Un texte signé Frédéric Pizzoferrato

Cameroun, France - 1985 - Alfonse Béni
Titres alternatifs : Cameroon Connection
Interprètes : Alfonse Béni, Bruce Le, Ariane Kah, Emmanuel Tengna, Paco Rabanne

retrospective

Cameroun Connection (1985) – Pif Paf à Yaoundé

Cameroun Connection est une petite production d’exploitation (on ne sait pas très bien laquelle, alors disons entre blaxploitation et bruceploitation) nous permet de découvrir le cinéma, complètement inconnu, camerounais.

L’intrigue est évidemment complètement abracadabrantesque, pour ne pas dire brouillonne et incompréhensible. Certes, le spectateur peut assez facilement suivre la trame principale rachitique mais beaucoup de scènes n’ont aucune utilité ou tombent comme un cheveu dans la soupe. De plus, certains rebondissement voulus surprenant laissent surtout totalement songeur. En gros, Béni joue son personnage fétiche de l’inspecteur Baïko et enquête, entre Yaoundé et Paris, sur une affaire d’assassinat de call-girl. Avec l’aide d’un asiatique expert en kung-fu (pléonasme ?) joué par Bruce Le, il dévoile une sombre histoire de corruption politique orchestrée par un sorcier local.Le film constitue surtout un égo-trip de son acteur principal, Alphonse Béni (1946 – 2023), comédien camerounais (plein de bonne volonté mais médiocre) à la filmographie improbable. Tout d’abord cinéaste, il se lance dans le court-métrage au Cameroun, au tout début des années ’70 et se caractérise par son indépendance financière. Il tourne ce qu’il veut, à savoir des films populaires, généralement méprisés par la critique. Courageux, Béni n’attend aucune aide de l’Etat et débute dans le long-métrage avec LES TRINGLEUSES (ou LES MECS, LES FLICS, LES PUTAINS). Il tourne ensuite plusieurs X (LES 69 POSITIONS, LES 69 PENETRATIONS,…) disponibles, comme souvent à l’époque, dans des montages soft ou hard. Comme il faut bien vivre, Béni fait l’acteur en France dans des productions aussi improbables que L’HOMME QUI VOULAIT VIOLER LE MONDE de Bénazéraf et se spécialise dans les rôles du « Noir de service » dans une palanquée de séries B tendance Z.

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Cela lui permet de se constituer un petit carnet d’adresse du bis des seventies, époque où les techniciens alternent sans honte polars fauchés, pornos et films plus « grand public ». Sur CAMEROUN CONNECTION il pourra ainsi engager une équipe française, notamment le cadreur Serge Godet (habitué de Pallardy) et le directeur de la photo Roger Fellous. Ce-dernier reste symptomatique d’une carrière façon grand écart, passant du classique HOTEL DU NORD pour se poursuivre par LES BIDASSES AUX GRANDES MANŒUVRES, LE SEXE QUI PARLE, JE SUIS UNE BELLE SALOPE et se terminer, après un détour chez Eurociné (COMMANDO MENGELE, DARK MISSION) par le consternant sitcom « Salut les musclés ».

Mais revenons à la fin des 70’s / début des 80’s. Béni continue de réaliser des petites séries B qui combinent généralement polar, action et érotisme. Ce cinéma populaire désargenté récolte un grand succès au Cameroun. Béni y devient une star et développe son personnage principal, son alter-égo, celui du commissaire Baïko. Ce-dernier combine de manière improbable de tous les acteurs qui inspirent le Camerounais : surtout Belmondo mais également Delon, Bruce Lee, Stallone et les autres « gros bras » des années ’80. La première aventure de Baïko, un polar musical intitulé ANNA MAKOSSA, est enchainée avec SAINT VOYOU PRIEZ POUR NOUS où il campe un nouveau Baïko (car, parfois, les personnages ainsi nommés n’ont rien à voir avec le « fameux » commissaire). Epoque oblige, Béni surfe aussi sur la mode des comédies musicales et du disco avec DANSE MY LOVE.

