Un texte signé Philippe Chouvel

Japon - 1968 - Yoshihiro Ishikawa
Titres alternatifs : Yôen dokufuden hannya no Ohyaku
Interprètes : Junko Miyazono, Kunio Murai, Koji Nambara, Tomisaburo Wakayama, Gannosuke Ashiya

retrospective

Female Demon Ohyaku

Une femme accompagnée de sa petite fille est accoudée sur la rambarde d’un pont. Elle pleure, le regard fixé sur l’onde. Puis soudainement, elle agrippe son enfant et se jette dans la rivière. Ce geste désespéré l’entraîne vers une mort promise, mais la petite fille va survivre. Quinze années plus tard, Ohyaku a conservé de cette journée funeste une profonde cicatrice parcourant son omoplate. Plus que la douleur physique, cette marque est le symbole d’une souffrance morale pour Ohyaku, n’oubliant pas que sa mère était une prostituée qui, un jour, n’accepta plus l’idée de s’avilir.
Ohyaku est devenue une belle jeune femme, qui gagne sa vie grâce à quelques escroqueries élaborées avec la complicité de Genji, ami et serviteur loyal. Elle se produit également dans des spectacles de cirque, où elle effectue des numéros de funambulisme. C’est au cours de l’une de ces représentations qu’elle est remarquée par Sengoku, un homme influent sur le point de devenir magistrat. Ce n’est pas le talent d’Ohyaku qui intéresse l’homme, mais uniquement sa beauté. Seulement, à sa grande surprise, elle le repousse, un geste qu’il ne pourra accepter et qui va condamner la jeune femme. Révoltée et refusant de se soumettre, Ohyaku a décidé de consacrer sa vie à lutter contre les hommes qui abusent des femmes par le pouvoir et l’argent. Sa rencontre avec Shinsuke, un ronin rêvant quant à lui de combattre les bureaucrates oppressant les pauvres, va la bouleverser. Tout pourrait aller pour le mieux d’autant plus que le chef des yakuzas a fait le choix de ne pas se mettre en travers de leur route. Mais le couple va être trahi par un de leurs amis qui s’est rallié à Sengoku. Shinsuke est condamné à mort, tandis qu’Ohyaku est exilée sur une île où les bagnards sont contraints aux travaux forcés dans une mine d’or. Cet éloignement ne suffira pas étouffer le désir de vengeance qui tenaille Ohyaku jusqu’au plus profond de ses entrailles.
Femmes battues, violées, torturées, humiliées… Et femmes vengeresses, tour à tour séductrices et mortelles : tel fut le credo de tout un pan du cinéma japonais d’exploitation appelé le plus souvent « pinky violence ». En France, on connaît surtout la série de LA FEMME SCORPION (SCORPION FEMALE PRISONER), dont les six films sont désormais disponibles. Egalement réputés sont les diptyques de LADY SNOWBLOOD et SEX AND FURY, qui ont magnifié le genre grâce aux icones que furent Meiko Kaji et Reiko Ike.
Mais quelques années auparavant, il y eut en quelque sorte un précurseur du genre, en l’occurrence ce FEMALE DEMON OHYAKU. Réalisée par le méconnu Yoshihiro Ishikawa en 1968, cette œuvre produite par la célèbre Toei et filmée dans un splendide noir et blanc apparaît comme la transition idéale entre le film classique de chambara et l’arrivée du « pinky violence ». Film précurseur, donc, avec une héroïne qui délimite déjà l’archétype du genre, à savoir un savant mélange de beauté, de force, de volonté et de cruauté. Ohyaku est interprétée par la superbe et talentueuse Junko Miyazono. Si elle a tourné dans les deux volets de SAMURAI WOLF, de Hideo Gosha, ce sont ses performances dans la série des LEGENDS OF THE POISONOUS SEDUCTRESS qui permettent, par le biais du DVD, de la remettre au premier plan une quarantaine d’années plus tard. Il s’agit en fait d’une fausse trilogie, car, si l’actrice joue bien dans les trois oeuvres de cette série, elle incarne en fait un autre personnage (Okatsu) dans les deux autres longs métrages (OKATSU THE FUGITIVE et QUICK DRAW OKATSU), réalisés non pas par Ishikawa, cette fois scénariste, mais Nobuo Nakagawa. Simplement, l’histoire restant à peu près la même à chaque fois, ils ont été de ce fait réunis.
Si Junko Miyazono crève littéralement l’écran, elle est entourée d’acteurs tout autant formidables ; parmi lesquels Kunio Murai (GODZILLA MONSTER ISLAND, de Jun Fukuda) campant un Shinsuke particulièrement émouvant, et Tomisaburo Wakayama, l’une des légendes du chambara, qui a tourné dans plus de cent films à partir des années 1950. On a pu voir Wakayama dans deux épisodes de ZATOICHI ; mais pour beaucoup il reste avant tout le formidable Ogami Itto, héros de la saga des BABY CART. Dans FEMALE DEMON OHYAKU, il incarne le chef des yakuzas, Minokichi, et l’on regrette qu’il n’ait dans ce film qu’un rôle secondaire, tant il dégage un mélange de force et de sagesse.
La réussite du film tient dans cette alchimie parfaite entre les ressorts traditionnels du chambara, avec une transposition réaliste du Japon féodal, mêlée aux ingrédients incontournables du cinéma d’exploitation, qui trouvent logiquement leur place dans le scénario. L’érotisme y est encore très léger (Ohyaku se baigne nue dans une cascade), mais la violence est un élément récurrent du film. En matière de torture, on retiendra comme moment fort une guillotine reliée à une corde suspendue à un gibet de potence. L’une des victimes a la tête placée sous la guillotine, et l’autre a la corde nouée autour de sa chevelure, les pieds dans le vide, et les mains attachées. Elle fait contrepoids à la lame de la guillotine, tant que ses cheveux résistent à la pression exercée par la guillotine. Jusqu’au moment où l’infortunée malheureuse (deux fois, ce sera une femme qui se trouvera dans cette fâcheuse posture) se retrouve scalpée, entraînant la décapitation de son partenaire.
C’est l’une des scènes marquantes de FEMALE DEMON OHYAKU, qui en compte bien d’autres, comme par exemple la mort à petit feu du traître ; et la séance de tatouage où Ohyaku se fait tatouer un visage de Démon dans le dos qui dissimulera sa cicatrice. En effaçant cette marque qui faisait de la jeune femme une victime, Ohyaku se transformera ainsi en bourreau, et sera de ce fait en mesure d’accomplir sa vengeance. Un symbole fort, pour un film qui l’est tout autant.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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