Un texte signé Patryck Ficini

Fantastique Semaine du Cinéma

Fantastique Semaine du Cinéma 2011

Pendant des années, les provinciaux, et notamment les niçois, pouvaient pester à loisir contre la quasi absence de festivals fantastiques dans nos belles régions françaises. Se déplacer jusqu’à Paris était une quasi obligation. Puis tout a commencé à changer et les festivals hors capitale se sont multipliés pour notre plus grand plaisir.
On se souvient de discussions attristées, vaguement rageuses, entre fans niçois devant le vide culturel de la capitale azuréenne. Il y a déjà 10 ans, on avait bien eu droit à une très agréable rétrospective de vieux films fantastiques à la Cinémathèque ; il y a bien aussi les soirées « Série B » de la même Cinémathèque – infiniment moins excitantes, judicieuses et originales que les soirées Bis de sa consoeur parisienne ; mais c’était tout.
Jusqu’à 2010, 1ère édition de la Fantastique Semaine du Cinéma, à laquelle nous n’avons malheureusement pas assisté.
En 2011, le tort est réparé et nous avons été bien présents à la seconde édition de ce festival, du 24 au 30 octobre 2011. Et même un peu avant, avec la soirée MONSTER BRAWL/KILLER KLOWNS, le 8 octobre – sorte d’avant-première dynamique qui donna le ton du festival.
L’association Les Méduses organise chaque mois Cinenasty, des doubles programmes, souvent avec animations, au cinéma Mercury. La Fantastique Semaine du Cinéma en est en quelque sorte l’aboutissement annuel, étalé sur une pleine semaine.
Déjà, rayons un malentendu – dû à l’intitulé même du festival et à sa belle affiche : « fantastique » est ici à entendre au sens adjectival du mot. La programmation, qui fait certes la part belle au fantastique et à l’horreur, ne concerne donc pas exclusivement ces genres chers à nos coeurs, mais ce festival est en fait dédié au cinéma de genre dans son ensemble (comme on pouvait le comprendre sur le site internet des Méduses). D’où la présence de polars, qui aura pu choquer certains fans d’épouvantes en tous genres. En théorie, on pourrait très bien assister à des projections de films d’arts martiaux, de drames psy vaguement tordus et, pourquoi pas, de westerns et d’érotiques ! Après tout, l’Etrange Festival parisien passe des « Romans Pornos » de la Nikkatsu et tout le monde trouve ça très bien. Toujours est-il que l’ambiguité existe et demeurera tant que le mot « fantastique » sera directement associé au nom du festival – reconnaissons-le, voilà un adjectif qui désigne aussi un genre, et qui fait ainsi saliver tous les passionnés de France et d’ailleurs !
Un festival consacré au cinéma de genre est-il viable, notamment en province ? Certains en doutent sérieusement. Il est vrai que nombre de fans n’aiment QUE le fantastique et la S.F et n’ont aucune envie de voir du polar violent ou du kung-fu déjanté. C’est un paradoxe, sans doute, mais les cinéphiles qui aiment et s’intéressent à tout le cinéma traité dans SUEURS FROIDES (porno compris, donc) sont plus rares qu’on ne le croit. Même si c’est dommage, voire déplorable (puisqu’on s’attend à trouver ici les gens ayant la plus large ouverture d’esprit), c’est un fait. Dieu merci, c’est un fait aussi que Nocturno rencontre du succès en Italie et parle bien de TOUS les genres !
Bref, ce point éclairci avec les organisateurs du festival, il est possible de goûter à toute la programmation sans préjugé.

Le 8 octobre, MONSTER BRAWL, donc. Un film sympathique, plutôt bien réalisé par Jesse T. Cook, mais beaucoup trop long. En gros, on organise ici une méga rencontre de catch entre les plus grands monstres : une créature des marais, une momie, une Lady Vampire (bien moche, et faute de Dracula), un monstre de Frankenstein… Voilà pour l’intrigue. Au début c’est amusant, mais très vite, trop de combats tue le combat. Un peu de gore et d’effets spéciaux ne change rien à la donne. Le film fatiguera les mieux disposés à son égard. Même Santo, c’était au bout du compte moins lourdingue ! Dommage car les organisateurs s’étaient grimés en momie et en draculette, et cela aurait pu donner un ton bien sympathique à cette ouverture de festival.

