Un texte signé Stéphane Bex

Dossierretrospective

The Strange Door

Le sire Alain de Maletroit (Charles Laughton) a fomenté depuis des années un plan diabolique contre son frère qui l’a trahi en épousant une femme qu’il aimait. Après avoir mis le père au secret pendant vingt ans, il devient le tuteur attitré de sa nièce qu’il veut à tout prix déshonorer en lui faisant épouser de force un aristocrate déclassé et sans honneur. Il croit trouver la perle rare dans la personne de Denis de Beaulieu (Richard Wyler), un jeune aristocrate amateur des tavernes et des filles faciles autant que du coup de poing occasionnel. Las, le plan diabolique ne va pas se dérouler comme prévu, Denis de Beaulieu tombant amoureux de la belle Blanche de Maletroit (Sally Forest) et devenant décidé à tout faire pour sauver sa dulcinée des griffes de l’oncle infâme. Il sera aidé en cela par l’ancien serviteur du père de Blanche, le fidèle Voltan (Boris Karloff) toujours prompt à servir son maître sans se poser de questions.
THE STRANGE DOOR (aka LE CHATEAU DE LA TERREUR qu’il ne faut pas confondre avec l’oeuvre homonyme de Corman tournée dix ans plus tard et critiquée sur ce site) est tiré d’une nouvelle de Stevenson, l’auteur bien connu de l’ETRANGE CAS DU DOCTEUR JEKYLL ET DE M.HYDE. A mi-chemin entre le film d’horreur et le film à costumes, l’oeuvre est dirigée par Joseph Pevney, un réalisateur stakhanoviste ayant poursuivi à télévision – notamment avec la réalisation d’épisodes de STAR TREK – le travail entamé au cinéma. Le réalisateur, n’étant pas familier du film d’horreur, livre ici une partition honnête mais sans génie et qui emprunte à divers genres pour faire bonne mesure. Une poursuite en diligence évoque le western, comme l’utilisation des costumes renvoie au film de cape et d’épée. Deux jeunes premiers (Richard Wyler, Sally Preston) viennent contrebalancer la présence des deux vieux briscards que sont Laughton et Karloff.
L’ensemble forme un tout qui semble toujours à la recherche d’une cohérence que l’on aura de la peine à trouver. Si Charles Laughton livre le jeu le plus remarquable, en tant qu’aristocrate raffiné et libidineux, et comme homme à la fois sadique et blessé, il donne toujours l’impression de se demander dans quel film il se trouve. Le même constat pourrait être fait de Boris Karloff reprenant ici la figure stéréotypée du serviteur zélé mais borné échappée tout droit de LA MAISON DE LA MORT (THE OLD DARK HOUSE) de James Whale, film dans lequel il développe son personnage de domestique stupide. Occasion, il est vrai de quelques scènes savoureuses, au cours desquelles Voltan – clin d’oeil appuyé sans doute à la créature électrique qui a fait son succès – se trompe de cible et abat celui qu’il était censé protéger en protégeant celui qu’il était censé abattre. Il faut voir Karloff glisser dans la moindre de ses répliques l’ombre des sous-entendus les plus terrifiants et les plus sadiques aux moments les moins dramatiques pour réaliser combien la créature (cinématographique) l’emporte sur le créateur-réalisateur laissant le personnage oeuvrer à l’intérieur de son propre film. Richard Wyler, moins consistant, joue les aristocrates en rupture de ban et miraculeusement touché par la grâce de l’amour qui lui fera retrouver son honneur perdu. Goujat sans manières, il glisse dans le film sans délicatesse de la canaille au héros valeureux, énonçant au passage quelques répliques pour le moins peu amènes à la femme qu’on le force à épouser. Quant à Sally Preston, elle supporte avec courage le rôle de la princesse qu’il faut arracher à la malédiction, évacuant au profit du flamboyant Denis de Beaulieu et avec une étonnante facilité un ancien prétendant (un jeune cavalier) commodément envoyé ad patres par le scénario et l’oncle infâme.
Si ce CHATEAU DE LA TERREUR recèle de bonnes idées, aucune n’est conduite véritablement à terme et Pevney paraît se contenter de livrer une oeuvre de circonstance en usant des ficelles habituelles. On n’aura jamais vu ainsi autant de portes dans un film, entre celle qui reste désespérément close (et donne son titre au film) et les dérobées faisant de ce château une véritable taupinière. L’ancrage du film dans le beau pays de France par le biais de quelques panneaux signalétiques permet de reprendre quelques clichés savoureux, oscillant entre le raffinement des spiritueux (la carte des vins du mariage énoncée par un dosmestique au français vacillant) et la spritualité du cabaret (la gueulante populaire beuglée par une chanteuse au type ibérique dans l’auberge du début du film), le tout rajoutant encore plus à l’impression de dépaysement.
Seul le supplice final, révélation du film, s’inscrit véritablement dans le genre horrifique. Sans le révéler, précisons qu’il semble tout droit sorti d’une nouvelle de Poe que Corman mettra en scène quelques dix ans plus tard avec THE PIT AND THE PENDULUM. On se prend alors à rêver d’un film qui aurait fait de cette mécanique ingénieuse et diabolique son ressort et son coeur secret, entraînant l’ensemble des personnages dans ses rouages….
Pevney n’y croit pas, peut-être parce que le film, tourné en 1951, est déjà daté et accompagne l’essoufflement d’Universal Pictures ayant donné naissance à ses chefs-d’oeuvre horrifiques au cours des décennies précédentes avec Lon Chaney, Boris Karloff ou Bela Lugosi (DRACULA, FRANKENSTEIN, THE MUMMY, THE WOLF MAN ou PHANTOM OF THE OPERA). Le temps des Universal Monsters est achevé et laisse place à la parodie au cours des années 50 avec la série des ABBOTT AND COSTELLO, tandis que le film d’horreur se réfugie dans les productions de Val Lewton et de la RKO.
LE CHATEAU DE LA TERREUR marque ainsi la tentative d’une résurrection qui n’aura pas lieu. On peut lui trouver le charme quelque peu funèbre d’une promenade au milieu des anciens décors d’une splendeur passée et dont Charles Laughton serait le guide facétieux. Un musée de cire en somme dont les figures rejoueraient pour un moment les scènes qui ont assuré leur célébrité.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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