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Béni alterne ces films populaires africains avec des « érotiques » tournés en France comme LES HOMMES DE JOIE (avec Monica Swinn) ou GODEFINGER (dans lequel on retrouve Claudine Beccarie mais aussi le débutant Michel Leeb).

CAMEROUN CONNECTION met donc en scène notre Baïko et, comme d’habitude, le film parait construit avec les moyens (très maigres) du bord. L’acteur / réalisateur recourt beaucoup au placement de produits pour financer ses métrages. Béni visite ainsi une usine de bière ou commande du Vat69 dans des scènes complètement inutiles mais indispensables pour les financiers.
Etrangement, Béni, comme nous le mentionnons précédemment, semble posséder beaucoup de « contacts » dans les milieux du cinéma…et même au-delà. Pour CAMEROUN CONNECTION, il s’assure ainsi la participation du couturier Paco Rabanne, probablement rencontré dans une soirée branchée. Mieux, grâce à ses liens avec la bande d’Eurociné, il engage Bruce Le (qui avait tourné en France son BRUCE CONTRE ATTAQUE). Acteur incontournable de la bruceploitation, Huang Kin Lung, alias Bruce Le (c’est plus vendeur) débute à la Shaw Brothers avant d’adopter son pseudonyme à une époque où fleurissent les Bruce Li et autre Dragon Lee. Bon artiste martial, charismatique lorsqu’il est bien dirigé, Bruce Le figure malheureusement dans d’innombrables navets. Pour un SIX EPREUVES DE LA MORT enlevé ou un CHALLENGE OF THE TIGER on trouve beaucoup (trop) de COMBAT POUR LA MORT ou de CRI QUI TUE. Il apparait aussi, de manière complètement ahurissante et gratuite, dans le démentiel SADIQUE A LA TRONCONNEUSE. Enfin, il côtoie les autres imitateurs du Petit Dragon dans le très divertissant (et très con) CLONES OF BRUCE LEE qu’on espère voir éditer prochainemen.

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Bref, Bruce Le se retrouve au Cameroun aux côtés d’Alphonse Béni. Le drame étant que le premier, entre deux grattages de nez et cri aigu, démontre de vraies capacités martiales. Le second, lui, s’improvise star du cinéma d’action. Evidemment, le décalage entre les intentions de Béni (qui se la joue brutal comme Bruce, sexy comme Alain et plaisant comme Jean-Paul) et le résultat à l’écran donne le sourire. Quelques dialogues complètement décalés amusent aussi (« Paris, c’est dangereux, il y a trop de travail », répète t’on à Béni). Le tout peut donc contenter les amateurs de nanars. On note cependant l’évidente sincérité de Béni et son insistance à placer des considérations plutôt progressistes sur la société africaine, la place de la femme, etc. Des propos étonnants, quasiment de petits discours socio-politiques, insérés entre une cascade prudente et un combat de kung-fu approximatif.

En résumé, CAMEROUN CONNECTION n’est surement pas un bon film. Mais il continue un témoignage intéressant sur le cinéma bis africain des années ’80. Une terre complètement inconnue même pour les plus aventureux qui goûte parfois une production turque.


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Spécifications du DVD/Bluray sur le site de Sin'Art

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TEST DU BLU-RAY/DVD :



Le blu-ray édité par Pulse Vidéo et Nanarland présente le film dans une qualité inespérée assorti de bonus revenant sur Alfonse Béni. Une rencontre avec le comédien réalisateur peu avant sa disparition et une rétrospective sur son cinéma, très informatif et passionnant (plus que le film peut-on dire). Sans oublier le premier court-métrage de Béni, des bandes annonces et, en double programme, Black Ninja
Image impeccable, bande son très claire, un sans-faute pour un métrage qui mérite bien le qualificatif d'improbable.


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- Article rédigé par : Frédéric Pizzoferrato

- Ses films préférés : Edward aux Mains d’Argent, Rocky Horror Picture Show, Le Seigneur des Anneaux, Evil Dead, The Killer - Ses auteurs préférés - Graham Masterton, Christophe Lambert, Thomas Day, Stephen King, Clive Cussler, Paul Halter, David Gemmell


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