Un texte signé Alexandre Lecouffe

U.S.A. - 1959 - William Castle
Titres alternatifs : The house on haunted hill
Interprètes : Vincent Price, Carolyn Craig, Elisha Cook Jr.

retrospective

La nuit de tous les mystères

Le réalisateur/producteur William Castle s’est fait connaître à la fin des années 50 par une série de films d’épouvante à petit budget pour lesquels des « gimmicks » étaient créés lors de leur exploitation en salle. Parmi ces « trucs » de fête foraine visant à faire la publicité du film mais à susciter aussi une vraie interactivité entre le réalisateur et son public, on peut citer le système « Illusion-O » (des lunettes type 3D pour percevoir les ectoplasmes de 13 FANTÔMES ,1960), le « Percepto » (des décharges électriques sous les fauteuils du cinéma pour LE DESOSSEUR DE CADAVRES, 1959) ou le « Emergo » (un squelette est baladé au dessus des spectateurs pendant LA NUIT DE TOUS LES MYSTERES). Si ces procédés techniques n’atteignaient pas toujours le but escompté (le squelette, par exemple, restait parfois coincé dans sa boîte ou sortait au mauvais moment, ce qui provoquait l’hilarité des spectateurs), il faut reconnaître que William Castle fut un ingénieux artisan salué par des réalisateurs aussi divers que John Waters (qui mit en place le procédé « odorama » pour POLYESTER, 1981) ou Joe Dante qui à travers PANIQUE SUR FLORIDA BEACH (1993) rend un hommage appuyé à la personnalité de William Castle. Ce dernier s’offre pour LA NUIT DE TOUS LES MYSTERES les services de l’immense Vincent Price qui n’avait pas encore débuté sa carrière consacrée au cinéma fantastique (il avait joué dans LA MOUCHE NOIRE de Kurt Neuman l’année précédente et s’apprêtait à tourner le cycle des adaptations de Edgar Poe par Roger Corman.).
L’extravagant et désœuvré milliardaire Frederick Loren (Vincent Price) organise, à la demande de son épouse Annabelle, une soirée dans une demeure supposée hantée où plusieurs personnes auraient trouvé la mort. Les cinq invités du couple (une employée du milliardaire, un pilote, une journaliste, un psychiatre et le propriétaire de la maison maudite) ont pour consigne de rester en vie toute une nuit dans les lieux, auquel cas ils se verraient récompensés d’une somme de 10 000 dollars ! Les portes et les fenêtres sont à peine verrouillées sur les sept protagonistes que des événements inquiétants se produisent : chute d’un lustre manquant de tuer une invité, bruits et craquements sinistres, apparition fantomatique…La peur s’installe bientôt et ne fait que croître alors que l’épouse du milliardaire disparaît mystérieusement…
Le film s’ouvre sur un petit discours du maître des lieux qui s’adresse directement aux spectateurs, leur expliquant les enjeux du pari et leur présentant brièvement les différents invités. Cette volonté d’établir dès l’incipit une connivence entre ceux qui regardent et le « maître de cérémonie » (Frederick Loren et, à travers lui, le véritable orchestrateur de ce jeu macabre :William Castle) servira de motif principal à LA NUIT DE TOUS LES MYSTERES. Le film mélange alors astucieusement intrigue policière en huis-clos (un meurtre est commis, l’assassin est forcément parmi les reclus volontaires) et ambiance proche de l’épouvante gothique (grincements des portes, apparitions fantastiques, sous-sol piégé,…) en exploitant de façon optimale la configuration des lieux. La demeure est en effet l’élément central du film, mélange de froideur moderne (les plans en extérieurs utilisent une maison/forteresse conçue par l’architecte Franck Lloyd Wright) et de baroque (les intérieurs sont de vastes pièces au luxe fastueux). Le mystère et le doute qui nourrissent progressivement le récit (la maison est-elle vraiment hantée ou un assassin se cache-t-il parmi les occupants ?) sont amplifiés par un travail formel sur l’espace architectural. En effet, le montage privilégie le morcellement et la déstructuration des lieux si bien qu’il devient impossible de se représenter la demeure selon une topographie précise. En ajoutant en plus des portions d’espaces inattendus (le plafond où se balance un pendu, le sous sol et sa cuve d’acide…), le réalisateur réussit l’exploit de mettre le spectateur dans la même situation que ses personnages en manque de repères. On peut alors regretter que les effets de peur soient beaucoup moins subtils : spectre ricanant, découverte d’une tête tranchée dans un coffre, squelette menaçant et autres apparitions sont utilisés comme de simples clichés (bien que justifiés par le scénario). On retiendra plutôt la façon dont William Castle fait de sa maison hantée une matérialisation de l’esprit machiavélique de Frederick Loren et comment le film joue sur le principe de la mise en abyme : sans trop en dévoiler, disons que le personnage interprété par le génial Vincent Price est un « metteur en scène » féru de tours de passe-passe tout à fait à l’image de son créateur William Castle. A la fois roublard et empreint d’un vrai sens du macabre, le film a certes vieilli mais il recèle encore de qualités indéniables. La maison de production Dark Castle (oui, le nom est un hommage…) a réalisé un remake pâlot du film en 1999 (LA MAISON DE L’HORREUR de William Malone) puis lui a donné une suite en 2007.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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