Un texte signé Éric Peretti

- 2012

horizons

Extrême Cinéma 2012

Préalablement parqués derrière une solide grille de programmation permettant à chacun d’en avoir un bref aperçu littéraire en toute sécurité, les ZooFilms de la quatorzième édition du Festival Extrême Cinéma ont finalement été lâchés sur les écrans de la Cinémathèque de Toulouse entre le 13 et le 18 novembre.
Mais avant l’ouverture des cages et l’invasion de ces ZooFilms, un ciné-concert démarrait les festivités avec la présentation de SATAN (Wallace Worsley, 1920) dans une superbe copie complète en 35mm. Déjà fantastique à l’origine, le film a bénéficié d’un accompagnement musical live du groupe Vã Rog Domnule qui lui a donné un souffle nouveau. S’effaçant physiquement sur scène pour ne laisser exister que les images, le trio n’a à aucun moment donné l’impression d’effectuer un concert avec un arrière plan visuel, mais a livré une performance musicale servant à merveille le film qui leur a inspiré leur partition. Un grand moment de cinéma.
De la paraphilie suggérée par le nom, volontairement provocant, de la thématique, il n’en sera frontalement question que dans un seul film de la sélection, VASE DE NOCES (Thierry Zéno, 1974), qui s’imposa de par son statut d’œuvre sulfureuse et rare comme l’un des films les plus attendus du festival. Défendue sur scène par son réalisateur, cette formidable histoire d’amour entre un homme et une truie, délivrée au public sous la forme d’un poème visuel renvoyant au meilleur de l’Art Brut, ne laissa pas ses spectateurs indifférents. Autre film également très attendu, CLODO ET LES VICIEUSES (Georges Clair, 1970/75), ancienne comédie désolante avec un chien qui parle, dans laquelle Bourvil fait une anecdotique apparition amicale, qui fut sauvée des limbes de l’oubli par l’adjonction de scènes pornographiques quelques années après son tournage. Perle rare de la programmation, cet ovni très attachant, qui tient plus du vulgaire bijou fantaisie que du diamant, fit le bonheur d’une salle remplie pour l’occasion et agréablement surprise de trouver l’ensemble plutôt réussi.
Mais ZooFilms ne se limite pas à un film zoophile et à un porno. La justesse de la sélection a offert une richesse thématique permettant de dépasser le simple stade du film avec des animaux pour proposer une palette d’œuvres variées. Pour aller plus en avant dans l’exploration des rapports entre l’homme et l’animal, la programmation mélangeait habilement documentaires et films de fiction, classiques et raretés, chefs d’œuvre subtils et gros ratages, les faisant s’articuler les uns avec les autres afin de permettre une approche complète du sujet. Au détour des séances, il était ainsi possible de s’interroger sur le besoin inextricable qu’a l’homme à vouloir changer la nature à son image, de tenter d’humaniser l’animal selon son propre modèle (LINK. Richard Franklin, 1986), ce qui amène évidemment à se demander où se termine l’apprentissage et où démarre le dressage (KOKO LE GORILLE QUI PARLE. Barbet Schroeder, 1977). La bête qui sommeille en nous fut également scrutée, que ce soit celle qui se réveille avec les frustrations (LA FÉLINE. Jacques Tourneur, 1942), ou lors du passage à l’âge adulte (LA COMPAGNIE DES LOUPS. Neil Jordan, 1984), mais aussi celle qui couve sous le vernis quotidien de la normalité et qui se révèle lorsqu’elle est confrontée à une autre forme d’animalité (THE WOMAN. Lucky McKee, 2011), ou lorsqu’elle fusionne avec une véritable essence animale au sein d’un même corps (LA MOUCHE. David Cronenberg, 1986). La parole fut aussi donnée aux animaux et chacun l’utilisa d’une manière différente. La mule qui parle, FRANCIS (Arthur Lubin, 1950), se pose en gentille donneuse de