Un texte signé Patryck Ficini

France - 2012

horizonsLa Samain du Cinéma Fantastique 2012

La Samain du Cinéma Fantastique 2012

Pour sa troisième édition, le festival fantastique niçois change de nom (légèrement), en référence à la période d’Halloween, et recentre avec bonheur, pour nombre de fans, son activité sur le fantastique au sens large, voire sur le film d’horreur qui a la part belle.
La richesse du fantastique n’est plus à démontrer pour les lecteurs de SUEURS FROIDES et La Samain du Cinéma Fantastique 2012 le prouve avec brio tant les plaisirs et les émotions éprouvées (les chocs esthétiques aussi) s’avèrent variés.
Beaucoup d’avant-premières mais aussi quelques rétrospectives comme les excellents ROBOCOP ou LA CREATURE DU LAC NOIR, présenté en relief. Beaucoup d’horreurs en tous genres mais aussi de la poésie et de la beauté , (un film magnifique comme EXCISION remplit à ce titre doublement son contrat), notamment dans la sélection de court-métrages présentés Au-delà des projections et des invités, des animations comme la traditionnelle Zombie Walk ou du cosplay, la Samain aborde ainsi le thème des fées, du manga ou même des super-héros, preuve supplémentaire de l’éclectisme du festival qui dépasse largement les frontières parfois trop balisées du cinéma.

THE WHISPERER IN DARKNESS est un étonnant film réalisé par l’équipe du fameux CALL OF CTHULHU, ce moyen-métrage génial réalisé comme un film muet d’époque. Au générique, on retrouve Sandy Petersen en tant que producteur exécutif, un nom bien connu des amateurs de jeux de rôles puisqu’il fut le créateur inspiré de L’Appel de Cthulhu.
THE WHISPERER est un film pensé par et pour les admirateurs du Maître de Providence. Les auteurs affichent un respect inébranlable envers l’oeuvre de Lovecraft et réalisent sans doute l’un des films les plus honnêtes et fidèles à un texte du Mythe de Cthulhu, même si pour des raisons évidentes et excellentes de durée, l’intrigue narrée dans CELUI QUI CHUCHOTAIT DANS LES TENEBRES est développée et augmentée par rapport à l’original lovecraftien. On se croirait dans une partie (très réussie) de L’Appel de Cthulhu, justement !
Toujours en noir et blanc comme CALL OF CTHULHU, THE WHISPERER n’est plus un film muet mais plutôt un film à la Val Lewton, qu’on croirait réalisé par un Jacques Tourneur moderne. On passe en quelque sorte des années 20 aux années 40.
Brillamment interprété (dans l’ensemble), mis en scène et photographié, THE WHISPERER est vraiment une excellente surprise à laquelle on ne pourra reprocher que quelques longueurs et dialogues un peu lourds. Détail que cela tant l’atmosphère lovecraftienne est bien là, pesante et inquiétante jusqu’à un final palpitant où les auteurs sortent la grosses artillerie (rite démoniaque et attaque d’un avion par des créatures volantes) sans pour autant, loin s’en faut, dénaturer le projet initial. Pour les connaisseurs, les auteurs s’autorisent même la présence remarquée du célèbre Charles Fort, l’auteur du LIVRE DES DAMNES, lors d’un débat avec le héros. Fort et Lovecraft sont indiscutablement liés et les voir mêlés dans un même film a quelque chose de génial.
THE WHISPERER IN DARKNESS de Sean Branney est la preuve absolue et irréfutable que, oui, Lovecraft est fidèlement adaptable au cinéma. Il apporte aussi l’évidence qu’il faut surveiller de très près le formidable travail de ses auteurs. Le meilleur est peut-être à venir.

On reste dans les rôlistes avec MIMESIS qui voit une bande de détraqués créér un jeu de rôles grandeur nature autour du film LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero. Le problème est que, si les rôlistes incarnent les zombies, ils tuent pour de vrai des victimes évidemment pas consentantes !
Au début, on croit avoir affaire à un remake un peu curieux du classique de Romero, puis on découvre bien vite un oeuvre originale qui s’en approprie les différents éléments pour mieux les détourner et peut-être même faire plus peur que l’original. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de zombies ici, juste des pervers cannibales qui tournent leur remake (snuff-movie, quelque part) et parce que la réalité (les tueurs en série, par exemple) fait toujours plus peur que les créatures surnaturelles. En effet, pas impossible d’imaginer lire un fait-divers de ce genre dans son journal ; et cela fait froid dans le dos. Pour le concept, on pense un peu au premier SCREAM, tout de même assez fort dans le genre, l’humour en moins. Le tueur au masque file une gentille frousse semblable à celle de n’importe quel tueur de slasher ; mais les tarés homicides du final sont des plus glaçants. Car on pourrait les rencontrer. En ce qui concerne l’implication des rôlistes, disons qu’elle est bien commode et qu’elle ne fera pas vraiment plaisir aux vrais pratiquants de jeux de rôles, évidemment bien éloignés des fous furieux ici décrits.
Dans le très intéressant petit débat qui a eu lieu après la projection, le réalisateur D. Schulze a indiqué que ce film à petit budget (ce qui ne se dirait pas, même si les droits du film de Romero sont dans le domaine public) pourrait donner naissance à une franchise basée sur le même concept. On pourrait effectivement décliner MIMESIS à l’infini : avec VENDREDI 13 (le réalisateur y a pensé pour
ce premier opus) ou avec NOSFERATU (ce qui semble à l’étude).
MIMESIS, pas avare en gore, fait peur et ce qui aurait pu n’être qu’un film de zombies de plus se révèle un petit joyau malsain et sans concession – avec la participation éclairée de Sid Haig, excusez du peu.

