Un texte signé Patryck Ficini

France - 1968 - Vlatimo Roger

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Lâchez le tueur

« Le pouce tâtonna puis s’enfonça subitement sous l’orbite. L’Irlandais poussa un hurlement effroyable. Son oeil droit, adroitement énucléé, pendait sur sa joue, retenu par un un filet de petits muscles et de canaux sanguins. » (P. 54)

On a toujours voulu faire une réputation calamiteuse au roman d’espionnage populaire, « de gare » en l’opposant à des auteurs plus respectables comme Le Carré ou même Ian Fleming. En l’opposant aussi au roman policier ou noir, vite devenu plus côté aux yeux de la critique spécialisée. Une vision du petit chef d’oeuvre de Philippe de Broca LE MAGNIFIQUE en dira plus qu’un long discours sur le sujet.
Et pourtant, plus on explore ce genre et plus on découvre de petits bijoux, à l’image de LACHEZ LE TUEUR de Roger Vlatimo, un mercenaire de la plume qui n’a même pas droit à une notice chez Mesplède ou Lebrun (LE GUIDE DU POLAR). Vlatimo il est vrai travailla parfois sous pseudo (il participa notamment à l’écriture de certains LUC FERRAN, la créature de G. J. Arnaud, dans les années 60, sous le nom de plume collectif de Gil Darcy) et pas pour les éditeurs les plus prestigieux (L’Arabesque était quelque chose de sympathique mais pas le Fleuve Noir et encore moins la Série Noire).
Et pourtant !
LACHEZ LE TUEUR est remarquablement écrit et composé et on a envie d’en lire d’autres. On sent ici la patte d’un vrai romancier pop et pas d’un simple faiseur-bâcleur comme H. T. Perkins (que nous apprécions ici, l’un n’empêche pas l’autre mais on pourra lire son Baron VISA POUR LE THIBET pour comprendre).
Les décors sont admirablement décrits ; on s’y croirait. Dès le premier paragraphe, on est dans l’ambiance :
« La mer d’Irlande avait son visage des mauvais jours. Elle explosait en vagues rageuses qui, sans cesse, montaient à l’assaut du petit bateau de pêche. A chaque ruée du flot écumant, le Mary-Glory gémissait de la coque au mât, comme s’il eût été sur le point de renoncer à la lutte et de se dissoudre dans l’univers liquide. » (P. 7)
Vlatimo a le talent d’un Henri Vernes. D’autant que sur ce bateau, se trouve son anti-héros, Didier, alias « Le Tueur » (après T COMME TUEUR), qui est l’intérêt principal du roman. Un agent-secret free-lance qui tient plus d’un assassin à gages comme son surnom l’indique, et surtout l’un de des personnages les plus fascinants de cette littérature pulp des sixties, qui n’a rien d’un sous-OSS 117 ou d’un sous-Coplan, facilité à laquelle tous les romanciers ne résistèrent pas alors.
Le Tueur, c’est ça :
« L’homme (…) semblait appartenir à une race qui lui était inconnue. En sa présence , O’Rylan se sentait mal à l’aise, dérouté par le regard de poisson mort émanant des étranges prunelles vert pâle. Il se rappelait de ce que disaient les vieilles à propos des lutins maléfiques hantant les landes irlandaises la nuit de la Toussaint : ils avaient à peu près ces yeux-là » (P. 9)
Plus loin, Didier est comparé à un revenant ! On est pas loin de l’épouvante et du héros de roman noir, au sens gothique du terme.
«Au cours d’une mission, acun scrupule d’ordre moral ou humanitaire ne le retenait. C’était l’agent de choc à la fois cruel, adroit et rusé. (…) Il veillait jalousement, en accumulant les meurtres si nécéssaire, à ce que son anonymat ne soit pas percé. » (P.13)
Et c’est ô combien vrai comme le prouve cette mission en Irlande où le Tueur ne fait pas dans la dentelle : il bute tout ce qui lui fait obstacle, torture si besoin est. Beaucoup de lecteurs et de spectateurs ont phantasmé sur le permis de tuer de James Bond. Didier va beaucoup plus loin. On pense à GOLGO 13, ce manga génial, ou à KAPUT de Frédéric Dard dont les méthodes ultra expéditives ne sont plus à raconter.
En matière de violence efficace, Didier n’a rien à apprendre de personne. Les plus modernes Jack Bauer, Jason Bourne ou encore le héros des TAKEN, au cinéma, n’ont qu’à bien se tenir.
Peut-être parce que ce personnage hors-norme a « pris goût à la soufffrance d’autrui » (P.14) et qu’il est aime profondément ce qu’il fait, au-delà de l’argent qu’il gagne.
Didier, qui séduit les femmes (dans un strict but utilitaire) avant de les terrifier, est plongé avec LACHEZ LE TUEUR dans une affaire compliquée de vente d’armes confiées par les Nazis aux rebelles irlandais pendant la seconde guerre mondiale pour déstabiliser l’Angleterre. Seul contre tous, le Tueur devra faire face à tous les dangers pour réussir sa mission, traqué par tous et partout.
« Vous êtes un véritable démon du mal » s’exclame l’un de ses ennemis vaincus, P. 200.
Pas faux, car Didier, bien de son époque, évoque aussi un super-criminel de fumetto nero, comme Diabolik ou Kriminal, notamment parce qu’il fait tout pour garder son identité secrète et parce qu’il manque quasi totalement de morale. Didier est un surhomme mystérieux, dont on ne sait rien, apparemment dénué d’amis ou d’amours. On apprend juste, pour des raisons non dévoilées ici, qu’il déteste les Nazis.
Et pourtant, si Terence Young a dit que James Bond aurait fait un parfait SS, qu’en est-il d’un agent comme le Tueur ?


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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