Un texte signé Philippe Delvaux

Grande-Bretagne - 1974 - Pete Walker
Titres alternatifs : House of whipcord, La pension du plaisir, photographer’s models, E sul corpo trace di violenza
Interprètes : Barbara Markham, Patrick Barr, Ray Brooks, Ann Michelle, Sheila Keith

retrospective

Flagellations

Modèle photographique du swingin’ London, Anne-Marie s’est laissée shooter seins nus dans un lieu public, ce qui lui a valu une dérisoire amende de 10 livres. Lors d’une exposition, elle fait la rencontre de Mark E. Desade, un homme mystérieux dont elle s’éprend avec toute la fougue de son insouciante jeunesse. Mark l’emmène bien vite en week-end chez ses parents. Mais arrivé devant l’austère demeure familiale, il l’abandonne à Walker, une revêche gouvernante. Le piège vient de se refermer sur Anne-Marie : elle a été conduite dans une ancienne prison, remise en service hors de tout contexte légal par l’ancien juge Bailey, devenu aveugle, et sa compagne Wakehurst, directrice sadique de l’institution, soit la famille passablement aliénée de Mark, qui entendent y punir les dévoyées de tous genres envers lesquels, à leur goût, la justice des hommes s’est montrée par trop clémente.

Enfermée dans une austère cellule, avec l’interdiction absolue de communiquer avec ses compagnes d’infortune, la vie de Anne-Marie se réduit à l’apprentissage de la bible et aux humiliations diverses. Seule deux incartades sont pardonnées aux prisonnières : à la première, la fautive est confinée deux semaines durant dans un sinistre cachot. A la seconde, elle est flagellée d’importance. Et cette dernière punition est l’ultime mise en garde, car la moindre faute, le plus petit signe de rébellion suivant signe l’arrêt de mort de la « fauteuse de trouble ».

Et pas de chance pour Anne-Marie, ses origines françaises rappellent à la directrice une prisonnière qui, une trentaine d’années auparavant, a succombé à de mauvais traitements, ce qui a entrainé la mise à l’écart de notre directrice et de deux de ses adjointes, à une époque où elles étaient à la tête d’une prison légale. C’est donc peu dire qu’elles ont Anne-Marie dans le collimateur.

Du Woman in prison (WIP), on connait bien les déclinaisons américaines, italiennes ou les nombreuses itérations signées par Jess Franco (par ailleurs créateur du volet ouvertement érotisé du genre avec son 99 FEMMES). Le succès du WIP tient autant à son érotisme qui convoque le sadisme du spectateur, qu’à une composante machiste évidente (punir l’arrogante femelle qui tente de se libérer en ces années-là), sans oublier de flatter ceux qui sont toujours prompt à condamner lourdement toute incartade, surtout les plus légères (c’est bien connu au café du commerce, le délinquant n’est jamais assez puni).

L’Angleterre, pourtant alors encore portée sur les châtiments corporels (dans le système scolaire), s’est montrée bien moins ouverte à ce type de perversions dans son cinéma.

La faute en incombe à une censure tatillonne nettement moins permissive que dans d’autres pays européens de l’époque.

Ce contexte nous permettra de mieux comprendre la relative sagesse graphique de ce FLAGELLATIONS qui n’aurait sans doute pas pu être exploité sur son marché local dans un montage faisant la part trop belle à la visualisation des punitions. Qu’il s’agisse des flagellations ou des pendaisons, la caméra s’éloigne pudiquement assez rapidement de l’action nous laissant entendre les cris des punies, nous montrant a posteriori leurs dos zébrés de cicatrices, ou encore cadrant les pieds nus qui pendent dans le vide des condamnées. De même de la nudité, quasiment absente.

L’amateur de ciné déviant cherche souvent la confrontation graphique directe avec l’objet de son vice, justement parce que c’est ce type d’images que le cinéma classique évacue. Ici, on reste grosso modo dans le cadre de cette grammaire stylistique classique pour un résultat somme toute tout à fait satisfaisant pour l’équilibre général du film.