EXCISION est un film très étonnant sur l’adolescence et plus particulièrement sur une adolescente qui peine à trouver sa place dans ce monde trop banal. On pense parfois à CARRIE ou à MAY pour ce portrait écrit de main de maître. Les scènes sanglantes ou un peu trash (le sexe est capital dans le film), comme dans tout bon film d’horreur (car EXCISION en est un vrai), n’empêchent pas la franche beauté de certains images. EXCISION suscite des émotions contradictoires comme le rire et les larmes On y retrouve dans le rôle principal Annalynne McCord, de NIP/TUCK, transfigurée et vraiment bonne actrice. Il faut du courage pour accepter de s’enlaidir à ce point, mais aussi pour jouer dans des passages difficiles. Sa mère est interprétée avec un immense talent par Traci Lords, qu’on ne présente plus. L’on se demande juste qui donnera sa chance à notre Brigitte Lahaie nationale dans un rôle pareil. Peut-être maintenant, après la disparition de Jean Rollin, auquel son nom reste encore trop attaché dans le cinéma (plus ou moins) traditionnel.
Les seconds rôles sont assurés par des pointures comme Malcom McDowell et John Waters : EXCISION a un très beau casting !
La réalisation de R. Bates junior est brillante, inventive. Nous avons affaire à un redoutable créateur d’images aussi belles qu’oniriques. Et le fond est aussi passionnant que la forme.
En 2010, Bates avait apporté au festival niçois un court-métrage du même titre. Le long-métrage est aujourd’hui présenté à un public qui pourra difficilement être déçu. C’est très encourageant pour d’autres réalisateurs de court-métrages talentueux, comme il y en a cette année encore.

GRABBERS, signé Jon Wright, est une comédie horrifique plutôt S.F où des irlandais (irrésistible couple d’enquêteurs) font face à une invasion de créatures aquatiques assez lovecrafiennes. On sourit beaucoup, on rit un peu, c’est très agréable et très bien fait. La trouvaille du film ? Les monstres sont allergiques à l’alcool ; les villageois n’ont qu’une solution pour leur échapper : se saouler à mort ! Très drôle. Les personnages secondaires sont bien caractérisés. On pense un peu à SHAUN OF THE DEAD, même si un peu plus de gore aurait pu être sympa pour le fan. Les monstres sont très réussis, et notamment le monstre géant du final. Quoiqu’un peu long à démarrer en terme d‘action, quand GRABBERS attaque, il attaque fort.

V/H/S : encore un film en caméra subjective, qui donne mal au coeur. Incroyable la postérité des PROJET BLAIR WITCH, REC et autres CLOVERFIELD. V/H/S est un film à sketches (bonne idée) hélas assez pénible à suivre. Après une insupportable histoire de vampire s’en prenant à des jeunes bourrés (bon final cependant), on a droit à une insipide et beaucoup trop longue virée entre amoureux qui tourne au cauchemar, puis à un slasher qui ne casse pas des briques et enfin à une histoire démoniaque déjà plus effrayante dans sa dernière partie.
Quelques scènes meilleures que d’autres dans le premier et le dernier sketch , mais au final un film assez épuisant qui pose l’éternelle interrogation des films ratés : « tout ça pour ça ? ». Dommage car il y a des tentatives de jouer la carte du malsain, hélas jamais poussées à l’extrême.

Prévu au départ comme un court-métrage, ROCK AND ROLL OVER en sera bientôt un long. Les vingt premières minutes, aussi détonnantes que psychédéliques, nous ont été présentées en avant-première. Elles donnent très envie de voir le film dans son intégralité. C’est très bien filmé, avec une excellente utilisation de la musique, et notamment du rock. ROCK AND ROLL OVER sera un curieux cocktail entre film d’animation, rockumentaire (avec la participation de stars réelles comme Alice Cooper) et giallo. Les vingt premières minutes en donnent un bon aperçu, en ce qui concerne les deux derniers points.
On pense à PHANTOM OF THE PARADISE mais aussi aux giallos de Sergio Martino pour le meurtre final, onirique, et très beau graphiquement – avec un hommage rock n’roll à l’une des scènes les plus célèbres de L’EVENTREUR DE NEW-YORK de Lucio Fulci. La réalisation hyper seventies, très esthétique, évoque les grandes heures du cinéma bis italien ; l’utilisation du rock rappelle des expérimentations passées de Dario Argento (sur PHENOMENA et OPERA, principalement), Argento qui devrait faire une apparition dans le film – tout comme Brigitte Lahaie ! Le meurtre est très violent, mais le film ne sera pas un catalogue d’atrocités, selon les dires de Enguerran Prieu, son réalisateur, qui pourra ainsi séduire différents publics.
Il est passionnant de voir combien le giallo passé inspire de jeunes réalisateurs actuels, en Italie comme en France. On pense bien sûr à AMER, l’exemple le plus connu. Mais ROCK AND ROLL OVER devrait vraiment faire son chemin, par son originalité et par la qualité évidente de sa réalisation.

