Un texte signé Jérôme Pottier

Japon - 1975 - Akira Katô
Titres alternatifs : Niizuma Jigoku
Interprètes : Naomi Tani, Hiroshi Gojo, Terumi Azuma, Hirokazu Inoue, Kunio Shimizu, Moeko Ezawa, Namiko Tainaka...

retrospective

Prisonnière Du Vice

Le terme de roman porno est une trouvaille marketing de la société de production Nikkatsu, tout près de la faillite à la fin des sixties, c’est sous cette appellation qu’elle désigne les nombreux films érotiques qu’elle va produire à partir de 1971. Quelques interprètes vont alors émerger, elles seront considérées comme des reines du genre à l’image de la prolifique (elle a joué dans près de 50 longs métrages) Naomi Tani. Venue des productions pink à petit budget, elle devient une véritable légende lorsqu’elle intègre la Nikkatsu, elle enchaîne alors un nombre conséquent de chefs-d’œuvre dont LA VIE SECRETE DE MADAME YOSHINO (Masaru Konuma-1976). Cette bombe sexuelle aux formes généreuses (ce qui, pour les nippons, constitue un physique atypique) et au visage d’une grande noblesse est au summum de sa gloire lorsqu’elle interprète le rôle de Yuki dans PRISONNIERE DU VICE…
La belle Yuki revient habiter chez son frère après six années d’absence. La vindicte populaire dit qu’elle a poussé un homme marié à quitter son épouse et qu’elle vit désormais avec lui, d’où la surprise provoquée par sa réapparition. Mais Yuki cache un terrible secret qui va lui revenir par bribes à la vision d’un simple objet : une corde.
Ou comment détourner l’instrument principal d’un film axé sur le bondage et le travestir en exutoire freudien. Yuki invite le spectateur à recoller les pièces de son puzzle mental au détour de ses rencontres et expériences sexuelles de fortune diverse. Sublimant ainsi le propos de PRISONNIERE DU VICE qui devient bien plus qu’un roman porno tout en étant un digne représentant du genre, ainsi l’érotomane comme le cérébral y trouvent leur compte. Adapté des écrits du Marquis De Sade japonais, Oniroku Dan, PRISONNIERE DU VICE ne se contente pas d’illustrer platement diverses relations sadomasochistes. Loin des habituels stéréotypes de la domination, le film d’Akira Katô développe diverses visions du couple et de l’amour inhérentes à une certaine forme d’emprisonnement que ce soit : la relation contrainte de Yuki étroitement liée à son mari par un terrible accident ; celle plus passionnelle du barman avec sa compagne masochiste (magistrale Terumi Azuma) ; ou celle, que l’on peut interpréter comme à la fois de l’auto-flagellation mentale et un constat d’échec, entre l’artiste, ses assistants et ses modèles. PRISONNIERE DU VICE est donc une réflexion sur le caractère tragique de la passion amoureuse.
Akira Katô, célèbre en Occident pour son adaptation tokyoïte d’Emmanuelle Arsan (TOKYO EMMANUELLE-1975), filme ici avec beaucoup d’élégance dans un style naturaliste propre au cinéma japonais. Il privilégie de longs plans séquences au cadre très travaillé (voir les plans d’introduction et de conclusion) qui contrastent avec les scènes d’amour plus saccadées et cadrées de près. Ainsi, chaque acte sexuel rejoue stylistiquement une scène clé du début du film : le tabassage public d’une voleuse lors d’un marché. Akira Katô prend également un plaisir fou à filmer en plan rapproché les doux visages de Naomi Tani et Terumi Azuma.
Ces deux beautés vénéneuses aux physiques antinomiques furent les stars antagonistes du genre (même si la carrière artistique de Tani est supérieure à celle d’Azuma). Si Katô fait jouer en premier Naomi Tani pour la Nikkatsu dans un second rôle (SENSUOUS BEASTS-1972), c’est bien Masaru Konoma, dont elle est la muse, qui la révèle au grand public en 1974 dans FLEUR SECRETE (FLOWERS AND SNAKES). Terumi Azuma campe ici le faire-valoir de Tani, un rôle qu’elle tenait déjà dans UNE FEMME A SACRIFIER de Konuma en 1974. Azuma est l’ennemie jurée de Naomi Tani, dès 1976 elles refusèrent d’apparaître ensemble à l’écran car la première, plus jeune de huit années, avait volé le compagnon et manager de la seconde. Azuma tourne désormais pour la télévision nippone. Cette dualité transparaît à l’écran, même si la sublime Naomi Tani emporte le morceau lors d’un final d’une beauté plastique à couper le souffle.
Peu à l’aise avec le bondage (dont il saborde la portée par l’utilisation de masques théâtraux qui en souligne le caractère factice), le metteur en scène privilégie l’introspection, utilisant une réalisation kaléidoscopique parfois à la limite de l’onirisme. Il donne à voir aux spectateurs exigeants un exercice de style intelligent autour d’un genre, le roman porno, qui, décidément, regorge de bonnes surprises.


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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