Un texte signé Philippe Mertens

Turquie - 1973 - Tevfik Fikret Uçak
Titres alternatifs : UC Dev Adam
Interprètes : Dogan Tamer, Mine Sun, Aytekkin Akkaya, Deniz Arkanat, Yavuz Selekman, Tevfik Sen

retrospective

3 Dev Adam

Spiderman (Deniz Erkanat) et ses hommes poursuivent une femme sur la plage. Ils l’attrapent, l’enterrent jusqu’au cou dans le sable et la tuent sauvagement à l’aide d’une hélice de bateau. A Istanbul, l’homme araignée est un criminel sadique et pervers.
La police turque appelle donc à la rescousse deux supers héros pour faire régner l’ordre. Captain America (Aytekin Akkaya) et El Santo (Yavuz Selekman) débarquent sur le Bosphore accompagnés d’une femme espion, Julia. Celle-ci se rend à un défilé de mode pour enquêter sur Nadja, la femme de Spiderman. Alors qu’elle fouille des tiroirs à la recherche de secrets bien cachés, elle est capturée par les hommes de main de l’araignée et emmenée dans une voiture. A l’aide de sa montre gadget, elle envoie un signal à Captain America qui vient la délivrer alors qu’elle se fait torturer par d’affreux sbires. En sortant de sa cachette, Captain doit affronter Spiderman qui parvient lâchement à s’enfuir. Pendant ce temps, El Santo est parti enquêter chez un marchant d’art où il découvre les preuves d’un important trafic d’antiquités dans lequel Spiderman est impliqué. Il doit se débarrasser de l’antiquaire avant de se battre contre quelques karatekas dans une salle de sport.
Mais arrêtons de dévoiler l’histoire. De toute manière, il faudrait probablement regarder une dizaine de fois ce film avant de saisir toutes les « subtilités » de ce qu’on doit bien appeler, faute de mieux, le scénario. Le producteur n’a clairement pas offert beaucoup de moyens pour imaginer quelque chose qui tienne debout. Vous croyez avoir un instant saisi le fil de l’aventure pour immédiatement tomber sur une scène ou un évènement inopinés et absolument incompréhensibles. Ne nous embarrassons donc pas avec ces « détails ».
Le cinéma fantastique local a une longue tradition du remake à la turque. On prend un classique ou un succès du moment, on l’assaisonne à la mode du Bosphore et cela donne un cinéma étrange et exotique au goût d’ailleurs. Divers réalisateurs ont ainsi remodelé DRACULA (Drakula istambulda – 1953) STAR WARS (Dunyayi kurtaran adam – 1982), STAR TREK (Uzay yolunda- 1973), BATMAN (Uçan Kiz -1972), l’EXORCISTE (Seytan – 1974), TARZAN (Disi Tarzan -1971) et quantités d’autres encore1 qui doivent probablement regorger d’heureuses (?) surprises.
Ce UC DEV ADAM ne se préoccupe guère des droits d’auteurs et nous propose une affiche alléchante où ne figurent pas moins de trois supers héros. El Santo, le catcheur masqué mexicain, Captain America sans son habituel bouclier et un Spiderman vêtu de vert (?) et de rouge, dans le rôle du super méchant.
Autre originalité, El Santo et Captain nous sont présentés en civils… comprenez sans leurs vêtements de travail. Ce qui est, pour le plus célèbre luchador mexicain, un cas unique. L’identité réelle d’un catcheur masqué est un secret très bien gardé de l’autre côté du Rio Grande.
Mais revenons à l’action. Elle donne l’impression d’avoir été mise en scène pour des enfants de six ans. Mais il y a un hic, et il est de taille : la présence de plusieurs scènes de striptease, d’une scène dénudée dans la douche, de Spiderman et de sa femme qui font l’amour (pour les amateurs de trivialité, l’homme araignée quitte son costume pour accomplir son devoir conjugal). Reconnaissons le, tout ça ferait tâche dans un produit destiné aux plus petits.
Caramba. UC DEV ADAM était donc réservé aux adultes. Mais, il est devenu bien difficile de le regarder au premier degré. Pour tenir jusqu’au bout, il nous faut le prendre avec du recul et une bonne dose d’humour. Ce qui n’est pas plus mal, ce sont précisément ses innombrables défauts qui transforment ce nanar en film culte. Les costumes sont kitschissimes, les scènes de combats peu crédibles, les acteurs ont autant de charisme qu’un fer à repasser, la caméra navigue à vue et la qualité de l’image est rarement au rendez-vous.
Mais il a heureusement aussi des charmes cachés. A y regarder de plus près, on s’amuse d’une histoire sans queue ni tête, qui saute du coq à l’âne. On rit de voir de mauvais acteurs défoncer des panneaux de contre-plaqués au cours de piètres combats. On prend un malin plaisir à voir d’inoffensives gerboises dévorer le visage d’un acteur qui simule mal la douleur. Et puis surtout, on est fasciné par un super héros aux sourcils énormes qui se bat dans un pyjama trop grand pour lui. C’est triste à dire, mais le mauvais cinéma a encore de beaux jours devant lui.

1 Lire à ce propos l’excellent ouvrage « Fantastik türk sinemasi » de Giovanni Scognamillo et Metin Demirhan (1999 – éditions Kabalci). L’ouvrage est hélas uniquement disponible en turc mais avec un bref résumé en anglais. Ce sont les illustrations qui en font le principal intérêt avec les abondantes reproductions de photos, d’affiches et de lobby cards de ces « chefs d’œuvres » oubliés de la série Z.


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- Article rédigé par : Philippe Mertens

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