Soirée court-métrages :

BABY-SITTING de Lucas Masson : une comédie très gore avec des enfants tueurs sadiques à la mine inquiétante. 20 minutes réjouissantes : le meilleur gore du festival ! Avec des actrices vraiment amusantes et deux enfants comédiens vraiment… inquiétants !

THE VIRGIN HEROD de Xander Robin: un film répugnant (ce qui n’est pas un défaut) sur fond de bordel et de maladie vénérienne gory. Dommage qu’il soit incompréhensible car il y a de belles scènes trash.

MORT D’UNE OMBRE de Tom Van Avermaet : très beau, hyper professionnel. Du fantastique classique, littéraire, ambitieux avec une parfaite maîtrise de l’image. Emouvant, romantique et esthétique. La parfaite alliance du fond et de la forme. Une deuxième vision s’imposerait pour en percevoir tout le sel car l’histoire est riche et complexe.

SHOOT FOR THE MOON de Casandra Macias Gago : très drôle, bourré de gags, un film très pro là encore sur la fameuse conspiration qui voudrait que le premier alunissage ait été l’une des plus grandes manipulations de l’histoire.

FOXES de Lorcan Finnegan : du fantastique littéraire et esthétique. Pas clairement compréhensible et un peu trop long, mais assez beau tout de même.

THE HALLOWEEN KID de Axelle Carolyn : un petit conte très réussi, très mignon, sur un enfant à part qui, moqué par ses camarades, trouvera réconfort aurpès des spectres d’Halloween.

THE AFTERMATH de Greg Tosolini : réellement impressionnant techniquement, THE AFTERMATH est malgré tout un film de S.F. qui nous a semblé trop bavard. Il aurait peut-être été bon de passer par moins de dialogues explicatifs pour se contenter d’une approche strictement visuelle

SOUVENIRS DE VACANCES de Olivier Strecker : Stéphane Bourgoin est remercié au générique et l’on comprend pourquoi. Le film, sur un serial-killer, est glaçant. Les images du tueur se confessant sont entrecoupées de plans de cadavres, puis de meurtres absolument malsains. Terrifiant car réaliste. Ce genre de choses arrivent. Sur la façon de filmer les corps torturés, on pense à du Jörg Buttgereit. LE film glauque de la sélection, qui en rebutera plus d’un. On pourrait lui reprocher une certaine facilité dans le traitement, mais ce serait lui faire un mauvais procès tant il y a quelque chose de marquant dans cette mosaïque d’atrocités.

FRITZ de Roman Soni : que voilà un excellent rape ans revenge dans la lignée du I SPIT ON YOUR GRAVE avec un personnage de tueur/violeur en série particulièrement bien caractérisé et interprèté par Ashley Levindhead : pitoyable au début, assez classe ensuite avant d’être répugnant et ignoble à la fin. La victime d’ailleurs est fort bien jouée par Roxy Morgane. Le viol est éprouvant et la revanche des proches des victimes presque aussi forte, avec le psychopathe attaché à un arbre et lardé de coups de couteaux puis émasculé. Là on pense aux films de cannibales italiens. Le réalisateur sait cadrer, raconter une histoire et prendre le spectateur pour l’entraîner dans son univers tout de même bien dérangeant. Roman Soni a voulu rendre hommage aux films de genre ultra violents des années 70 et il y est parvenu. Très efficace.

Pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous n’avons malheureusement pas pu assister à certains projections, notamment à la très prometteuse nuit du cinéma extrême (avec des films comme MANIAC (le remake), AMERICAN MARY ou MEGAN IS MISSING) ou à la soirée spéciale Maisons hantées. Ne doutons pas qu’elles furent riches en frissons !

La Samain du Cinéma Fantastique reste incontournable pour tous ceux qui sont à Nice en cette période d’Halloween ; mieux, elle est une excellente raison d’y venir !

GRAND PRIX : GRABBERS
PRIX DU JURY : LOOPER

PRIX DU PUBLIC : MEILLEUR FILM : GRABBERS
PRIX DU PUBLIC : MEILLEURE REALISATION : AMERICAN MARY
PRIX DU PUBLIC : MEILLEUR FILM D’HORREUR : EXCISION

PRIX DU PUBLIC : MEILLEUR COURT MERTRAGE INTERNATIONAL :
SHOOT FOR THE MOON
THE HALLOWEEN KID

PRIX DU PUBLIC : MEILLEUR COURT METRAGE FRANCOPHONE
THE AFTERMATH
MORT D’UNE OMBRE

MENTION SPECIALE
PRIX DU MEILLEUR SCENARIO :
MIMESIS
RED KROKODIL


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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