BIFFF 2008 - Quelques jours dans la peau d’un zombie par Philippe Delvaux

6. BIFFF 2008 – Asia rules

On note l’absence des grands noms des dernières années. Sauf le Thaïlandais Oxyde Pang, pas de nouveau Nakata, Miike, Kitamura (on attendait pourtant son MIDNIGHT TRAIN), Shimizu, Tsukamoto… Ce sont donc une tripotée de réalisateurs qui n’ont jusqu’à présent jamais présentés de films au BIFFF. Du sang neuf ! Mais le rhésus est-il ‘globulement’ – euh globalement – positif ou négatif ?
Il est en tout état de cause abondant. Car comme de coutume depuis une décennie, la domination asiatique est impressionnante : un quart de la programmation totale, le plus souvent dans la grande salle et dans les meilleures plages horaires. Et sur les 21 films asiatiques, 11 nous viennent du seul Japon. Le soleil rouge du drapeau de l’empire du Soleil Levant luit de reflets sanglants.
Mais le fantastique asiatique ne se résume pas au Japon et le BIFFF défriche des terres moins bien connues de l’amateur. Nous avons ainsi eu droit à THE WALL PASSER (Taïwan), THE MATRIMONY (Chine) et KALA (Indonésie).

De Hong-Kong, grand centre de production mondiale, seul GONG TAU, le dernier Herman Yau a trouvé le chemin du Festival. Le trip déviant du réalisateur d’EBOLA SYNDROM est chroniqué par ailleurs sur Sueurs Froides.

La Thaïlande et la Corée sont revenues plus ou moins en même temps sur la scène cinéphilique internationale, tant pour leur cinéma d’auteur que pour des films plus populaires et commerciaux. Le festival 2008 a pêché 3 productions de chacun de ces pays.
La Thaïlande nous a toujours laissé une impression de cinéma de genre un peu foutraque, plein d’idées mais parfois mal amenées, ce que confirme à notre sens les trois films sélectionnés. Ainsi, THE DETECTIVE, le dernier Oxyde Pang, est à l’image de toute sa filmographie : pas mauvais mais on attend en vain le grand film qui justifiera la réputation jusqu’ici surfaite des frères Pang. Nous avons plus de mal à jauger de THE HOUSE qui a été projeté en fin de nuit, soit entre 6 heures et 8h30 du matin. Nous en étions déjà à notre 7e film successif et la fatigue nous a fait lâcher prise dans le dernier quart d’heure. Ce film de fantôme post RINGU est peut-être bon mais certainement pas révolutionnaire. Enfin, 13 BELOVED a plu au public et au jury lequel lui a décerné le Golden Raven. Pour notre part, nous tempèrerons l’enthousiasme. 13 BELOVED nous est apparu comme un honnête divertissement enrichi d’une thématique (le renoncement moral pour de l’argent) mais très artificiel et plombé par de nombreuses incohérences que le scénario oublie d’expliquer ou de justifier. Quant à la scène choc du repas, Pasoloni nous l’a déjà servie dans son tétanisant 120 JOURNEES DE SODOME. Que le jury ait préféré 13 BELOVED à STUCK, autrement mieux charpenté pour une thématique finalement assez proche, restera toujours un grand mystère.
La Corée confirme la qualité de ses directeurs de photographie (pour l’instant peut-être les meilleurs au monde) mais pourtant ni EPITAPH, ni SHADOWS IN THE PALACE ne nous ont vraiment convaincus (faute de l’avoir vu, nous ne parlerons pas du 3e film Coréen, WIDE AWAKE). Dans les deux cas, le script est inutilement compliqué et multiplie les twists au point de perdre son audience. Le cas était flagrant pour EPITAPH et lorsqu’il est perdu, le public du BIFFF peut se montrer assez cruel envers un film. Le Coréen Bong John Ho (réalisateur des excellents MEMORIES OF MURDER et THE HOST – Golden Raven d’un précédent festival) nous confiait d’ailleurs être lui-même assez confus face au métrage de son compatriote.

L’animation japonaise était présente en force avec trois longs métrages. Mais pour un Hayao Miyazaki, un Katsuhiro Otomo, un Satoshi Kon ou un Mamoru Oshii, combien de simples faiseurs ou d’horribles tâcherons. L’animé est une industrie puissante d’où de vrais auteurs émergent avec peine. Ainsi ni APPLESEEDS EX MACHINA, ni VEXILLE (lorgnant très fort sur l’animation d’APPLESEED) ni FIST OF THE NORTH STAR ne nous ont fait bonne impression. Techniquement, ce sont de bons produits. Mais ce ne sont que des produits, pas des œuvres. Il leur manque cette touche qui transcenderait leur réalisation. En outre, en dehors des péripéties de leur intrigue, on cherche en vain ce que ces films entendent nous dire. Rien sans doute, à part VEXILLE malgré son approche bien trop naïve.
Pour le reste l’abondance japonaise permet une déclinaison d’approches : le mockumentary DAI NIPPONJIN, les séries Z assumées (et réussies) avec THE MACHINE GIRL et X-CROSS, le film d’horreur traditionnel (et raté) THE VANISHED, la romance ‘gnangnan’ SWEET RAIN, la tentative réflexive sur l’élément constitutif de l’horreur post-Ring avec EXTE et le film formaliste d’époque et de serial killer avec SHADOW SPIRIT (et pour être complet, citons encore LOVE RUNS FASTER THAN BLOOD que nous n’avons pas vu).

