Un texte signé Sophie Schweitzer

Italie - 1990 - Lucio Fulci
Interprètes : Brett Halsey, Meg Register, Al Cliver

retrospective

Demonia (1990) – Vengeance d’outre tombe

Cauchemar gothique, Demonia est l’un des derniers films de Lucio Fulci, le maître de l’horreur italienne.

Un groupe d’archéologues se rend en Sicile afin de découvrir des traces provenant de la Grèce antique, mais la curiosité de la jeune Liza va réveiller les spectres de nonnes crucifiées cinq siècles auparavant. Ces dernières vont alors déchaîner leur colère sur les habitants du village comme sur l’équipe s’occupant des fouilles.

Demonia est écrit et réalisé par Lucio Fulci en 1990. Le cinéaste italien a connu son heure de gloire dans les années 70 avec Perversion Story ou encore Le Venin de la Peur, des films sulfureux où l’érotisme se mêle au polar. Vers la fin des années 70, avec L’emmurée vivante et L’enfer des Zombies, il touche à l’horreur avec succès. S’en suivront Frayeurs, L’Au-Delà et La Maison Près du Cimetière, considérés par beaucoup comme des chefs-d’oeuvre gothiques et horrifiques. À cette époque, on l’oppose souvent à Dario Argento, autre cinéaste italien touchant à l’horreur et au fantastique, qui connaîtra une gloire plus substantielle avec Suspiria et Les frissons de l’Angoisse. Tous deux voient leur carrière décroître durant les années 90.

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Retour sur les écrans de Fulci

Le giallo n’est plus à la mode et le genre horrifique connaît sa période de vache maigre. Le néo-slasher tente comme il peut de se réanimer ce genre que le public boude. Lucio Fulci connaît également ces difficultés, la plupart de ses films ne sont même pas projetés en salle. Il enchaîne les “direct-to-video” et téléfilms. Avec Nightmare Concert, Lucio revient au cinéma. Petite production sans budget avec des effets gore graphiques par lesquels il s’est fait connaître, il enchaîne avec Demonia. Pour lequel il bénéficie d’un budget plus modique encore.

Heureusement, Lucio Fulci est un brillant artisan. Pour compenser le manque de moyens, il va chercher des décors qui participent pour beaucoup à l’atmosphère gothique, mais également employer des astuces techniques afin de donner vie aux cauchemars de Liza. La surexposition, une optique déformante, des filtres sont utilisés parfois de manière un peu trop exagérée afin de donner une ambiance spectrale au film. À cela s’ajoute la musique, comme des échos lointains de celle que produisait Fabio Frizzi. Pas de ritournelle marquante ici, mais Giovanni Cristiani parvient néanmoins à produire quelques musiques chantées par les comédiens qui participent au film, et à créer un décalage entre le côté joyeux et les évènements tragiques qui surviennent ensuite.

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Chant du cygne ?

Ce que tout fan de giallo attend et espère devant un film de Lucio Fulci, ce sont bien sûr les effets gores. Le cinéaste italien est réputé pour ses images marquantes de corps de prostituées profanés dans L’Eventreur de New York, d’adolescente énucléée dans L’au-delà et de zombies répugnants dans L’enfer des zombies. Bien que manquant cruellement de moyens, ce qui explique sans doute le peu de scènes de mise à mort présentes à l’image, Lucio Fulci donne à son public ce qu’il attend. La scène avec les chats ou encore celle du corps écartelé sont redoutablement efficaces et d’une cruauté absolue.

Malgré tout, le spectateur ne pourra s’empêcher de constater les deux défauts principaux du film. Le premier est son histoire qui vend de la nunsploitation, genre qui a connu son heure de gloire dans les années 70 et demeure assez vendeur, mais qui n’arrive pas à aboutir à une intrigue cohérente. Le sentiment de trous dans le récit ou de scènes manquantes demeure bien après que le mot fin ne s’affiche à l’écran. Ensuite, il y a la comédienne principale.

