Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 2005 - Takashi Miike
Interprètes : Ryunosuke Kamiki, Bunta Sugawara, Chiaki Kuriyama, Kaho Minami, Hiroyuki Miyasako

asian-scans

The Great Yokai War

Au secours, aux abris, Takashi Miike signe un film pour enfants. Nos chères têtes blondes seront-elles impitoyablement exposées aux débordements de violence et de dépravation de l’allumé japonais ?
Eh bien non, le film est sage (mais pas assagi) et nous ne risquons pas le renvoi en correctionnelle pour l’avoir montré à un mineur.
Tadashi, jeune citadin expatrié à la campagne est la risée de ses camarades. Pourtant, lors d’une fête traditionnelle locale, il est choisi pour incarner le nouveau chevalier chargé de protéger le village des démons. Cette fonction, à la base purement honorifique, prendra tout son sens lorsque les fées, démons et autres fantômes (les « yokai ») se réveilleront vraiment pour se rebeller contre l’humanité qui les voue à l’oubli. Armé d’une épée magique et accompagné d’esprits amicaux, Tadashi va lutter contre un démon particulièrement retors.
Comme il se doit depuis la création de Sancho Pansa par Cervantès, le jeune héros est entouré de compagnons qui apportent une touche d’humour ou de légèreté et qui vont l’aider dans sa quête : ici, un esprit des eaux pour le côté rigolo, une princesse de rivière pour la sensualité et un yokai-chaton tout mignon. Mais le réalisateur ne peut se priver de quelques-uns de ses habituels débordements et le chaton sera bien mal traité dans une séquence qui n’est pas sans rappeler l’hilarante scène du chien-yakuza de Gozu.
La véritable source des problèmes vient des humains et non des yokai qui in fine sont naïfs et relativement inoffensifs : leur conseil de guerre n’accouche d’aucune décision et leur attaque de Tôkyô se transforme en une gigantesque parade. On note d’ailleurs que ce ne sera pas le seul écho au film Pompoko d’Isao Takahata (réalisé il y a plus de 10 ans, mais que les aléas de la distribution font parvenir aujourd’hui en France). Là aussi, la source du conflit émane des humains, les esprits sont relativement pacifiques et leurs parades inadaptées (au double sens de contre-attaque et de parade festive).
Le véritable « vilain » est un humain qui transforme les yokai traditionnels en simili terminators tout en ferraille, ce qui nous amène au point de vue du film. L’homme sacrifie sa culture et ses traditions incarnées par les yokai, au profit du consumérisme et d’une course au pouvoir basée sur la seule technologie. Un discours adapté à un Japon à la pointe dans ce domaine.
Si on y regarde de plus près, on peut d’ailleurs déceler là une constante dans la fantasy, à savoir l’agonie des mondes merveilleux, tués par l’incrédulité croissante des humains et par l’éviction des valeurs spirituelles par des intérêts matériels. On peut repenser au classique Never Ending Story mais aussi au tout récent El sueno de una noche de San juan de Manolo Gomez.
On le voit, l’intrigue ne surprend guère tous ceux dont l’enfance a baigné dans les contes traditionnels, européens ou asiatiques. Ce sont les thèmes classiques de la marche de l’enfance vers l’âge adulte via des épreuves de vie, l’apprentissage du courage, de la solidarité… Le cinéma pour enfants en a depuis très longtemps fait son fonds de commerce.
Cette quête qui transforme le héros se trouve aussi au cœur du dispositif de la fantasy : Willow, Lord of the Rings, The Never Ending Story, Legend, Labyrinth, Ladyhawk, etc. De même, on retrouve cette utilisation de la Fantasy japonaise comme révélateur ou de passeur vers l’âge adulte par exemple dans les films de Myazaki et notamment le Voyage de Chihiro ou encore dans le très beau A Chinese Ghost Story (qui connaît aussi une déclinaison animée produite par Tsui Hark).
Les grandes préoccupations des contes de jadis croisent les obsessions chères à Miike, à savoir la famille. Ici, elle est éclatée. Tadashi vit séparé de sa sœur, chez son grand-père farfelu et amnésique. Le père est absent et l’enfant brimé par ses condisciples. Des éléments qu’on a déjà croisés par exemple dans Visitor Q, The Audition, ou encore Happiness of the Katakuris.
La mise en scène est des plus classique, ce qui tend à s’inscrire dans la démarche entreprise par Miike depuis One missed call. Rappelons que Takashi Miike a signé une bonne cinquantaine de films en 10 ans dont quelques-uns auront atteint nos salles (Visitor Q, Audition, One missed call) tandis qu’une pelletée d’autres font les joies de nos lecteurs dvd (HapPiness of the Katakuris, Gozu, la trilogie Dead or Alive, FudOh, Bird people of China, Zebraman, etc.). Leur point commun est souvent l’extrême liberté que le cinéaste s’accorde par rapport aux conventions filmiques, narratives et surtout à l’égard du « bon goût » qui se voit le plus souvent passablement violenté. Récemment cependant, l’histrion a ralenti son rythme frénétique, obtenu des budgets plus confortables et (légèrement) calmé sa folie. Il en a cependant conservé quelques belles bribes, à même de satisfaire les nostalgiques de ses exploits précédents (oui oui, il y a bien une scène de pipi).
Et si le style est moins déjanté, a minima se rattrape-t-il par la profusion de monstres qu’il nous offre, une tendance qu’on a retrouvée dans le godzilla : final war… que Miike aurait dû réaliser. On remarque d’ailleurs quelques clins d’œil à Gamera qui nous rappellent l’importance du Kaiju Eiga au Japon.
Les techniques choisies sont mixtes : de superbes costumes pour de nombreux monstres, de l’animatronique, des poupées (avis aux nostalgiques de Jim Henson) et de la 3D.
The Great Yokai War jouit de très beaux décors : forêt enchantée, village rural, grotte-aux-esprits, château aérien (ce château volant, vu aussi chez Myazaki, et qui vient en droite ligne de la peinture surréaliste), Tôkyô post-apocalyptique (autre classique qui traverse nombre de Kaiju Eiga via la métaphore atomique bien connue)…
The Great Yokai War offre à Miike l’occasion de varier sa palette. Il investit cette fois le film pour jeunes. Si vous avez conservé votre âme d’enfants, tentez l’aventure.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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