Un texte signé Philippe Chouvel, Jérôme Pottier

France - 1980 - Jean Rollin
Titres alternatifs : Night of the Hunted
Interprètes : Brigitte Lahaie, Vincent Gardère, Dominique Journet, Bernard Papineau, Rachel Mhas, Catherine Greiner, Nathalie Perrey, Christiane Farina, Véronique Délaissé

retrospective

La Nuit des Traquées

Une jeune femme s’échappe d’un étrange building dans lequel des patients atteints d’un mal étrange sont maintenus en captivité. Mais l’amnésie dont elle souffre va constituer un handicap sérieux à sa nouvelle liberté.

Un homme d’une trentaine d’années, Robert, roule dans les alentours de Paris à la nuit tombée. Soudain, une silhouette surgit du bas-côté de la route : une jeune femme, aux cheveux blonds, en chemise de nuit, la frayeur se lit sur son regard. Le conducteur, d’abord surpris, s’arrête et l’interpelle, mais la fille prend la fuite. Il finit par la rattraper, elle s’appelle Elisabeth et semble avoir perdu la mémoire. Elle sait seulement qu’elle doit fuir, guidée par son instinct, et qu’ « ils » ne doivent pas la reprendre. Robert parvient à la convaincre de monter dans sa voiture. Tandis qu’ils s’éloignent, une autre jeune femme, restée cachée dans les sous-bois et entièrement nue, prononce le nom d’Elisabeth, le ton empli de tristesse.
Robert conduit sa passagère jusque chez lui. En sortant de la voiture, Elisabeth veut partir. Elle observe les alentours, cherchant en vain le moindre repère familier. Mais l’amnésie dont elle souffre paraît très grave. En désespoir de cause, elle accepte l’invitation de Robert et le suit dans son appartement. Les pertes de mémoire de la jeune femme sont telles qu’elle en vient à oublier son prénom ; ses souvenirs sont fragmentés et peu cohérents. Le fait qu’elle ne se rappelle pas ce qu’elle a vécu dans les minutes précédentes l’enferme dans un monde à part, celui de l’instantanéité. Cherchant un fait ancien auquel elle pourrait toujours se rattacher, elle se donne à Robert, dans l’espoir que cette nuit d’amour demeure un souvenir indélébile.
Au petit matin, Robert part travailler mais Elisabeth ne reste pas seule très longtemps, puisqu’elle reçoit la visite de personnes qui paraissent très bien la connaître : le docteur Francis accompagné de Solange, son assistante. Le médecin conduit Elisabeth dans un immense building de béton et de verre, lui-même entouré de tout un ensemble de constructions similaires. L’édifice abrite un nombre important de personnes souffrant des mêmes maux qu’Elisabeth. C’est de cette tour qu’elle s’était échappée, en compagnie de Véronique, la fille nue restée dans les sous-bois. Elisabeth ne va pas tarder à la retrouver, mais la reconnaîtra-t-elle ?