Meg Register a un visage marquant, le genre de beauté froide qui fascine. Pour autant, la comédienne n’arrive jamais à se montrer convaincante. Ses expressions ne semblent guère refléter les émotions supposées de son personnage, pire, elle semble hésitante ! Comme si elle ne savait pas ce qu’elle devait jouer. On notera que son rôle dans Demonia l’a rendu culte auprès d’un public de connaisseurs, mais a peut-être participé à son changement de carrière. Puisqu’elle officie aujourd’hui comme hypnothérapeute.

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Casting d’habitués

Le reste du casting nous propose des habitués du genre, Brett Halsey qui incarne le professeur a auparavant joué avant dans Démons 6 de Luigi Cozzi, Lino Salemme pour sa part a tourné dans Démons de Lamberto Bava, film culte, mais également plus récemment dans La passion du christ. Son visage très reconnaissable, avec sa mâchoire carrée et son nez épaté, le rend à la fois touchant et effrayant dans le rôle du boucher qui tente d’avertir Liza du danger. Autre comédienne de Démons, Paola Cozzo apparaît en nonne enceinte. Elle jouait également dans le précédent film de Lucio Fulci, Nightmare Concert.

Enfin, bien sûr, on retiendra Lucio Fulci qui incarne non pas son propre rôle, mais celui d’un détective perdu au milieu de cette histoire de possession. Il est porteur d’une sous-intrigue digne d’un giallo, cherchant à trouver qui aurait de vraies raisons de tuer. Hélas, cette sous-intrigue s’oublie et ne semble pas avoir de conséquence sur les actes des personnages, au contraire de celle des spectres et de cette vengeance d’outre-tombe. Il jouait également dans son précédent film, Nightmare Concert. Si bien qu’on peut se demander ce que Fulci cherche à nous dire par sa présence devant la caméra.

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Nonnesploitation gothique

Les amateurs de faits divers et étranges remarqueront peut-être quelques similitudes avec l’affaire des nonnes possédées de Loudun. Rien n’indique que Lucio Fulci, qui a signé le scénario, s’en soit inspiré, cependant, l’affaire de 1632 reste tristement célèbre. C’est l’affaire de possession la mieux documentée qui reste encore aujourd’hui un mystère. Elle a inspiré de nombreux auteurs, dont le célèbre Aldous Huxley, mais aussi des cinéastes, dont le polonais Jerzy Kawalerowicz et l’anglais Ken Russell, tous deux ayant participé à des mouvements importants du cinéma. Il n’est donc pas impossible que l’affaire ait réellement inspiré le cinéaste italien, ce qui ajoute à la légende du film.

Malgré ses défauts, Demonia reste en mémoire, d’une part parce qu’il montre la carrière brisée d’un grand réalisateur, d’autre part parce qu’il a acquis de par ses faiblesses un côté nanar attachant et drôle. Enfin, parce qu’il est le chant du cygne de deux genres alors en pleine perdition, le giallo et la nunsploitation.


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Spécifications du DVD/Bluray sur le site de Sin'Art

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TEST DU BLU-RAY/DVD :



Carlotta nous livre un coffret relativement sobre contenant seulement un disque, le bluray contenant le film ainsi que sa bande-annonce. Néanmoins, le travail de restauration, qui permet de profiter pleinement des effets optiques et pratiques réalisés sur le tournage par ce grand artisan qu’était Lucio Fulci, est à saluer. Les défauts de surexposition qu’on lui reprochait sont moins flagrants et la restauration permet de rendre sa beauté au film. On distingue le jeu de couleurs, les détails dans l’obscurité de la crypte où ont été tournées les scènes de crucifixion.

Points positifs :
– Image impeccable
– Son de qualité
– Belle affiche
– Présence d'une version italienne et anglaise
– Format d'origine respecté

Points négatifs :
– Peu de bonus


BANDE ANNONCE :

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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà - Ses auteurs préférés - Oscar Wilde, Sheridan LeFanu, Richard Mattheson, Stephen King et Poppy Z Brite

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