Un texte signé Nassim Ben Allal

Etats-Unis - 2009 - Paul Solet
Interprètes : Jordan Ladd, Samantha Ferris, Stephen Park, Serge Houde

BIFFF 2009review

Grace

Pour son tout premier long-métrage (dont il signe également le scénario), Paul Solet décide d’adapter son troisième court-métrage, tourné trois ans auparavant…et ne choisit pas vraiment la facilité.
Madeline Matheson perd son mari et son futur bébé dans un accident de la route. Effondrée, elle décide néanmoins de poursuivre sa grossesse jusqu’à son terme et accouche dans un bassin selon des méthodes parallèles. Surprise, elle donne naissance à une petite fille visiblement vivante qu’elle prénomme Grace. Très rapidement, armé de petites dents tranchantes, le bébé se désintéresse du lait maternel pour mieux s’attaquer aux seins de sa génitrice. Pas démontée pour autant, Madeline se met alors à préparer des biberons de viande crue pressée pour Grace qui, petit à petit, montre un véritable goût pour le sang humain, entrainant sa mère dans un implacable engrenage…
Depuis Larry Cohen avec LE MONSTRE EST VIVANT, le thème du bébé monstrueux n’a plus vraiment été au centre d’un long-métrage, excepté dans les suites du film susnommé. Si Peter Jackson a pu nous faire hurler de rire avec le nouveau-né de BRAIN DEAD, ce cher petit monstre n’était pas au cœur du sujet. Plus proche d’un ROSEMARY’S BABY que des débordements de Cohen et Jackson, Paul Solet signe un film intimiste à l’atmosphère très travaillée. Malgré une évidente étroitesse de budget, le réalisateur parvient à instaurer un malaise constant grâce (sans mauvais jeu de mot) à un découpage ultra-précis et un montage qui ne laisse pas la place au hasard. Dans sa mise en scène, tout est réfléchi, pesé, pour faire sens sans chichis ni artifices de réalisation. Ainsi, Paul Solet livre une œuvre classique et académique au sens noble du terme, tout en pliant les règles à son univers glauque et malsain. Ce n’est pas ici un jugement de valeur que d’employer ces deux termes, simplement un constat qui valide la réussite plastique de l’œuvre. Evidemment, une telle radicalité dans les choix a de quoi en désarçonner plus d’un, et tel est le but de l’artiste, totalement habité par son sujet. Puisant dans ses souvenirs personnels (il a appris à l’âge de dix-neuf ans que sa mère attendait aussi son jumeau, décédé in-utero) et en y ajoutant des éléments puisés dans des anecdotes médicales (des femmes qui, ayant perdu leur bébé pendant la grossesse, décident néanmoins de poursuivre celle-ci jusqu’à son terme), l’auteur-réalisateur joue avec les clichés inhérents au bon gros bébé rosé et joufflu, jouant par là avec de nombreux tabous entourant l’enfantement. Purement jouissive, cette approche permet de découvrir une toute nouvelle façon de pouponner : biberons au sang, bébé toujours accompagné d’un nuage de mouches et maman totalement dévouée, jusqu’à l’absurde. Absurde ou folie ? GRACE ne tranche pas vraiment. Nous tenons-nous devant une femme folle de chagrin qui perd pied et s’enfonce dans sa psychose, ou face à un miracle ? En montant crescendo dans l’horreur et dans l’approfondissement psychologique de la jeune maman, GRACE délivre des réponses…en forme de questions…et c’est ce qui fait sa réussite. En ne dévoilant jamais la vraie nature de Grace, Paul Solet achève de délivrer un film envoutant au scénario en apparence simple mais d’une réelle portée psychanalytique malheureusement parasité par une histoire d’amour homosexuelle très peu pertinente.


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- Article rédigé par : Nassim Ben Allal

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