1980… L’univers « Rollinesque », à base de vampires, de fantastique et d’onirisme est désormais loin. Depuis 1978, l’horreur constitue l’essence de ses films, avec d’abord LES RAISINS DE LA MORT, suivi de FASCINATION l’année suivante. Une série qui se poursuit donc avec cette NUIT DES TRAQUEES, parachevant en quelque sorte la « trilogie Brigitte Lahaie ». Thématiquement, on peut également considérer cette série de films comme une réflexion sur la mémoire (le générique de FASCINATION en est une preuve irréfutable) et l’écologie (après l’épidémiologique LES RAISINS DE LA MORT, LA NUIT DES TRAQUEES et sa dénonciation du nucléaire enfoncent le clou).
L’échec financier de FASCINATION (pourtant l’un de ses meilleurs films malgré un tournage en deux semaines) oblige une fois de plus Jean Rollin à trouver un producteur/distributeur afin d’être en mesure de réaliser un nouveau film. Et une fois encore, il en trouvera un au prix des concessions habituelles : un budget minuscule, un tournage très court (moins de deux semaines) et l’obligation d’intégrer des scènes de sexe dans le scénario. En contrepartie, le metteur en scène a carte blanche pour le script et le tournage. Faute de moyens, Rollin se tourne vers le milieu du X où il dispose de relations solides (puisqu’il qu’il continue en parallèle de tourner des films pornographiques sous les pseudonymes de Michel Gentil ou Robert Xavier, essentiellement pour payer ses dettes). Aux côtés de Brigitte Lahaie, il recrute ainsi Rachel Mhas, qui a joué dans plusieurs films X de Rollin : PHANTASMES (1975-version hard de LEVRES DE SANG), LA COMTESSE IXE (1976, ou « quand Franju rencontre la pornographie ») ou encore VIBRATIONS SEXUELLES (1977). Et aussi Catherine Greiner, alias Cathy Stewart, l’une des stars du porno français, disparue tragiquement en 1994. On peut citer également, parmi les seconds rôles masculins, Alain Plumey (qui fit carrière dans le X sous le pseudonyme de Cyril Val, un pseudo choisi en hommage à la littérature Russe et à Arthur Rimbaud) et Jacques Gateau. Cyril Val (qui dirige aujourd’hui le musée de l’érotisme à Paris), quant à lui, fut repéré par un réalisateur lors d’une partouze organisée par les créateurs du cours Florent ! L’oeil averti du spécialiste pourra aussi reconnaître brièvement la superbe Marilyn Jess parmi les pensionnaires de la tour. Hors actrice X, on peut s’émerveiller de la belle prestation de Dominique Journet, sublime rousse à la beauté fragile, dans le rôle de Véronique. Elle tiendra, trois ans plus tard, un rôle important dans LA TRAVIATA de Franco Zeffirelli. Notons que le personnage de Véronique devait être joué par Martine Delva à qui le film est dédié. Cette dernière connut un bien triste sort, à l’image des pensionnaires de l’étrange hôpital de ce long métrage, elle tomba dans un coma profond suite à un accident de moto pour ne jamais en sortir !
Ce qui frappe immédiatement à la vision de LA NUIT DES TRAQUEES, c’est la froideur des décors, donnant au film un caractère impersonnel et très dépouillé. Le metteur en scène a quitté les châteaux et décors champêtres pour un univers urbain, sinistre, glacial et uniformément gris : celui des tours du Quartier de la Défense, l’édifice abritant les malades étant le siège de Fiat. Les lieux sont fréquentés par le personnel d’entreprises durant la journée, donc Rollin a essentiellement tourné le soir après 18 heures.
La tristesse du cadre choisi est d’ailleurs amplifiée par la partition musicale de Gary Sandeur qui a composé là de longs thèmes instrumentaux empreints d’angoisse et de nostalgie. Mais malgré tous ces changements, la « patte » du metteur en scène est toujours bien présente, essentiellement dans le jeu souvent emphatique des acteurs, et dans la façon unique qu’a Jean Rollin de poétiser la réalité surtout lors du très beau final. Le réalisateur en profite aussi pour véhiculer certaines idées à travers son film. L’histoire de ces malades mis en quarantaine, sujets à des expérimentations, puis transférés en train dans un autre lieu ramène inévitablement aux exactions des nazis, les camps de détention et les trains de la mort. De plus, l’isolement forcé des patients dans un espace confiné peut être interprété comme une parabole sur le sort réservé autrefois à certains prisonniers politiques. Rollin évoque le sort réservé à la bande à Baader-Meinhoff.
Malgré d’évidentes maladresses, LA NUIT DES TRAQUEES mérite bien mieux que tout le mal qu’on a pu en dire à sa sortie. Le film ne se résume pas à une accumulation de scènes érotiques et à quelques plans gore, il renferme au contraire des moments d’intense émotion, comme la scène où Catherine invente un passé afin d’avoir le sentiment de vivre. Ou encore celle de cette femme plus âgée (Nathalie Perrey, une fidèle de Rollin) qui parle de l’enfant qu’elle n’a jamais eu. A la nuit tombée, cette tour lugubre ressemble à un vaste labyrinthe. Les malades y errent sans espoir d’en trouver la sortie. Enfin, il y a cette scène finale magnifique qui résume à elle seule toute la poésie de Jean Rollin et démontre, sans coup férir que, malgré les épreuves, l’amour reste plus fort que la mort. En cela, LA NUIT DES TRAQUEES peut aussi être considéré comme une adaptation moderne du mythe d’Orphée.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel, Jérôme Pottier

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