Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1968 - Mario Caïano
Titres alternatifs : Un treno per Durango
Interprètes : Anthony Steffen, Enrico Maria Salerno, Mark Damon, Dominique Boschero

retrospective

Un train pour Durango

Deux aventuriers sans le sou, un mexicain (Lucas) et un américain (Gringo), vagabondent dans le Mexique de la révolution. Dans un train en partance pour la ville de Durango et convoyant un coffre-fort rempli d’or, Gringo fait la connaissance d’Hélène, une riche et très belle « journaliste ». Le train est bientôt attaqué par la bande de Lobo, un peu révolutionnaire et beaucoup bandit de grand chemin, qui s’enfuit avec et le coffre et la belle. Nos deux comparses réussissent de leur côté à mettre la main sur les deux clés permettant d’ouvrir le coffre-fort et sur lequel les bandits se cassent les dents. Ils entament un périple pour retrouver la bande, subtiliser l’or et retrouver Hélène, sporadiquement aidés par Brown, un mystérieux sauveur qui apparait et disparait aux moments opportuns.

Pour l’anecdote, UN TRAIN POUR DURANGO fera l’objet d’une adaptation en roman-photo, comme cela se faisait beaucoup à l’époque, notamment pour les westerns. Plus précisément, dans le Star-cine Bravoure n°165 de juillet 1970, un peu plus d’un an après sa sortie en salle française donc. Les personnages y sont renommés Manuel (pour le « Gringo »), Tom (pour Lucas), Betty (pour Hélène), Porfirio (Heraclio) … Et nos héros achètent un billet de train à destination de Redwater, ce qui brouille définitivement toute tentative de donner sens au titre ! Le format Roman-Photo ne permet pas de faire ressortir le côté comique du film, il n’en subsiste donc que le volet aventures.

UN TRAIN POUR DURANGO… son titre n’est pas l’élément fort du film. On sait que nombre de titres de westerns italiens jouent d’une dimension incantatoire, soit en scandant le nom du héros (Django, Ringo, Trinita, Sartana, Sabatta et tant d’autres), soit par une formule de menace. Parfois cependant, le titre réfère spécifiquement au thème du film. Ni l’un, ni l’autre ici, UN TRAIN POUR DURANGO renvoie simplement à la destination du train, laquelle non seulement n’est jamais atteinte, mais n’est même pas un enjeu du film, pas plus d’ailleurs que ne l’est le train lui-même, simple péripétie dans le récit. Bref, un titre passe-partout et peu inspiré.

Ce qui sort un peu le film du lot, c’est qu’il s’agit d’une comédie. Le western italien, du moins à partir de l’explosion engendrée par POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS, se développe initialement avec des films durs et violents. La comédie, pourtant présente dans les westerns de Sergio Leone, ne prendra véritablement le dessus qu’avec le triomphe commercial des TRINITA (1971). En 1968, alors que le western italien est à son apogée, les productions ouvertement comiques sont encore rares. Cependant, ici, les gags ne se révèlent pas tous très inspirés, l’ensemble manque d’écriture et de nervosité.
On doit donc se tourner vers le côté aventure pour apprécier cet opus. De ce point de vue, la livraison est honnête, Caïano déroule des péripéties nombreuses quoique classiques. Le film divertit, sans cependant laisser une empreinte spécifique.

Ce clacissisme, on le retrouve d’ailleurs dans les personnages qui sont typiques du western italien : tous motivés par la quête du butin, aussi bien les bandits-révolutionnaires que Lucas et Gringo ou qu’Hélène, parfaitement opportuniste, sans compter l’escroc de service. La galerie rassemble les naïfs, les idiots, les roublards, les calculateurs… ce sont moins des personnages que des archétypes de la comedia dell arte.

On sait que le western italien parle très nettement moins des grands thèmes de la conquête américaine que de préoccupations nettement latines : des vendettas et des chasses au trésor. Le western n’est qu’un décor où décliner ces thèmes.

On l’a dit, « Durango » n’est donc ici pas le nom d’un personnage, en dépit de consonances proche de « Django », ce qui n’était certainement pas neutre. Il s’agit de la capitale de l’état homonyme du Mexique. Ultérieurement, Durango sera le nom d’une série de bande dessinée inspirée du western italien, créée en 1981 par Yves Swolfs. Au cinéma, Durango réfère cependant à une série de westerns américains de série B, les « Durango kid » tournés dans les années ’40. Il y en eut une soixantaine entre 1940 et 1952. Il s’agissait d’un ersatz de Zorro. Soyons sûr que les auteurs d’UN TRAIN POUR DURANGO ont dû en voir dans leur jeunesse, de même que le public visé par UN TRAIN POUR DURANGO. En France, quelques épisodes du Durango kid sont sortis en salle : DURANGO SUR LES PISTES DE L’OUEST, DURANGO ET LE BANDIT FANTÔME, DURANGO SEUL CONTRE TOUS, DURANGO LE MYSTÉRIEUX, DURANGO JUSTICIER DU DÉSERT, DURANGO ROI DE LA PAMPA. Ces serials d’une grosse demi-heure chacun sont arrivés en France en 1947-48. Nul doute qu’il a dû en être de même en Italie… ce qui explique peut-être que le premier western de Mario Caïano ait été un autre ersatz de Zorro avec LA GRIFFE DU COYOTE. Par la suite, le western italien de série B utilisera encore le patronyme dans DURANGO, ENCAISSE OU TUE (aka VIVA DURANGO, aka ARRIVA DURANGO : PAGA O MUORI, 1970) de Roberto Bianchi-Montero (chroniqué sur Sueurs Froides).

