Un texte signé André Cote

USA - 2012 - Barry Levinson
Interprètes : Kristen Connoly, Jane McNeill, Christopher Denham, Michael Beasley, John Harrington Bland, Andy Stahl...

Fantastic'Arts 2013review

The Bay

Une ville côtière se retrouve victime d’une épidémie. Une journaliste récupère des vidéos pour alerter le grand public. Une situation complexe, puisque l’événement a un rapport avec de nouvelles bactéries aquatiques, alors que le commerce de la municipalité repose sur les activités maritimes et nautiques.

En général, le genre du found footage est souvent utilisé par des cinéastes débutants afin de faire leurs preuves à moindres frais. Il n’y a qu’à voir le cas du PROJET BLAIR WITCH (THE BLAIR WITCH PROJECT), l’initiateur de cette catégorie de films, avec sa réputation de métrage le plus rentable de l’Histoire. Ce genre est basé sur des images prises sur le vif. Il y a donc tout un pan de la pré-production qui s’en retrouve allégé, permettant à l’équipe de faire des économies et de monter un projet au budget réduit.
Cette démarche se justifie dans la narration même, puisque le spectateur suit le récit à travers les yeux d’un personnage et non d’un conteur extérieur. De ce fait, l’intérêt de l’entreprise ne repose pas sur le point de vue exprimé par la prise de vue (avec un travail de cadrage et de lumière), mais sur les circonstances qui ont amené à cette prise de vue, en d’autres termes, sur la raison pour laquelle un personnage a ressenti le besoin de filmer les événements en question. De cette manière, le projet de THE BAY a ceci d’intéressant qu’il est un found footage réalisé par un metteur en scène déjà aguerri.
En effet, THE BAY a pour réalisateur Barry Levinson et celui-ci a un sacré palmarès à son actif. Beaucoup de ses titres sont même de vrais succès populaires : RAIN MAN avec Tom Cruise et Dustin Hoffman, GOOD MORNING, VIET-NAM avec Robin Williams, LE SECRET DE LA PYRAMIDE et bien d’autres encore. Dès lors, ce dernier opus de Levinson devient un projet qui sort du lot pour plusieurs raisons. Parmi les plus évidentes, on peut citer notre curiosité à voir un found footage, donc un genre propice à l’essai, entre les mains d’un réalisateur déjà expérimenté en matière de dramaturgie et de mise en scène.
Il faut savoir que le genre du found footage obéit à des règles bien spécifiques qui le caractérisent en tant que forme de narration à part entière. On pourrait même le rapprocher de la littérature épistolaire. Celle-ci regroupe les recueils de correspondance entre des personnages aussi bien réels (des lettres que se sont envoyées des écrivains et des poètes) que fictifs (le roman DRACULA de Bram Stoker fonctionne sur le même principe) et se caractérise par cette focalisation interne qui rend impossible toute intrusion d’un narrateur externe. Autrement dit, l’auteur (ou le réalisateur) nous met à la place d’un personnage et notre perspective est réduite à la seule appréciation (ou vision) de ce même personnage. Le genre aboutit à un jeu constant de notre propre suspension de crédulité puisque, autant le genre épistolaire adopte la forme d’une correspondance entre deux individus, autant le found footage renvoie aux vidéos amateur et reportages de journaux télévisés.
Dans le cas de THE BAY, la forme obéit à la structure d’un documentaire, conçu par une journaliste. Cette dernière a rassemblé des vidéos de plusieurs sources pour, au final, exposer son point de vue sur une situation. Nous passons donc d’une fête filmée à partir d’un caméscope à une visioconférence entre des responsables des services de l’hygiène et de l’information, en passant par des caméras de surveillance. Tout ceci pour que la journaliste puisse étayer sa thèse et son discours sur des circonstances qu’elle juge alarmantes. En soi, le procédé est des plus efficaces, puisque la journaliste (ou plutôt Barry Levinson, mais jouons le jeu) use et abuse de la voix off pour commenter les événements et établir des liens entre eux alors qu’ils n’en ont officiellement aucun. Elle maintient un rythme alerte dans l’enchaînement des faits et fait monter la pression, sans hésiter à ajouter de la musique pour accentuer le caractère mélodramatique de l’ensemble.
À cet égard, le suspense est implacable et on adhère très vite au postulat. Le problème réside maintenant dans quelques détails qui mettent à mal la crédibilité du propos. Par exemple, le film de Levinson tend à nous démontrer que, malgré notre capacité à faire des vidéos facilement, nous ne sommes pas à l’abri de ne pas pouvoir filmer le danger qui se trouve pourtant devant nos yeux. De ce fait, notre réalisateur n’oublie pas que la peur naît aussi bien de la familiarité des situations (les images paraissent provenir de vrais reportages) que de la notion de hors-champ. Effectivement, malgré l’abondance d’images, aucun angle ne permet de déceler la présence de la menace. Or, dans cette société de l’hyper-communication, personne ne semble penser à alerter les autorités ou à informer le public, excepté notre journaliste. À l’heure des réseaux sociaux, cela paraît difficilement concevable (il suffit de voir la vitesse à laquelle tous les événements, même les plus anodins, se retrouvent commentés sur Internet) et le film n’aborde jamais cette piste, hormis quelques allusions à des échanges via messages privés, mais rien de concluant.
De cette manière, Barry Levinson renoue avec l’esprit des thrillers politiques des années-70, comme LES HOMMES DU PRÉSIDENT, où l’on voyait deux journalistes révéler le scandale du Watergate. THE BAY touche au but en parvenant à installer un climat oppressant. Dommage qu’il n’ait pas rendu son discours plus actuel. En l’état, il apparaît comme un pendant old school (avec cette inspiration seventies) presque anachronique par rapport à la vague dont il profite.


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- Article rédigé par : André Cote

- Ses films préférés : Dark City, Le Sixième Sens, Le Crime Farpait, Spider-Man 3, Ed Wood


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