Un texte signé Philippe Delvaux

Danemark - 2007 - Anders Ronnow-Karlund
Titres alternatifs : Hvordan vi slipper af med de andre
Interprètes : Søren Pilmark, Louise Mieritz, Søren Fauli, Poul Glargaard

review

How to Get Rid of The Others

Une nouvelle loi votée en catimini autorise la détention, le jugement sommaire et l’exécution des citoyens improductifs : les voyous, les handicapés, les alcooliques, les profiteurs du système. Tous ceux qui ne peuvent apporter la preuve de leur apport à la société sont potentiellement condamnables. Un punk, une SDF, une handicapée, deux tenanciers de bordels, un artiste se retrouvent ainsi enfermés dans le gymnase d’une école transformée en camp de détention. Ils y rencontrent une femme qui leur explique faire partie d’un réseau de résistance et qui veut les aider à échapper à la condamnation. Bientôt, les interrogatoires vont commencer, sous la férule d’un militaire zélé et d’un des politiciens qui ont voté la loi.
Si on vous dit que HOW TO GET RID OF THE OTHERS a été produit sous l’égide de Zentropa, la compagnie de Lars Von Trier, peut-être aurez-vous déjà une idée de ce à quoi il faut vous attendre : un film concept, aux résonances politiques, sociales et philosophiques marquées et à l’approche iconoclaste et politiquement incorrecte. Stylistiquement par contre, on ne se situe ni dans l’épure du Dogme, ni dans le formalisme extrême de DANCER IN THE DARK ou de DOGVILLE. Anders Ronnow-Karlund délaisse les questions formelles, ou du moins ne les transforme pas en enjeux spécifiques, et préfère se concentrer sur ses thématiques, lesquelles font pleinement partie de l’univers Zentropa qui aime à s’attacher aux délaissés : les attardés dans les IDIOTS, les blessés de la vie dans DANCER IN THE DARK, les opprimés et les profiteurs dans DOGVILLE et dans sa suite… HOW TO GET RID OF THE OTHERS condense à peu près tout ce beau monde.
Nous nous situons donc dans une fable d’anticipation, sur le mode du “que se passerait-il si… ?” Une fable qui pousse à l’extrême sa logique, comme ont pu le faire “1984” ou “Le meilleur des mondes” en littérature ou encore BRAZIL au cinéma. Dans un autre genre (plus nihiliste mais moins politiquement travaillé), une “loi martiale” se trouvait aussi à la base de l’argument de BATTLE ROYALE de Kinji Fukasaku. Les questions de HOW TO GET RID OF THE OTHERS sont à la fois sociétales, politiques et philosophiques : à quoi tient le contrat social, quelle attitude l’Etat doit-il adopter face à ceux qui lui coûtent, quelle est la valeur d’une vie humaine, quelles responsabilités chacun doit-il endosser au sein de la société…? Précisons d’emblée à ceux qui redoutent un abominable pensum que la traduction de ce discours dans le scénario se révèle extrêmement fluide et qu’à sa présentation au 25e Festival du film fantastique de Bruxelles, la salle était régulièrement prise de fous rires. L’angle retenu est en effet celui de la farce outrancière, politiquement incorrecte (le centre d’internement n’est pas si éloigné d’un camp de concentration hitlérien, lequel a aussi cherché à se débarrasser des “brebis galeuses” au rang desquelles les handicapés). Et tant qu’à s’avouer explicitement politique, les dialogues se réfèrent souvent aux “gauchistes” ou au parti social démocrate.
Le jugement des protagonistes se fait sur la base de ce qu’ils ont ou non apporté à la société (représentée par l’Etat). Il y a une inversion vicieuse du rôle de l’Etat qui devient lui-même une finalité (l’être humain doit apporter une valeur ajoutée à la société, laquelle transcende donc l’individu). La société n’est donc plus uniquement le lieu d’épanouissement de l’Homme, le filet de sécurité contre les aléas de la vie, elle devient son créancier. Remarquons que pour compléter la parabole, les prisonniers sont enfermés dans une école, lieu d’apprentissage et de socialisation.
A l’heure où le modèle social européen (traditionnellement fort développé en Europe du Nord) subit les coups de boutoir néo-libéral en vue de le détricoter, la charge d’Anders Ronnow-Karlund fait mouche. Bien entendu, HOW TO GET RID OF THE OTHERS n’est pas un essai politique et le réalisateur ne livre pas “LA” solution pour résoudre le problème des profiteurs mais il reconnaît la difficulté de la matière en mettant dans le même sac ceux qui abusent du système (les fraudeurs patentés) et ceux qui en bénéficient légitimement, quand bien même ils aggravent leur cas par un comportement inapproprié (la femme handicapée qui ruine ses chances de guérison en sombrant dans l’alcool). La frontière entre le bénéfice d’une aide et l’abus de celle-ci est une question délicate. Il y a, via les protagonistes, une gradation de la responsabilité personnelle de chacun dans sa situation. Est-ce pour autant que cela justifie la rupture avec l’Etat (la mort dans le film, métaphore de la coupure des allocations ou de toute forme d’aide étatique)
Rappelons que Anders Ronnow-Karlund a obtenu le Méliès d’or du meilleur film fantastique européen (prix décerné par l’ensemble des festivals de films fantastiques en Europe) en 1999 pour POSSESSED et le Méliès d’Argent plus récemment pour le très beau STRINGS (aka LE FIL DE LA VIE, chroniqué dans Sueurs Froides). Un auteur à suivre donc.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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