Le lundi 24 octobre, le festival a vraiment démarré avec RED STATE de Kevin Smith, un curieux film qui mélange les genres avec bonheur. Ca commence comme de la comédie adolescente (drôle avec ces puceaux obsédés sexuels qui partent à la rencontre d’une « gourmande » rencontrée sur internet), puis ça vire à l’horreur (les sévices douloureux mais assez soft graphiquement infligés aux gamins), avant de finir dans un bain de sang à la Peckinpah. Polar violent, donc, au final, avec l’assaut des flics brutaux et meurtriers , dans le plus pur style Waco, de la ferme des fanatiques religieux qui ont kidnappé les gosses. Massacre, les flics ne font pas de quartier. Après une bavure, ils se mettent à tirer sur tout ce qui bouge, victimes comme coupables ! Personne ne doit en sortir vivant. Les ordres sont les ordres.
Pas de héros dans ce film, puisqu’il renvoit dos à dos flics et fanatiques, en fait aussi tarés et assassins les uns que les autres. Une lecture post-11 septembre est possible : doit-on répondre au mal (les attentats perpétrés par des fanatiques religieux – peu importe qu’ils soient ici chrétiens) par le mal (la guerre, le massacre) ?
RED STATE, très bien scénarisé et filmé, ne donne pas de réponse. Il constate juste, et fait froid dans le dos.
Choisir le film de Kevin Smith comme ouverture véritable du festival est une idée géniale, qui ne sera pas comprise par tout le monde : dès le début, la couleur est annoncée et l’ambiguïté levée : il y aura de tout dans ce festival : de l’horreur, comme de la comédie ou du polar violent !

Les choses se gâtent dès le lendemain avec HELLACIOUS ACRES : THE CASE OF JOHNGLASS, un vrai post-apo mollasson qui fait regretter tous les films italiens du genre dans les années 80. A part une fois ou deux, pas de baston ici, juste un gars en armure qui monologue (en anglais et sans sous-titres !) tout en marchant dans des décors minimalistes peuplés d’ectoplasmes extra-terrestres. Le réalisateur Pat Tremblay, très sympa, marrant, modeste et présent sur place, annonce que le film sera long et pénible – mais drôle aussi par moments, puisqu’il se veut une comédie. Fauché, réalisé le week-end comme lui, HELLACIOUS n’est malheureusement pas un nouveau BAD TASTE. Aussi discutable soit-il , le premier film de Peter Jackson était vraiment drôle et déjanté. Ici, on ne rit jamais. Encore qu’il faille nuancer ce jugement : des rires dans la salle à certaines répliques, émanant assurément d’anglophiles, indiquent qu’une bonne compréhension de l’anglais aurait pu changer, en partie seulement, notre rejet.
Notons malgré tout une bonne scène de défécation cybernétique !

Fort heureusement, pour ceux qui n’auront pas quitté le Mercury après cette heure et demie douloureuse, nous aurons droit ensuite à l’excellent HUMAN CENTIPEDE 1, de Tom Six. Déception pour certains, car c’était le 2 qui était attendu et qui fut déprogrammé au dernier moment (pour cause d’avant-première parisenne, injustice totale pour les provinciaux que nous sommes), ce film n’en est pas moins un sacré choc pour ceux qui ne l’avaient jamais vu. HUMAN CENTIPEDE 1 est un superbe film de savant fou à l’imagination malsaine, douloureuse, voire scato ! Un toubib cinglé veut créer un mille-pattes humain (en fait un douze-pattes !) en greffant trois personnes. Evidemment, quand la première a envie de déféquer, on imagine la tête de la seconde, bouche reliée à l’anus précédent ! Jamais drôle, d’une noirceur terrifiante (et il paraît que le 2 est pire), ce film hollandais n’a qu’un seul défaut : le jeu outrancier et caricatural du greffé japonais. Très pénible. Les deux filles et le savant sont heureusement très bien.
(Le 2 sera proposé par Cinénasty aux niçois en décembre prochain – nous y serons !)

Le lendemain, le premier gros plaisir purement fantastico-horrifique du festival : THE MILLENIUM BUG, en présence du très sympa acteur/producteur du film, John Charles Meyer –malgré un physique inquiétant qui conduit les producteurs à lui confier souvent des rôles de méchants, comme ici.

