’à une tonalité mélancolique. Ce parti-pris déconcertera l’amateur de genre mais se révèle finalement en accord avec son sujet.
On pourra cependant reprocher à STAKE LAND d’hésiter sur la direction à prendre : Mickle traite du sujet religieux un peu superficiellement, tout à son plaisir de recréer et mélanger divers genres qu’il affectionne : western, post-apocalypse, zombi-flicks et en tenant en plus compte de son arc thématique : l’évolution vers l’âge adulte et la recréation de la cellule familiale. L’ensemble est sans doute trop riche pour tenir de manière satisfaisante sur un seul long métrage. Les divers éléments ne bénéficient donc pas tous de toute l’attention qu’ils auraient mérités.

Sans doute peut-on expliquer cette (relative) faiblesse par l’origine du projet. Jim Mickle avait en effet initialement en vue une série de webisodes (une fiction diffusée sur le web, prévue en douze court métrages) dont il a finalisé l’écriture en 2008. Sa rencontre avec le producteur Larry Fessenden a réorienté le projet vers un long métrage classique, condensant les différentes trames dans le processus de réécriture.

Le film a en effet été produit par Glass Eye Pix et son producteur Larry Fessenden. On leur doit une bonne trentaine de petits budgets qui ont nourri ces dernières années les festivals et les direct-to-video : THE ROOST (dont une affiche trône dans la chambre de Martin, en guise d’allusion), THE HOUSE OF THE DEVIL, le remake de SISTERS, ZOMBIE HONEYMOON…

Martin est campé par Connor Paolo, qui a débuté chez Clint Eastwood (MYSTIC RIVER, 2003) et Oliver Stone (ALEXANDRE, 2004, puis WORD TRADE CENTER) mais s’était depuis replié sur les séries télé. Nick Damici joue « Monsieur »et a coscénarisé STAKE LAND. Familier de Jim Mickle, il tenait déjà le premier rôle de MULBERRY STREET. Pour la bonne sœur, on retrouve l’ex-star Kelly Mc Gillis (WITNESS, 1985 et petite amie de Tom Cruise dans TOP GUN, 1986) dont la carrière s’était par la suite embourbée. Belle est jouée par Danielle Harris, poursuivie par Michael Myers dans les HALLOWEEN 4 et 5 ainsi que dans les deux reboot de Rob Zombie.

On constate que les films post-apocalyptique (y compris donc ceux en cours d’effondrement suite à une invasion de zombies, vampires ou autres figures monstrueuses), ou du moins ceux qui présentent une société effondrée, suivent les craintes de l’époque qui les produits : longtemps relatifs à la terreur nucléaire qui accompagnait la guerre froide (les nombreux post-nuke de type MAD MAX), ils reflètent actuellement des peurs plus diffuses : celles de contaminations biologiques (LES INFECTES, MUTANTS, THE CRAZIES- l’original de Romero et le remake-, etc.), celles des nouveaux dangers religieux (STAKE LAND) qui réinstaurent une pensée unique en dogme et dénoncent l’autre comme nuisible, mais aussi celles issues de la crise économique : HOBO WITH A SHOTGUN, également présenté à l’Etrange festival 2011 présente, également sous des atours de western moderne, une société qui n’est finalement pas loin de l’effondrement complet de ses structures. Dans un registre thématique plus léger, George Romero, après un brillant exercice sur la communication (DIARY OF THE DEAD – CHRONIQUES DES MORTS-VIVANTS, 2007) a réaffirmé le lien entre post-apocalypse zombiesque et western dans SURVIVAL OF THE DEAD (2009). Dans un registre plus sérieux, THREADS (Mick Jackson, 1984) est sans conteste un des films les plus forts sur l’apocalypse (ici nucléaire) jamais tourné. Plus récemment, LA ROUTE (2009, adapté de Cormac Mc Carthy par l’excellent John Hillcoat, également brillant auteur de western avec THE PROPOSITION, 2005) nous donnait une intrigue relativement similaire à STAKE LAND, à savoir le voyage d’un père et de son fils dans un monde ravagé, mais sous un angle autrement plus noir et désespéré. Est-ce une pure coïncidence de voir le père et le fils de LA ROUTE fuir les cannibales et la faim en descendant vers la côte au Sud alors que « Monsieur » et Martin cherche refuge au Nord… là où se terreraient des cannibales selon une rumeur ?

Au final, sans être parfait, STAKE LAND se révèle un film très intéressant, situé en marge des films de genre ouvertement commerciaux, sans cependant renier son côté divertissant. Sa tonalité mélancolique laissera dubitatif certains habitués des films de genre mais ceux qui dépasseront cet apriori trouveront au final bien des raisons d’avoir accompagné Martin dans son voyage.

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Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2011.

Retrouvez nos chroniques de l’Etrange Festival 2011.


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- Article rédigé par : Yannik Vanesse

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