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Giallo tardif, puisqu’il sort en 1992, Body Puzzle permet à Lamberto Bava de nous livrer une symphonie macabre.
Lors d’une nuit tragique, un motard perd la vie. Comme souvent cela arrive, ses organes sont donnés à des patients en attente de greffe. Malheureusement, un assassin en décide autrement. Il parcourt la ville et frappe un par un les personnes ayant reçu ces organes afin de les prélever dans le but de redonner vie à son ami. Dès lors, Tracy, la veuve du défunt et l’inspecteur placé sur l’affaire vont devoir tout faire pour l’empêcher d’agir.
Giallo ou thriller ?
Très giallo dans sa forme et son esthétique, Body Puzzle emprunte également au film de psycho killer, mais aussi au thriller puisqu’on suit au début le tueur, pour ensuite découvrir deux personnages : celui d’une femme qui semble intéresser le tueur et en parallèle les policiers qui mènent l’enquête. Le film semble d’ailleurs jongler d’un point de vue à un autre, tantôt de la femme qui s’interroge, tantôt sur le policier qui mène l’enquête, tantôt sur le tueur. Ce qui peut perturber, car le spectateur n’aura pas un fil conducteur clair avant la moitié du film.
Il paraît évident que Lamberto Bava a conscience que le giallo n’est plus à la mode, que le thriller horrifique américain a réécrit les codes du genre. Aussi n’est-il pas si étonnant qu’il se concentre sur l’assassin pour lequel il a choisi un comédien aux traits de son visage très particuliers. Il peut faire penser à Jérémie Renier, le comédien français qui a beaucoup joué pour François Ozon notamment sur ses thrillers. Ce n’est pas très étonnant, puisqu’il s’agit d’un comédien français.
Un Frankenstein à l’italienne ?
Ainsi Body Puzzle est très inspiré par des mythes de tueur et de monstres classiques. L’assassin veut recomposer un corps à partir de morceaux qu’il prélève sur ses victimes, faisant penser à Frankenstein, tandis que ses prélèvements font penser directement les policiers à Jack L’Éventreur, le célèbre assassin londonien du 19e. À cela s’ajoute l’aspect psychologique du tueur, on a l’évènement qui déclenche le processus meurtrier dans la scène d’ouverture, qui, à la manière d’un Colombo, nous révèle déjà tout ce qu’il y a à savoir sur l’assassin.
À cela s’ajoutent des scènes de meurtres particulièrement violentes, particulièrement violentes, graphiques et glauques, ce qui épouse les codes du genre giallesque. Le tueur va se montrer de plus en plus imaginatif, de plus en plus décomplexé, à la manière d’un tueur en série qui, n’étant pas pris, va monter crescendo dans l’audace macabre. En outre, ces scènes de meurtres sont assez enfermées, dans le décor, par le cadre, par le lieu, à l’exception des deux dernières.
Une mise en scène travaillée
À l’inverse, la maison de l’héroïne est vaste, presque labyrinthique, avec des pièces qui offrent des décors très différents les uns des autres. Il y a une partie qui semble ancienne, pour autant, la première fois qu’on la découvre, elle se trouve dans une partie moderne où il y a une enfilade de pièces, de la profondeur, des volumes et des formes géométriques. Les cadres sont assez recherchés, très composés, et mettent en valeur les trois protagonistes. La caméra colle au regard et au visage du tueur, le cadre s’adapte pour englober le couteau dès que quelqu’un le saisit, pour le mettre en avant, le rendant d’autant plus menaçant.
On sent que ce film est l’héritier de tout un cinéma d’horreur, qu’il peut pousser ses mises à mort parce que depuis, le giallo et le slasher ont exploré de nombreuses manières de tuer et qu’il se doit d’aller plus loin. Comme la recherche sur les tueurs en série, dans les années 90, est assez aboutie pour qu’on puisse se permettre d’explorer les méandres de l’esprit du tueur.
Une symphonie macabre
Qui passe par la musique. En effet, c’est la survenue du poème symphonique Une nuit sur le mont Chauve de Modeste Moussorgski qui provoque la pulsion meurtrière, qui accompagne l’acte de tuer. À l’inverse, la musique électronique, plus identifiable au giallo des années 80, colle au personnage féminin, tandis que le policier bénéficie d’une musique jazzy avec un saxophone comme pour souligner son caractère charmeur. Cette variété musicale offre une atmosphère particulière au film, loin des bandes originales souvent répétitives des giallos. Il est à noter, cependant, que Une nuit sur le mont Chauve de Modeste Moussorgski, pourtant thème principal du film, n’était pas le premier choix du réalisateur. En effet, il avait en premier lieu utilisé la musique d’Orff, mais sans toutefois payer les droits, ce qui amena le film à ressortir avec une autre musique. Cette problématique juridique est sans nul doute la cause de son manque de succès en salle, puisque cela les obligea aussi à changer le titre du film.
On peut également noter le soin apporté aux costumes, comme cette femme en peignoir rouge accompagnée de son chien qui peut faire penser au petit chaperon rouge, ou bien l’employé tué au début dont la tenue vintage avec son gilet d’homme épouse le décor boisé et ancien. Les bonbons qui roulent en cascade lorsqu’il meurt composent d’ailleurs un joli effet de mouvement, mais aussi de contraste entre l’innocence liée aux bonbons, le caractère confortable du décor, mais aussi la mort et son côté gore.
Intemporel ?
Le film semble atemporel. Rare sont les marqueurs temporels, tels que les écouteurs que porte le meurtrier qui paraissent aujourd’hui ordinaires, presque banal, même si ce ne l’était à l’époque. Ni les policiers ni les personnages n’utilisent de téléphone et aucune technologie n’apparait, ni ordinateur, ni machine à écrire, de sorte que, on a le sentiment que Body Puzzle pourrait tout autant appartenir aux années 80 qu’avoir été tourné hier. Le seul marqueur temporel est les couleurs du film, ou plutôt, leur absence.
Le cinéma italien des années 70 était très coloré, celui des années 80 clinquant, mais les années 90 sont marqués par des tons froids, assez cliniques, qu’épouse le film. Autre particularité, contrairement à beaucoup de giallos qui choisissent comme décor une ville à l’architecture marquée qui sera soulignée dans des plans en extérieurs, Body Puzzle reste assez anonyme. Il n’y a pas de plan général de la ville ni mention de celle-ci. On reste dans les intérieurs, hormis en deux scènes de course poursuite, mais où les phares éblouissants empêchent une réelle identification des lieux. Ainsi, Body Puzzle semble hors du temps et hors de l’espace, comme si la musique nous détachait de tout.
En conclusion
Comme tout giallo, Body Puzzle ne cherche pas toujours à se montrer crédible. Ainsi, la scène de meurtre en pleine salle de classe étonnera, du manque de réaction des enfants y assistant, tout comme le fait que les policiers supposés protéger les victimes potentielles oublient tout protocole et toute prudence. À l’inverse de beaucoup de giallos, en revanche, le personnage du policier n’est ni perturbé, ni impliqué, ni retors. Il est plutôt séducteur, en particulier vis-à-vis des victimes qu’il cherche à protéger. Ce qui renforce l’impression que Body Puzzle est bien un film à part, une sorte d’ovni tant dans la filmographie de Lamberto Bava que dans le paysage cinématographique italien.
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Article rédigé par Sophie Schweitzer
Ses films préférés - Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà - Ses auteurs préférés - Oscar Wilde, Sheridan LeFanu, Richard Mattheson, Stephen King et Poppy Z Brite