A l’aube du second millénaire, une petite famille fuit la ville pour gagner la montagne. Elle y sera bientôt confrontée à une horde d’hommes des bois dangereux. Et à bien pire encore…
Pas besoin de gros moyens pour faire un bon film – même en dehors du X ! Le cinéma hollywoodien, riche en blockbusters, fait tout pour prouver le contraire, mais les amateurs de bis, de séries B ou Z le savent bien : un bon film c’est un film efficace dans la limite de son budget et de ses intentions.
MILLENIUM BUG est un petit film… parfait dans ses restrictions mêmes. 40.000 dollars de budget pour 3 ans de tournage, quasi entièrement filmé dans un grand garage avec des décors qu’on détruisait et reconstruisait au fur et à mesure. Des décors d’ailleurs tout à fait réussis.
No CGI Films produit ce petit bijou, affichant par son nom même une volonté de cinoche à l’ancienne. Deux époques-références pour ce film : les années 50-60 pour le monstre géant (plusieurs créatures utilisées dont un gars dans un costume, à la japonaise) et années 70 pour la famille de dégénérés consanguins digne de LA COLLINE A DES YEUX ou MASSACRE A LA TRONCONNEUSE (la scène hystérique du mariage forcé de la jeune fille capturée évoque d’ailleurs celle du repas dans le film de Hooper).
MILLENIUM BUG joue en effet sur le mélange des genres : survival avec tarés et film de monstres géants. Un mélange qui pourrait s’avérer incongru mais en fait juste inédit et génial. Du coup on en vient même à penser à une lovecrafterie : le Millenium Bug n’est-il pas une déité de H.P.L ? Qui le sait ?
Pour qu’un mélange des genres aboutisse, il faut que l’équipe maîtrise tous les genres en question. Pas de demi-mesure. Si l’on fait un western gore, il faut respecter et connaître les deux genres pour ne pas décevoir le public attaché à l’un et/ou à l’autre.
MILLENIUM BUG est une surprise pour ce mélange; et une réussite pour le talent et la culture dont font preuve réalisateur et scénariste.
Les tarés meurtriers sont laids, sales, drôles, méchants. Impeccables. Avec une mention pour le jeune marié, John Charles Meyer…
Le monstre est grand, lourd, répugnant… superbe !
Les péripéties sont nombreuses et s’enchaînent à vive allure. On est parfois surpris (quand le premier « méchant » meurt rapidement ou quand le père de famille, héros potentiel plutôt efficace, se fait buter de sale façon, laissant sa femme et sa fille livrées à leur seul courage.), on rit (quand le vieux patriarche vicieux tire la langue de façon obscène à sa captive ou quand il sculpte une sorte de sex-toy en bois) et on est ému (quand une victime meurt bouffée par le monstre).
THE MILLENIUM BUG, de Kenneth Cran, est un condensé d’émotions, de sensations et, fatalement, de plaisir.
Désargenté, il n’en est pas moins très généreux avec le spectateur.

PENUMBRA est un film argentin des frères Bogliano, certes moins enthousiasmant mais réussi quand même. PENUMBRA est un hommage au Polanski du LOCATAIRE et, surtout, de ROSEMARY’S BABY.
PENUMBRA commence comme une comédie espagnole, avec une excellente et drôlissime actrice principale (culte : quand elle tabasse le clochard qui l’insulte !). Puis, même si on rit ça fait un peu léger pour l’amateur d’horreur, le côté fantastique explose dans la seconde partie avec satanistes et sacrifice humain (par décapitation). Pas mal du tout, PENUMBRA donne envie de voir d’autres films des réalisateurs, assurément compétents.

Le même soir, BULL HEAD, mi-polar noir, sur fond de trafic d’hormones, mi drame psychologique, est un film bien fait mais trop languissant pour une programmation tardive. BULL HEAD est le type même de film qui, malgré sa qualité, aura déçu les fans les plus acharnés du fantastique présents au festival. Bien sûr, l’on peut voir, comme l’organisateur, quelque chose de fantastique dans l’histoire de ce gars aux testicules explosées (scène terrible) qui se shoote aux hormones pour rester un homme. Mais tel n’est pas notre cas.