leçons, sarcastique et bien plus sensée que ses maîtres, elle pilonne les lieux communs avec humour et nous en apprend beaucoup sur nous-mêmes. À l’opposé, le chien qui pense, BAXTER (Jérôme Boivin, 1988), n’est pas là pour nous faire une leçon de vie. Certes il pense, mais comme un chien et n’aspire jamais à s’élever au-dessus de cette condition, juste à nous rappeler que nous sommes les maîtres et qu’il n’attend pas d’être traité en égal, il a besoin de nos lois pour assumer son rôle. Le rapport à l’animal comme moyen de subsistance a aussi été abordé lors de la brutale représentation de l’origine de la viande dans LE SANG DES BÊTES (Georges Franju, 1949), par l’aliénation de l’agriculteur Maxime, prisonnier d’un cercle de merde dans COCHON QUI S’EN DÉDIT (Jean-Louis Le Tacon, 1978), ou de façon humoristique dans BÊTES DE SCÈNE (Christopher Guest, 2000) dans lequel l’animal n’est plus là pour qu’on s’en nourrisse physiquement, mais pour apporter le bonheur.
Comme autant de pauses au sein de cette ménagerie cinématographique, des séances spéciales sont venues sporadiquement proposer aux spectateurs de quitter cette jungle animale pour se plonger dans d’autres tourments. Un grand moment de trouille s’est produit lors de la projection de l’inédit CITADEL (Ciaran Foy, 2012) avec ses oubliés du système qui prennent la forme de nos peurs les plus primaires pour venir arracher un bébé des bras de son père. Pur produit de l’underground américain, THE OREGONIAN (Calvin Reeder, 2010) a fait partager à ses spectateurs le cauchemar sans fin de son héroïne dans un univers parallèle où le quotidien devient un angoissant labyrinthe infernal. Enfin, la trop rare Lucile Hadzihalilovic est venue accompagner le public lors d’un voyage au cœur de son univers trouble avec les projections de LA BOUCHE DE JEAN-PIERRE (1996) et de INNOCENCE (2004) qui suscitèrent de nombreuses interrogations. C’est avec patience et gentillesse qu’elle s’est ensuite livrée au jeu des questions-réponses avec l’audience durant presque une heure.
Pour conclure les festivités, la nuit détraquée a rempli la salle de 22 h jusqu’à premières lueurs du dimanche matin, offrant aux spectateurs quelques films déjantés ou délicieusement ratés à l’instar de LIFEFORCE (Tobe Hooper, 1985) ou LES RATS DE MANHATTAN (Bruno Matteï, 1982), sans oublier BAD TASTE (Peter Jackson, 1988). Invité au milieu des hostilités et mis à l’honneur, Frédéric Grousset est venu présenter deux courts métrages, le potache MERDE (2002) et le poétique KANGOOTOMIK (2011), ainsi que son film CLIMAX (2009). Une curiosité nudiste, LA VALLÉE DU NUE (Brian Foy, 1934), a permis aux noctambules d’amorcer un gentil retour sur terre avant qu’une dernière salve visuelle mêlant comédie, narcotiques et zoophilie, cette fois accompagnée par les accords tonitruants du groupe Goat River, ne vienne achever en beauté le festival qui se termina sur les images d’UNE BONNE PIPE (1905) bien méritée.
Avec sa programmation atypique et a priori décalée, Extrême Cinéma s’est à nouveau imposé comme un événement indispensable. Parfaitement intégrée à la Cinémathèque de Toulouse, la manifestation ne vient nullement dénaturer l’aura de cette prestigieuse institution en squattant ses écrans. Enfant certes terrible, mais pas attardé, des lieux, le festival permet d’aborder une autre cinéphilie avec sérieux et respect. Rendez-vous donc l’année prochaine pour poursuivre l’odyssée de la curiosité.

Un immense merci à l’ensemble du personnel de la Cinémathèque de Toulouse non seulement pour votre accueil, mais également et surtout pour votre implication dans le festival.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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