Un texte signé Patryck Ficini

France - 1957 - Arnaud G.J. (sous le pseudonyme de Saint-Gilles)

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Action à Froid

Groenland, 1957. Robert Hicherich est un aventurier d’origine française, une sorte d’agent secret à gages qui offre ses services au plus offrant – sauf à des états totalitaires, car il a ses principes comme on le verra au cours du roman. Des renards et un Esquimau sont contaminés par un mal mystérieux. Le peuple esquimau, ami de Hicherich, évoque le pouvoir des génies maléfiques. Hicherich en doute très sérieusement et pense plutôt à l’action délétère de radiations atomiques… Même si une étrange « sorcière » défigurée semble hanter les lieux…
Qui serait à l’origine d’éventuels essais atomiques ? Qui est la sorcière ? Autant de questions auxquelles Hicherich devra s’efforcer de répondre en montant une expédition vers la région en question. Bientôt allié à une très belle autant qu’impitoyable agent de la CIA, Hicherich aura fort à faire.
Climat et chiens de traîneaux obligent, on pense à lire cet excellent roman de G. J. Arnaud (alors caché sous le pseudonyme de Saint-Gilles à cause de l’existence du célèbre auteur du SALAIRE DE LA PEUR) à du Jack London. Le milieu décrit n’est pas si différent de celui de ses romans d’aventures se déroulant au Grand Nord et le très sympathique Hicherich (code de l’honneur et absence de racisme envers ses amis esquimaux) pourrait être l’un des ses héros. On pense aussi à certains Bob Morane (LE DIABLE DU LABRADOR, DES LOUPS SUR LA PISTE, le récent YUKON QUEST). Et bien sûr, comment ne pas voir dans ce décor gelé et enneigé les prémices de son immense saga de LA COMPAGNIE DES GLACES, à venir vingt ans plus tard.
G.J. Arnaud était là dans sa première période, écrivant du policier et de l’espionnage (comme ici) pour l’Arabesque ou Ferenczi (collection Feux Rouges). Un peu plus tard, il passera au Fleuve Noir, qui payait mieux, pour y inventer le Commander, l’anti-SAS au yeux de beaucoup, avec le succès que l’on sait. Ainsi que des Spécial-Police à la réputation enviable.
En fait, malgré la mauvaises presse (souvent injustifiée à nos yeux) de l’espionnage populaire (sans doute l’était-il trop pour certains), les romans du genre signés Arnaud font généralement bonne figure. Sans doute, au-delà de leurs évidentes qualités d’écriture et d’originalité, aussi pour des raisons politiques. Il n’y a guère que Gabriel Veraldi, dans son intéressant Que sais-je sur LE ROMAN D’ESPIONNAGE pour le démolir de façon outrancière et caricaturale. La démolition critique, comme d’ailleurs l’encensement, n’est d’ailleurs jamais éloignée de la caricature…
ACTION A FROID est passionnant de bout en bout et on appréciera la découverte du peuple esquimau, traité par Hicherich comme par Arnaud avec une absence totale de racisme ou même d’ethnocentrisme comme c’était souvent le cas à l’époque. Sans angélisme non plus – par cupidité, un Esquimau fait partie du camp des méchants. Arnaud montre bien les « bienfaits » que la civilisation a apportés/imposés à ce peuple comme à d’autres (alcool, bordel, exploitation des richesses naturelles et des habitants, et même ici radiations atomiques !). Tout le côté humaniste et écologique de l’oeuvre future de Arnaud est déjà là.
Hicherich est un bel héros, plus proche d’un Bob Morane (pour les principes et la proximité avec la nature) mâtiné d’Homme Sans Nom leonien (pour l’appât du gain) que d’un fonctionnaire de l’espionnage comme Coplan ou même James Bond.
Bond. Le climax du roman est une attaque de la base secrète des méchants par une tribu d’Esquimaux qui ne vont pas tarder à se faire massacrer par des Maoistes surarmés. Hicherich a 30 minutes pour les sortir de là avant qu’ils ne soient bombardés par les «gentils », c’est-à-dire les Américains, qui s’en moquent comme de leur premier uniforme. Le timing est serré et on est vraiment en plein final pré-Bondien. Comme quoi, si la critique est parfois prompte à voir du sous-James Bond dans nombre de produits des années 60, plus particulièrement au cinéma, il ne faut jamais oublier que l’on peut trouver des points communs entre les aventures de 007 et celles de collègues bien avant qu’il ne soit reconnu universellement. Ce, même s’il existait déjà en littérature depuis 1953.
Regrettons juste la fin poussive, avec bien deux chapitres de trop, sand doute pour tenir la distance et fournir les 190 pages réglementaires. ACTION A FROID aurait dû s’arrêter avec le climax précédent. L’histoire et le contexte originaux, alliés au style sans faille de Arnaud (même si on le connaîtra parfois moins brillant), font de ce roman un must de l’espionnage. Détail amusant : selon l’éditeur, Arnaud/Saint-Gilles rêvait alors d’écrire un grand roman d’aventures. A nos yeux, c’était déjà chose faite avec ACTION A FROID !


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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