Le samedi soir s’ouvre par une comédie porno-gore potache, THE TAINT, signé Drew Bolduc et Dan Nelson. Un Troma-like déjanté et drôle dans ses outrances avec des zombies misogynes aux sexes énormes et aux éjaculations dantesques (mieux que Peter North mais tout cela est ici simulé). Les femmes s’en prennent plein la poire une heure et demie durant, mais ce sont les hommes les plus mal lottis du film tant ils s’avèrent obsédés et grotesques. Politiquement correct ou pas ? Peut-être plus qu’on l’imagine en tout cas.
THE TAINT réjouit néanmoins par sa folie même si trop long et répétitif à la fin (le réalisateur semble fasciné par les éjaculations et les sexes explosés au flingue). On peut voir aussi un manque de courage dans la scène de l’avortement au cintre – suggérée ! Quand on veut faire du trash, autant y aller à fond, non ? Et puis quoi de plus Porno/Gore/trash qu’un accouchement ou un avortement ?

Le meilleur du samedi s’avère cependant la plus qu’excellente sélection de 14 court-métrages, notamment français.

Citons parmi nos préférés :

DIE DIE MY DARLING de François Gaillard : 20 minutes de baston (de plus en plus) gore où une splendide tueuse à gages massacre des voyous et des voyoutes.
Qui a-t-il de plus beau que de voir une belle femme combattre d’autres splendides créatures ? Les voir faire l’amour sans doute – ce que les détracteurs du porno n’auront jamais compris. Gaillard assure au niveau violence. Par moments, on se croirait dans un film de Hong-Kong. (Ah si la Bit-Lit pouvait ressembler à ça !)

YUKIKO de Eric Dinkian : très bel hommage, pas toujours très clair dans son scénario malheureusement, à la Femme Scorpion, que l’on adore ici.

ZOMBIN LADEN de Clément Déneux se présente comme une magistrale bande-annonce pour une série B horrifique jamais tournée qui voit revenir l’ennemi publi N°1 à la vie. Le réalisateur prouve un véritable amour et une grande connaissance du genre. Emballant !

TOUS DES MONSTRES de Nicolas Deprez est un conte d’animation très cruel où l’on voit un petit bossu rejeté par tous et « accueilli » dans un cirque qui va l’exploiter comme phénomène de foire. L’ombre de FREAKS plane bien sûr sur ce conte bien triste, mais avec une vision différente des choses. Rien à attendre de personne ici : ni des Freaks, ni des « normaux ». Très fort.

Enfin, Guillaume Rieu signe un hommage délirant aux films de S.F américains ou japonais des années 50-60 (ainsi qu’aux comédies musicales à la Jacques Demy !) avec L’ATTAQUE DU MONSTRE GEANT SUCEUR DE CERVEAUX DE L’ESPACE. Presque 20 minutes de bonheur pour le fantasticophile le plus exigeant ! Et le retour attendu du docteur Quattermass.

Le slasher canadien, au feu de bois (un classique), THE LEGEND OF BEAVER DAM s’avère aussi une remarquable comédie musicale rock n’roll. Jérôme Sable réalise là un futur classique ! Force est de constater que les autres courts étrangers nous ont moins emballé…

Bref, une superbe programmation de courts, éclectique à l’image du festival.

Pour cloturer le festival de façon festive , THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW le dimanche soir (avec la troupe de fous furieux parisiens pour l’animer) et l’après-midi un ennuyeux TAKE SHELTER, dont on ne saura s’il est surnaturel ou le délire d’un fou schizophrène qu’à la toute fin, réellement terrifiante. Un drame psychologique trop bavard, mais bien fait. Qui correspond parfaitement à la définition classique (et littéraire) du fantastique.

Un festival comme celui-ci manquait profondément au paysage culturel niçois, quelles que soient les critiques entendues ici ou là.
La Fantastique Semaine du Cinéma, très bien animée par les Méduses, a aussi permis de voir les magnifiques affiches de Eric Escofier (des Monstres de la Nuit… et de Sueurs Froides) exposées dans le hall du Mercury, ou de rencontrer Alain Schlockoff, légende du fantastique français et véritable puits de connaissance en la matière. Des animations comme une Zombie Walk ou un réjouissant concours de scream queens ont largement amusé le public.

Ca n’arrive pas tous les jours à Nice !
Merci aux Méduses et longue vie au festival.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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