Ce que traduisent ces choix de montrer ou d’éluder, ce sont ces jeux du chat et de la souris avec la censure, ce qu’on veut montrer, ce qu’on peut montrer, ce qu’on promet au spectateur et ce qu’on lui délivre au final.
A ce titre, la dédicace en exergue est pleine d’une ironie qui n’aura sans doute pas échappé à la censure britannique qui aura décerné le label X au film : « House of whipcord est dédié à ceux que révolte la clémence des tribunaux à l’encontre de la déliquescence morale et qui souhaiteraient le retour des châtiments corporels. » Il leur est peut-être ironiquement dédié, mais gageons qu’il ne leur était certainement pas adressé, le public ciblé étant plutôt celui qui venait satisfaire sa scopophilie déviante et son sadisme à l’encontre de la gent féminine.

Si on s’arrête un instant sur le titre, on peut noter une différence sémantique majeure entre le titre anglais et le français. Avec HOUSE OF WHIPCORD, l’anglais met assez justement l’emphase sur le lieu de l’action, ici neutralisé en « Maison » comme l’on parle d’une « Maison de correction », ce que souligne le « whipcord » qui pourrait aussi bien référer au tissu de coton constituant l’uniforme des prisonnières, au fouet de la deuxième punition… et à la corde pour pendre les récalcitrantes. Ne pouvant traduire toutes ces nuances, le titre français, FLAGELLATIONS, se concentre sur la seule punition… qui n’est pas du tout au cœur du film.
Ce qui démarque HOUSE OF WHIPCORD des innombrables WIP de l’époque, c’est qu’il s’attarde sur les motivations de ses bourreaux. Dans la plupart des WIP, la situation relève clairement du fantasme pur, lequel ne s’embarrasse guère de ces motivations et se concentre le plus souvent exclusivement sur la victime, pour montrer au maximum les sévices. Ici, Pete Walker motive longuement l’action du « juge », de la « directrice » et de ses acolytes dont le trauma remonte à un événement survenu trente ans plus tôt (même si on comprend vite que le dévoiement mental de Wakehurst précédait – et a causé – la fin tragique de la victime initiale).

Cet attachement à la figure du psychopathe, qui s’autojustifie en poursuivant une mission divine sera au cœur du métrage suivant de Pete Walker, MORTELLES CONFESSIONS (également chroniqué sur Sueurs Froides). De même d’ailleurs que d’autres caractéristiques, comme le refus du happy end (assez typique de l’époque et que n’ose plus guère le cinéma contemporain), l’opposition entre des bogeymans vieillissants et de jeunes victimes, la folie qui s’empare des tueurs, l’incrédulité de l’entourage… Bref, il est particulièrement intéressant de visionner successivement ces deux titres, le premier déconstruisant le concept de justice, le second, celui de religion, deux fondements de la société.

On a parlé du refus du happy end. Sans dévoiler la couronne, on précisera que l’appréciation dépend de point de vue choisi : le sort de notre malheureuse héroïne ou le devenir de la famille aliénée. Aux deux tiers de son métrage, alors que Pete Walker conclut un de ses enjeux, le voici qu’il relance l’histoire pour un dernier acte qui repose sur un autre pivot et fait monter d’autres protagonistes. Un exercice toujours risqué, mais ici amené d’assez heureuse manière, le réalisateur ayant scénaristiquement bien préparé son terrain.

On peut revenir un instant sur l’opposition entre tueurs vieux et victimes jeunes en ce qu’elle traduit la fracture générationnelle, certes, existante à toute époque, mais qui s’est sans doute exprimée avec une vigueur particulière dans les années ’60-’70, lorsque la jeunesse a poussé la société à changer radicalement au plan social et culturel. Une expression du conflit des générations ancrée dans son époque, donc.

