Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1969 - Tonino Valerii
Titres alternatifs : Il prezzo de la potere, Ringo y el prezio del poder, A bullet for the president
Interprètes : Giuliano Gemma, Van Johnson, Warren Vanders, Ray Saunders, Fernando Rey, Antonio Casas, Benito Stefanelli

retrospective

Texas

Le Président des Etats-Unis décide d’une tournée expliquant sa politique démocrate, et décide, contre l’avis de ses conseillers de faire un discours au cœur du Texas vaincu de l’après-guerre de sécession. A Dallas, les notables locaux, du sheriff Jefferson (du même nom que le président confédéré !) au Gouverneur, en passant par le puissant banquier Pinkerton, n’apprécient pas du tout cette politique, au point qu’ils complotent pour l’assassiner, ce qui ferait accéder à la fonction suprême le vice-président qui se trouve sous leur contrôle. Ils s’appuient sur Wallace, un ancien soldat confédéré devenu bandit mais qui n’a pas renoncé à recommencer la guerre. Mais sur leur chemin se dresse William Willer, enfant du pays ayant combattu pour le nord. William vuet se venger de ceux qui ont fait assassiner son père et entend protéger son ami noir Jack, que les notables de cet état ségrégationniste verraient bien porter le chapeau de leur turpitudes. Autre difficulté pour ces derniers, le président est protégé par l’intelligent Arthur Mac Donald. Le prix du pouvoir se paiera dans le sang.

Tonino Valerii a débuté sa carrière de réalisateur dans le western, genre qu’il aura investi à plusieurs reprises : LANKY, L’HOMME À LA CARABINE (1966), LE DERNIER JOUR DE LA COLÈRE (1967), le TEXAS qui nous occupe (1969). Viendront encore ensuite UNE RAISON POUR VIVRE, UNE RAISON POUR MOURIR (1972, aka LA HORDE DES SALOPARDS) et bien évidemment le titre qui aura fait sa gloire, MON NOM EST PERSONNE (1973), produit par Sergio Leone… pour qui Tonino Valerii aura été assistant sur POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS et sur ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS.

TEXAS a connu deux vies en France. La première est celle de sa sortie d’époque en salle, le 25 novembre 1969, la seconde celle de sa redécouverte par l’édition dvd intégrale. A l’époque, le western italien est certes un genre en vogue, mais qui reste cantonné aux salles populaires. C’est un « produit », alors peu considéré par les distributeurs et les exploitants qui ne se privent pas de le remanier à leur guise. Ainsi, le long IL PREZZO DE LA POTERE (1h48) se voit amputé pour sa sortie française d’une bonne vingtaine de minutes pour être ramené à la durée standard d’une heure trente, privilégiée par les exploitants afin de pouvoir programmer un maximum de séances quotidiennes. Ce charcutage se fera au mépris de l’intrigue, le distributeur privilégiant les séquences d’action. Ainsi massacré, il va sans dire que le film est alors considéré comme un petit western d’aventure. La réintégration de ces séquences dans le montage complet édité en 2013 en dvd par Artus permet de redécouvrir un film d’une autre ampleur, dans lequel, sans s’effacer, l’action cohabite avec les motifs qui la sous-tendent. La machination politique prend le pas et donne sa véritable dimension à TEXAS.

Les différents titres d’exploitation sont d’ailleurs un indicateur intéressant. Alors qu’au titre original, qui signifie littéralement « le prix du pouvoir » et réfère au thème réel du film, le distributeur français a préféré le très neutre et absolument insignifiant TEXAS, lequel, hormis l’indication de lieu, ne nous donne aucun élément réellement pertinent. Parfait pour un montage recentré sur l’action donc. D’autres pays ont opté pour un angle différent : un hispanique RINGO Y EL PREZIO DEL PODER accole donc abusivement le nom du héros qui a révélé Giuliano Gemma au public et au western quelques années plus tôt. Le procédé fait alors florès, il n’est qu’à évoquer la cohorte des faux Django qui sévira longtemps. Un autre titre, utilisé dans l’espace anglo-saxon est plus direct : A BULLET FOR THE PRESIDENT. Alors que l’Amérique reste traumatisée par l’assassinat de Kennedy, ce dernier titre souligne si besoin était l’allusion du scénario de Valerii.

On l’a dit, la distribution française a gommé en partie la portée politique du film, ce qui se vérifie également dans le doublage ou le président objet de l’attentat est remplacé par la traduction par un « gouverneur », ce qui nous éloigne évidemment de la référence à Kennedy. Peut-être un historien pointilleux a-t-il décrété qu’on ne pouvait laisser assassiner dans un western un président alors que celui en place à l’époque aux USA n’a pas terminé ainsi sa carrière.

Pourtant, l’intention de Valerii est limpide et l’analogie avec l’assassinat de Kennedy, alors tout récent, patente : la parade en rue, les tireurs embusqués en hauteur, la confusion entretenue avec un innocent, l’angle de tir invalide pour ce dernier. Et pour relier le tout à l’Histoire, ce président, dont, notons-le, Valerii ne nous donne jamais le nom, est à plusieurs reprises placé dans le champ juste devant un portrait de Lincoln, à la fois à la base de la loi abolitionniste… et qui finit, lui, bel et bien assassiné. Le président de TEXAS aurait sinon bien pu être James Garfield, également assassiné en 1881.

Le scénario de Valerii privilégie les machinations politiques, avec des pions qu’on contrôle, des hommes de mains qu’on sacrifie, des personnages peu reluisants sur lesquels on s’appuie. Rythmiquement, il joue de la dualité entre les personnages de Mac Donald et Willer, le premier est un politicien qui, bien qu’intègre, connait les rouages et la raison d’état, tandis que Willer est le héros populaire, plus dans l’action, moins porté sur la réflexion quoiqu’intelligent et astucieux. Giuliano Gemma, acteur régulier chez Valerii, y est évidemment parfait.

Nous sommes en 1969. Le western italien va bientôt entamer son déclin, mais pour l‘heure, il brille encore de mille feux et se déploie dans divers genre. On lui connait une variante politique de gauche dans laquelle s’est illustré Sergio Sollima avec ses « peones » trouvant le chemin de la révolution. Dénonçant ici moins la sujétion des pauvres que l’amoralité politique, on peut raccrocher TEXAS au western de veine politique.

On se demande comment il a été perçu en Italie, pays dont l’antagonisme sud-nord, même s’il n’a jamais débouché sur une guerre civile, reste une clé de lecture politique. L’Italie, toujours politiquement instable, va connaitre au long des années ’70 et ‘80, dites de plomb, une série d’attentats politiques. Celui montré dans TEXAS a-t-il alors « parlé » au public italien ? Moins de dix ans après TEXAS, Aldo Moro, ancien Président du Conseil sera enlevé et assassiné par les Brigades rouges.

L’intrigue et sa pertinence par rapport à l’époque est donc le point fort de ce très bon western, réalisé qui plus est par un des plus talentueux artisans de son temps. Faisant sens et parfaitement distrayant, il répond à tout ce qu’on est en droit d’attendre d’un grand spectacle populaire.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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