Un texte signé Franck Boulègue

Mexique - 1970 - Alejandro Jodorowsky
Interprètes : Alejandro Jodorowsky, Mara Lorenzo, David Silva, Robert John, Brontis Jodorowsky…

retrospective

El Topo

Le second film d’Alejandro Jodorowsky – surtout connu en France pour son travail de scénariste dans l’univers de la bande-dessinée (en particulier auprès de Moebius, avec leur saga de « L’Incal ») – réalisé deux ans après FANDO & LIS (1968), est un western surréaliste et mystique qui relève davantage de la transe chamanique que du traditionnel échange de coups de feu entre cow-boys, shérifs et indiens. EL TOPO (« la taupe ») emprunte en effet l’essentiel de son esthétique à Sergio Leone plutôt qu’à John Ford, avant de passer le tout au filtre de Bunuel, de Tod Browning et de Jan Kounen version BLUEBERRY. Le résultat est désarçonnant par moments, troublant du fait de sa violence tant graphique que mentale, mais constamment original et inspiré.

EL TOPO, il faut le savoir, est à l’origine du phénomène des « midnight movies ». A sa sortie, il est resté à l’affiche à New York durant sept mois d’affilée, préfigurant un mode de distribution qui réussira par la suite à des œuvres telles que ERASERHEAD de David Lynch ou LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero.

Jodorowsky incarne lui même le personnage central de ce récit, qui va connaître une élévation spirituelle progressive, au fil de ses rencontres. Simple hors la loi vêtu de noir au début du film, armé d’un parapluie et d’une flûte en complément à ses revolvers, il va se trouver confronté à plusieurs morts symboliques qui vont le mener jusqu’à un statut de sage quasi-bouddhique. En parallèle à ce cheminement spirituel interne, le film nous conte également la relation conflictuelle qui le lie / l’oppose à son fils (interprété par le propre fils de l’auteur), lequel, un temps devenu moine franciscain, finira par reprendre la défroque de son géniteur. Le tout est entrecoupé de cartons qui font référence à la Bible, tels que « Genèse », « Psaumes » ou « Apocalypse ».

L’essentiel du film se déroule soit dans le désert, soit dans des paysages quasi-désertiques. Le désert devient ici un lieu propice à l’éveil spirituel, un labyrinthe dépourvu de murs au sein duquel Jodorowsky voyage en spirale, à la recherche de quatre grands maîtres du revolver auxquels il désire se confronter afin de gagner le cœur de sa compagne. « Pour que je t’aime, tu dois être le meilleur », lui déclare-t-elle. Le premier d’entre eux n’offre aucune résistance aux balles, il les laisse traverser son corps sans qu’elles lui causent de dommages. Le second est tellement fort qu’il peut jouer avec des objets délicats sans les briser. Le troisième vit au milieu d’un vaste enclos à lapins et tire avec une perfection diabolique, qui se révèlera au final contre-productive. Le quatrième et dernier maître « pistolero » n’a pas de revolver, il se contente d’un simple filet à papillons pour attraper les balles de ses adversaires et les leur renvoyer. Par divers moyens (tricherie, ruse), notre hors la loi viendra à bout de ces paliers successifs dans son processus de découverte de soi. Une fois le dernier maître abattu, il brise son arme, éveillé à une réalité supérieure. C’est le moment que choisit sa compagne pour l’abandonner en le laissant pour mort, criblé de balles.

Recueilli par une troupe d’êtres difformes échappée de FREAKS, Jodorowsky renaît alors (littéralement, on le voit sortir des vêtements d’une femme âgée) dans une caverne où se terre ce peuple rejeté par les habitants de la ville voisine. Stupéfié par la misère dans laquelle ils croupissent, il jure de creuser un tunnel qui leur permettra de rejoindre la lumière. On comprend mieux dès lors quelle est la taupe du titre. Seulement attention, le générique de début nous a prévenu du danger qui guette cet animal, habitué aux galeries souterraines, quand il atteint finalement le soleil : l’aveuglement !

N’en disons pas davantage, afin de ne pas dévoiler les détails du final terrible qui clôt ce film. Précisons seulement qu’un ordre moral omnipotent, baigné de religion, règne (en apparence) sur cette bourgade, bien peu encline à tolérer la différence…

EL TOPO, du fait de son discours mystique, en déroutera par conséquent plus d’un. Tous les éléments de ce western halluciné sont à interpréter de manière symbolique dans le cadre d’une quête spirituelle au sein d’un univers de violence. Pour qui se sent prêt à emboîter le pas de Jodorowsky dans ce périple intérieur, le résultat s’avère de toute beauté.


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- Article rédigé par : Franck Boulègue

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