Pete Walker joue également avec l’allégorie et l’ironie puisque le juge qui préside à la destinée des infortunées est un ancien magistrat devenu aveugle et presque sénile. La justice aveugle est une allégorie dont le sens est ici inversé pour signifier non plus son impartialité, même pas son inhumanité, mais le détournement du regard du concept même de justice. L’aveuglement est ici un dévoiement, une dérive.

De même, quand Anne-Marie souligne par une réplique amusée que le patronyme de son futur petit ami ressemble à s’y méprendre à celui du célèbre marquis de Sade (« Mark E. » prononcé à l’anglaise donc), ce n’est pas seulement pour le plaisir du gag. Rappelons que le marquis de Sade a passé une grande partie de sa vie derrière les barreaux pour des crimes contre la morale. Et que ses condamnations (due en partie à des jeux d’influence) ne passeraient plus de nos jours l’épreuve du droit et de la justice. Ce qui résonne donc avec l’iniquité de la justice privée rendue dans le film et les motifs qui tendent les condamnations.

Enfin, si on creuse un peu, l’héroïne s’appelle Anne-Marie. Marie est la mère de Jésus (en BD, Pichard livrera quelques années plus tard sa charge SM contre la bigoterie avec son extraordinaire « Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope » dont le prénom de l’héroïne était lui aussi tout sauf neutre), et Anne serait selon la tradition sa grand-mère. Anne-Marie est ici jugée et enfermée non pour racheter les péchés du monde (comme l’a été Jésus), mais bien pour racheter les siens… ou pire encore, pour satisfaire les penchants sadiques de la directrice. C’est tout le courant doloriste d’un certain christianisme qui est ici pointé.

L’institution privée chargée de la remettre sur le droit chemin (de croix) impose d’ailleurs l’étude de la bible et se place (énorme banderole à l’appui au-dessus de la chaire du juge) sous la coupe du Christ. Quant au cheminement des punitions, il y a le cachot, la flagellation et la pendaison. Après jugement, le Christ a lui aussi été enfermé, marqué dans sa chair par le fouet et enfin mis à mort. On voit donc ici un dévoiement de la rédemption christique et du rachat de sa faute par la contrition et l’épreuve. On le voit, la métaphore repose sur un dispositif référentiel assez riche. Le jugement n’est pas divin, il ne lave pas, n’absout rien. C’est la mécanique qui sera au cœur de MORTELLES CONFESSIONS, que, sous cet angle, FLAGELLATIONS préfigure donc pleinement.

En France, le titre a bénéficié d’une sortie très tardive, en janvier 1984, soit une bonne décennie après son exploitation anglaise. En ce mitant des années ’80, on se rappelle que le cinéma porno a déjà envahi les écrans, a ensuite été confiné dans un ghetto, et que ce qui reste du cinéma érotique lance ses derniers feux avant de s’éteindre sur les grands écrans français (et ailleurs) au début des années ’90. Les films de prisons de femme se succèdent encore régulièrement sur les écrans des cinés bis de France au début des années ’80. Nous ne saurions cependant dire si FLAGELLATIONS a été présenté dans une version plus corsée. Il semblerait d’ailleurs que cette exploitation français se soit limitée à la province. On rapporte l’existence d’un sous-titre (qui n’apparait cependant pas sur l’affiche française): LA PENSION DU PLAISIR – à moins que ce dernier ne signale une version hardifiée (et on le répète, on n’a aucune info en ce sens), on n’a pas du voir le même film !

FLAGELLATIONS a également été programmé dans la section « 7e parallèle » de l’édition 2002 du BIFFF.

En 2017, le public peut le redécouvrir via une belle édition BR/DVD chez Artus. L’éditeur a d’ailleurs la bonne idée de le sortir en même temps que MORTELLES CONFESSIONS (chroniqué pareillement sur Sueurs Froides et où on vous parle un peu plus de la carrière de Pete Walker) avec qui, on l’a vu, FLAGELLATIONS partage de nombreuses accointances.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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