Un texte signé Philippe Delvaux

Offscreen 2016retrospective

Singapore sling

L’enquête d’un privé le mène devant la propriété d’une femme et sa fille, qui passent le plus clair de leur temps en des jeux sexuels pervers et ponctués de meurtres. Blessé par balle, notre détective recherche Laura, jeune femme dont il s’est entiché quelques années plus tôt mais qui a ensuite mystérieusement disparu. Capturé par les deux folles et baptisé Singapore Sling (du nom du cocktail), il sera soumis à leurs délires.

Production grecque à petit budget, SINGAPORE SLING est le titre de gloire de son réalisateur, Nikos Nikolaïdis, dont le reste de la filmographie demeure fort peu connue hors et même dans sa patrie. Peut-être l’un ou l’autre lecteur aura-t-il vu avec nous son métrage suivant, SEE YOU IN HELL, MY DARLING (1999), tout aussi barré, qui tourna dans quelques festivals en 2000, dont le BIFFF. On apprécierait donc de voir un éditeur exhumer ce titre et explorer le reste de la filmo de son réalisateur.

Grec par sa production, le film l’est fort peu dans son ADN. La villa ouverte sur un jardin se révèle autant hollywoodiennes que méditerranéenne, tandis que l’omniprésente pluie nous éloigne définitivement de l’image d’Epinal collée à la Grèce, mais nous rapproche au contraire des codes du film noir.

Mais si le cadre est celui du film noir, ce huis clos se montre bien plus graphique dans ses excès que ses modèles. En 1990, Nikolaïdis choque par plusieurs scènes d’humiliations qui voient ainsi notre privé se faire uriner et vomir au visage. Quant aux repas de cette famille dysfonctionnelle, l’ingurgitation le dispute à la régurgitation dans un va-et-vient qui n’est pas sans provoquer un certain malaise.

Mère et fille se livrent donc à des joutes sexuelles et des jeux sadomasochistes sur les victimes qui ont le malheur de croiser leur chemin. Précédant la popularisation du SM qui survient dans les années ‘90, ce type de séquences marque alors ses spectateurs… et reste parfaitement effective de nos jours.

La Laura recherchée est ici clairement celle d’Otto Preminger. Nikolaïdis recrée le genre du « film noir », non seulement par l’usage d’un noir et blanc superbement photographié et par les codes scénaristiques du genre (le privé, la femme perdue, la femme fatale), mais aussi par un judicieux usage de la musique.

Pour autant, une autre référence vient à l’esprit, celle du David Lynch de BLUE VELVET ou de TWIN PEAKS (tiens, une autre Laura disparue !), alors contemporain et dont le cousinage ressort ici par l’ambiance bizarre et outrée. Laura, un prénom maudit ?

Le final convoque une résolution qu’on se gardera de dévoiler, mais qui n’est pas sans rappeler une séquence du TETSUO, tourné un an plus tôt par Shinya Tsukamoto.

Qui dit outrance, dit performance d’acteurs. On évoquera donc ce magnifique duo de folles campé, pour la fille, par Meredyth Herold (qui n’a guère tourné depuis) et, pour la mère, par Michelle Valley. Vingt ans plus tard, cette dernière réendosse un rôle de mère dans cet autre huis clos grec déviant : CANINE (2010) de Yorgos Lanthimos.

Si Singapore Sling s’exprime principalement en voix off en anglais (encore un code du film noir, d’ailleurs présent sur le LAURA d’Otto Preminger), la mère passe de l’anglais au français, langue atypique pour un film non francophone. Elle et sa fille n’hésitent en outre jamais à briser le quatrième mur pour s’adresser au spectateur, impliqué dès lors dans leurs débauches. S’installe ainsi un rapport exhibition – voyeurisme, propre au cinéma, mais ici souligné l’air de rien par les personnages.

Au fil des années, le film a gagné ses galons d’œuvre culte et un peu borderline. Le public francophone l’avait découvert très tôt : SINGAPORE SLING avait déjà été programmé au BIFFF 1991, lequel festival l’avait repris dix ans plus tard, en compagnie de SEE YOU IN HELL, MY DARLING. SINGAPORE SLING a encore été reprogrammé par Offscreen 2016, dans le cadre d’un riche focus sur les femmes folles dans le cinéma de genre. En France, SINGAPORE SLING a connu une sortie en salle le 8 septembre 1999. Par la suite, l’incontournable ED Distribution l’a édité en DVD.

Retrouvez notre couverture de Offscreen 2016.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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