Le mockumentaire est à la mode. Le BIFFF programmait ainsi AMERICAN ZOMBIE (des documentaristes interviewent de « véritables » zombies), Offscreen nous proposait BROTHERS OF THE HEAD (le « véritable » parcours de frères siamois dans un groupe punk de 1975). Le regain des documentaires, l’arrivée des caméras numériques, l’intérêt télévisuel mais aussi du net pour le vécu et le réel favorisent ces déclinaisons parodiques. A côté des mockumentaires, les films qui prennent la forme de reportages captés sur le vif et retrouvés ultérieurement, lancés par quelques ancêtres (au hasard, CANNIBAL HOLOCAUST, THE BLAIR WITCH PROJECT…) ne se sont jamais aussi bien portés. CLOVERFIELD triomphe au box office et le BIFFF programme le DIARY OF THE DEAD de Georges Romero ainsi que le [REC] de Balaguero et Plaza. Et pour revenir au mockumentaire pur, du Japon nous venait DAI-NIPPONJIN, présenté en ouverture du festival (dans la petite salle). Ce pseudo documentaire présente la vie de tous les jours du dernier super héros japonais en activité, qui repousse les monstres géants dans l’indifférence générale ou le mépris de ses compatriotes. L’année dernière, une pareille entreprise de démythification du super héros avait déjà été entreprise par quelques films présentés au BIFFF. DAI-NIPPONJIN n’est pas exempt de défauts (notamment de rythme) mais mérite une vision pour son caractère décalé.

THE MACHINE GIRL et X-CROSS sont de purs produits de festivals et dont la carrière en Dvd semble dores et déjà assurée. Dans le premier, une adolescente qui a vu son frère tabassé à mort par un fils de yakuza cherche revanche. Un premier affrontement tourne au drame et elle y laisse un bras… qui sera avantageusement remplacé par une série d’armes prothèses. Dans le second, deux jeunes femmes se rendent dans une station thermale reculée, l’une d’entre elle fuyant une rupture amoureuse douloureuse. Mais les villageois sont parfaitement timbrés et entendent sacrifier les jambes de nos donzelles aux déesses locales. Dans les deux cas, on se trouve en présence de purs délires nippons mêlant outrance et grand guignol dans un fatras réjouissant. Frédéric Pizzoferatto vous en dit plus sur X-CROSS sur Sueurs Froides.

THE VANISHED voit un homme enquêter sur la disparition d’une classe d’enfants dans un petit village il y a de cela 38 ans ; des enfants qui semblent bien rôder autour du village et sur lesquels le temps n’a pas eu prise. La figure vampirique remplace celle du fantôme et c’est bien là la seule originalité d’un film pour le reste assez passe-partout.

SWEET RAIN et sa découpe en trois actes suit un ange de la mort (oui, un peu comme dans DEATH NOTE, mais en nettement plus sobre, comprendre « sans des CGI tout pourris ») qui doit juger si certains humains arrivés encore jeunes au terme qui leur a été fixé méritent bien de mourir. Le premier acte est une romance … et nous n’en dirons pas plus pour cause de sieste.

Roupillon que nous avons continué à la moitié de SHADOW SPIRIT. Au menu de ce dernier, le Tokyo des années ’50 (recrée avec les moyens du bord, ce n’est pas un gros budget), des filtres jaunes omniprésents et une intrigue un peu cafouilleuse.

On se réveille pour le nouveau Sono Sion, EXTE – HAIR EXTENSION. Le réalisateur a été révélé au BIFFF avec son SUICIDE CLUB. On lui doit également (entre autres) le splendide STRANGE CIRCUS. C’est donc peu dire qu’on attendait impatiemment sa relecture du film d’horreur façon RING. Les longs cheveux noirs et lisses sont devenus LA caractéristique inhérente du fantôme asiatique moderne depuis des années. Sono Sion fait donc de la chevelure le moteur de son intrigue. L’extension capillaire permet en outre de relier le corps fantomatique au monde des vivants (de la même manière que la greffe oculaire dans THE EYE). En soi, l’idée était prometteuse et augurait d’une œuvre forte. Hélas, la mise en scène assez peu inspirée et le jeu parfois trop nunuche ou trop outré des actrices réfrènent notre enthousiasme. Le résultat est clairement en deçà de nos attentes à l’égard d’un réalisateur de la trempe de Sono Sion.

On finira notre tour asiatique en soulignant que le festival programmait encore deux remakes américains de films asiatiques : la relecture de THE EYE (réalisée par Xavier palud et David Moreau, révélés par ILS) et celle de SHUTTER (production américaine à nouveau mais réalisée par un japonais et filmée en grande partie au Japon). Voyez notre article sur la tendance des remakes.

Au final, si l’Asie était quantitativement bien représentée, et si 13 BELOVED a reçu le grand prix, il ne nous semble pourtant pas qu’un métrage soit réellement sorti du lot. Une cuvée moyenne donc.

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