Mario Caïano est un des artisans classiques du cinéma populaire italien de l’après-guerre, dont la carrière peut grossièrement se diviser en différente périodes qui suivent les modes de l’époque : les péplums font places aux westerns qui s’effacent devant les policiers, eux-mêmes évincés par les films tournés pour la télévision où Mario Caïano réoriente sa carrière dès 1982.

Pour le cinéma, c’est incontestablement dans le western qu’il aura le plus souvent œuvré, livrant une dizaine de films entre 1962 et 1973. Il précède le renouveau initié par Sergio Leone, avec une adaptation d’un épigone de Zorro provenant d’une BD : LA GRIFFE DU COYOTE (1962, IL SEGNO DEL COYOTE). Il enchaine avec ET POUR UN WHISKY DE PLUS, lequel tourné en 1963 ne sort en France qu’en 1968, ce qui explique un titre référant à l’évidence à ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS de Sergio Leone. Ce petit western italo espagnol, intitulé originellement CAVALCA E UCCIDI ou BRANDY connaitra d’autres exploitations sous les titres CHEVAUCHE ET TUE, LA VILLE SANS LOI ou encore LE SHÉRIF DE GOLDEN CITY. L’attribution de ET POUR UN WHISKY DE PLUS à Mario Caïano est discutée car selon certaines sources, il n’aurait été qu’assistant du réalisateur José Luis Borau. Par la suite, on doit encore à Mario Caïano MON COLT FAIT LA LOI (aka COLT ET DOLLARS en Belgique ou LE PISTOLE NON DISCUTONO en Italie, 1964) et UN CERCUEIL POUR LE SHERIFF (1965, UNA BARA PER LO SCERIFFO) dont l’affiche française de 1968, avec son Anthony Steffen trainant un cercueil, réfère clairement au DJANGO de Sergio Corbucci (1965). Puis vient LA VENGEANCE DE RINGO (RINGO, IL VOLTO DELLA VENDETTA, 1966) qui louche bien évidemment sur le triomphe public d’UN PISTOLET POUR RINGO de Duccio Tessari. Lequel n’a pas dû lui en tenir rigueur puisqu’il scénarise par la suite UN TRAIN POUR DURANGO. En 1968 sort en France ADIOS HOMBRE, qu’on prendra garde à ne pas confondre avec SALUDOS HOMBRE (aka CORRI UOMO, CORRI) de Sergio Sollima sorti quelques mois plus tard. Il s’agit en réalité de SETTE PISTOLE PER UN MASSACRO, tourné l’année d’avant, à peu près en même temps que le UN TRAIN POUR DURANGO qui nous occupe ici. En 1968, Mario Caïano réalise encore SON NOM CRIE VENGEANCE (IL SUO NOME GRIDAVA VENDETTA) puis s’éloigne du western pour y revenir une ultime fois en 1972 avec (ON M’APPELLE) SHANGAÏ JOE (IL MIO NOME È SHANGHAI JOE). Des films placés comme on le voit dans l’ombre de Zorro, de Sergio Leone, de Sergio Corbucci, de Duccio Tessari… Caïano même s’il réalise parfois des westerns intéressants ne livre pas une œuvre réellement marquante à même de l’imposer comme un auteur indispensable du genre.

En France, UN TRAIN POUR DURANGO est sorti le 26 février 1969. Il a été amputé de quelques séquences, qui ont fort heureusement été réintégrées dans le montage complet édité en dvd en 2013 par Artus. Par pure coïncidence, cette même année 2013 voit arriver sur nos écrans un autre western comique mais qui intègre des passages violents, où l’on retrouve également un train, un enjeu financier, un couple de héros ratés… : THE LONE RANGER. Celui-ci est une nouvelle adaptation d’un feuilleton radio des années ’30, qui avait déjà connu quelques déclinaisons ciné dans les années ’50, et il présente un héros masqué dans la digne tradition de Zorro. Un collègue du Durango Kid évoqué plus haut comme lointain ancêtre d’UN TRAIN POUR DURANGO.

UN TRAIN POUR DURANGO n’est donc pas un incontournable du western italien. Il s’inscrit dans la veine comique du Buddy movie, mais le résultat est très inégal et fort léger. L’ensemble manque de maitrise, les personnages ne sont que trop esquissés, on cherche en vain les trouvailles ou quelque élément qui ferait saillir le film et le sortirait du lot.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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