Un texte signé Patrick Barras

Italie - 1970 - Elio Petri
Titres alternatifs : Indagine su un citadino al di sopra di ogni sospetto
Interprètes : Gian-Maria Volonte, Florinda Bolkan, Gianni Santuccio, Orazio Orlando, Sergio Tramonti

retrospective

Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon

Le chef de la brigade criminelle de Rome (Gian-Maria Volonte) est en passe de se retrouver promu au poste de directeur de la section politique. Se croyant désormais intouchable et « au dessus de tout soupçon », il tue Augusta Terzi (Florinda Bolkan), la partenaire de ses jeux sexuels troubles. Il met alors tout en œuvre pour semer des indices afin de démontrer que nul n’aura l’intelligence de pouvoir le confondre, et par là même de remettre en cause sa place dans la mécanique de la société Italienne.

Ce qui pourra frapper dès le début de la vision de ENQUÊTE SUR UN CITOYEN AU DESSUS DE TOUT SOUPÇON, c’est son aspect théâtral. Une théâtralité de ton que l’on retrouvera encore amplifiée dans des œuvres postérieures comme LA PROPRIÉTÉ, C’EST PLUS LE VOL ou TODO MODO.

C’est que Elio Petri s’applique souvent à mettre en scène des fables socio politiques en forme d’électrochocs appliqués un tantinet brutalement à ses spectateurs. Le fait que l’aspect formel et le ton de ses films soient outranciers participe alors pleinement de la démarche. Aucune velléité naturaliste n’est à espérer chez celui qui comme tant d’autres à pourtant fait ses classes au sein du néo-réalisme.

Le vaste théâtre dans lequel évolue le personnage interprété par Gian-Maria Volonte, c’est la société Italienne des années de plomb, même si bien entendu on comprendra que le film se préoccupe de délivrer un discours destiné à échapper à ces frontières un rien trop étroites pour Petri. Dès le début du film, le réalisateur s’ingénie à coups de clins d’oeil en direction du spectateur à mettre en évidence l’univers de faux-semblants dans lequel évoluent ses protagonistes. Que ce soit au travers d’un oiseau présent comme motif d’un rideau flottant dans un courant d’air, et le plus souvent dans les décors, en particulier l’appartement d’Augusta ou encore celui du policier, en totale inadéquation avec le rang social auquel celui-ci est censé appartenir. Que dire également de ce plan furtif où Augusta lit un Giallo Montadori, elle qui ne rêvait que de se « payer » un policier disposé à l’aider à mettre en scène ses fantasmes de soumission ? Petri ne ferait il alors que mettre en scène les mises en scène qui sous-tendent les existences de ses « héros » ?

Faux-semblants également, qui dominent la psychologie des personnages principaux de la fable. Le policier, qui s’ingénie à offrir l’image parfaite de l’adulte pétri par le sens des responsabilités et habité par l’idée de la primordialité et le poids de sa tâche en ce bas monde recèle encore en lui un enfant teigneux et capricieux, qui ne souhaite que tester les limites qui lui ont été imposées (ce que ne manque pas de lui faire remarquer sa maîtresse). Augusta demi mondaine acoquinée à une bourgeoisie qui l’entretient et qui oscille entre volonté de se soumettre à un ordre rigide et brutal ; et fantasmes de révolution quand elle change d’amant pour accorder ses faveurs à un jeune militant gauchiste qui sera par la suite soupçonné de son meurtre. C’est ce dernier, mis au courant par le policier lui même de sa culpabilité lors d’un interrogatoire tendu, qui lui rétorque « tu es ici et tu y resteras », en sous entendant « je vais pouvoir faire ce qui me plait, car j’ai désormais un pouvoir sur toi, ne changeons rien ». Une prise d’ascendance et un statu quo fort pratique qui mettent à mal une présupposée pureté idéologique. Une piètre galerie de pantins schizophrènes en parfaite adéquation avec l’idée que Elio Petri se fait de la (notre) société.

S’il est un élément du film qui est emblématique de la confusion des idées et des apparences dans lequel son auteur semble vouloir le faire baigner, c’est bien la musique de Elio Moricone qui signe ici une de ses meilleures compositions. On pourrait dire qu’une musique de Moricone n’est jamais meilleure que quand elle parvient à devenir elle même un des personnages à part entière du film ; et c’est ici proprement le cas.

Son thème principal, construit comme une marche, accompagne la fuite en avant du policier au point de devenir son double. Mais il s’agit ici d’une marche dégingandée et désaccordée aux sonorités de piano bastringue, agrémentée de notes de guimbarde dissonantes et autres sons incongrus qui font penser à une mécanique bancale, dont les rouages ont du jeu. Elle devient pour le coup le parfait pendant sonore de l’étonnante interprétation de Gian-Maria Volonte, toute empreinte de bouffonnerie effrayante et de fatuité pathétique.

La conclusion de ENQUÊTE SUR UN CITOYEN AU DESSUS DE TOUT SOUPÇON s’avèrera bien grinçante. Celui qui est condamné à n’être qu’un citoyen/rouage anonyme au point de ne porter tout au long du film d’autre nom que Dottore ne se verra que gentiment réprimandé et infantilisé par la hiérarchie (comme il le fait lui même lors de ses interrogatoires) suite à ses propres aveux, puis remis fermement en selle et en place par rapport à l’importance de son rôle dans une mécanique en apparence bien huilée. Le tout lors d’une scène rappelant un rite mafieux ou maçonnique, c’est selon (évocation des collusions entre les deux mondes durant les années de plomb ne faisant que rajouter une dernière touche à la confusion des idées et des apparences ?…).

Le rideau peut aussi enfin tomber comme au théâtre, quand bien même il s’agit d’un rideau à lames dont le jeu stroboscopique avec la lumière rappelle étonnamment le défilement d’un obturateur de caméra. On se plait alors à croire qu’il s’agit là d’un dernier clin d’oeil de la part de Elio Petri, un dernier plan nous invitant à nous demander si tout cela n’est vraiment que du cinéma…


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link