Un texte signé Patrick Barras

retrospective

L’affaire de la fille au pyjama jaune

À Sydney, le cadavre partiellement carbonisé d’une jeune femme est retrouvé sur une plage. La police arrête alors un suspect qui semble un peu trop bien désigné. En tout cas trop hâtivement pour Thompson, vieil inspecteur à la retraite ayant conservé des méthodes d’investigation à l’ancienne et qui va faire des pieds et des mains pour qu’on le laisse se mêler de l’enquête. Parallèlement, Glenda, jeune Hollandaise immigrée en Australie, tente tant bien que mal de gérer une vie amoureuse partagée entre trois hommes. Deux histoire qui aboutiront à un carambolage tragique…

Le fait (souvent mis en avant) que le film soit en partie inspiré par un fait divers réel qui s’est déroulé en Australie dans les années 30, donnant lieu à une enquête non résolue, n’est somme toute que très anecdotique. L’élément le plus intéressant conservé par Flavio Mogherini est que le corps de la victime a dû être exposé au public, fait inédit, pour tenter de parvenir à l’identifier.
Et disons-le de suite, pour ceux qui s’attendraient avec L’AFFAIRE DE LA FILLE AU PYJAMA JAUNE à un giallo (puisque le film y est le plus souvent apparenté) empruntant bon nombre de chemins balisés du genre, la déception risque d’être rapidement au rendez-vous…Mais de toute façon la couleur (c’est le cas de le dire) n’est-elle pas annoncée dès pratiquement le début ? Car si pour les jeunes policiers en charge de l’enquête le meurtre est forcément le fait d’un tueur maniaque mu par ses déviances psychologiques, ce qui devrait nous permettre de poser un pied en terrain connu, le vieil inspecteur (interprété par Ray Milland) balaye d’emblée l’hypothèse, considérant qu’il s’agit là juste de « conneries » dans l’air du temps et que l’acte aurait des justifications bien plus prosaïques. Ce qui va orienter le film vers une forme policière plus traditionnelle. Peut-on ou doit-on alors simplement voir L’AFFAIRE DE LA FILLE AU PYJAMA JAUNE comme un anti-giallo ; une fin de non recevoir pour la fin d’un genre ?…

Pour qui espèrerait également son lot d’action, une série de meurtres et d’effusions de sang, l’attente sera vaine. Une seule victime, mais ce à quoi nous assistons principalement est une lente mise à mort et une méthodique entreprise de destruction d’une personne et d’une vie, à tous les points de vue. Processus dont seul le vieil inspecteur semble être conscient. Le déroulement du (des) récit(s) pourra sans doute paraître bien lent, mais il semble bien qu’il s’agisse ici d’une intention propre à servir le propos. La structure, le découpage du film, le montage parallèle adopté par le réalisateur (par ailleurs aussi co-scénariste) ne font que renforcer cette impression de lenteur qui confère au métrage son atmosphère particulièrement lancinante.

Glenda (Dalila Di Lazaro), éclatante de beauté, est une proie pour les hommes. Ce dont elle ne prendra conscience que petit à petit. Les trois hommes qu’elle fréquente ne sont en fait, de manière emblématique, que les trois visages d’une même personne : Un grand professeur Australien (Mel Ferrer) représente une fragile promesse de promotion sociale. Un immigré Italien (Michele Placido) tient à tout prix à lui offrir la sécurité d’un couple et d’une famille, comme pour mieux l’enfermer. Le troisième, immigré Danois quant à lui (Howard Ross), est le bellâtre qui lui procure le frisson d’une aventure épisodique, en apparence libérée. Tous trois finiront à la longue par se fondre et se confondre, dans une même figure à l’attitude lâche et vile vis à vis d’elle. Elle qui n’est en définitive considérée que comme un objet, avec lequel il est bon de paraître et de s’afficher, qui permet de s’intégrer dans la société en l’épousant, ou simplement de s’amuser.

Le film de Flavio Mogherini prend pour le coup des accents de plaidoyer féministe, car ce qui est assassiné en premier lieu ce sont les espoirs simples et légitimes, les illusions de Glenda. Elle qui se pense libérée se retrouve successivement prise au piège des pires schémas auxquels une femme peut se voir confrontée. En parallèle, le personnage de l’inspecteur cherche avant tout à ré-humaniser la victime du meurtre en tentant de reconstituer le puzzle de sa vie de femme. Il est aussi à noter que l’histoire débute avec une petite fille qui esquisse une discussion caricaturale de vraie femme avec sa poupée (juste avant de découvrir le cadavre) et que c’est une autre fillette qui apporte les conclusions de l’enquête et les révélations de Thompson à la police. Messagère pure et candide à qui le vieil inspecteur offre les fleurs qu’il cultive avec passion. Comme si le réalisateur cherchait à glisser en sourdine « petites filles, ne soyez pas trop pressées de grandir ».

Les hommes quant à eux, images fugaces du prince charmant, se verront en fin de compte dépeints comme des porcs. À l’image de celui que Glenda finit par épouser, de guerre lasse, qui nous est montré à table, débraillé et se goinfrant salement, devenu un pitoyable tyran domestique. Mais le pire encore surgira lorsqu’elle sera amenée à se prostituer et lorsque, dans un ultime geste de défi, elle le fera de surcroît avec trois hommes passablement répugnants en même temps, lors d’une scène à dessein sordide et déprimante. Scène qui finira d’écorner l’image de la gent masculine, tous ages confondus. L’adolescent qui assiste médusé aux ébats et qui est censé y participer met tout compte fait bien trop de temps à détourner le regard.

On pourra aussi trouver en filigrane dans le film une question quant à la situation des personnes émigrant en Australie. Qu’est-ce que le pays a effectivement à offrir à Glenda et à deux de ses amants ? Des emplois subalternes et assez peu de perspectives d’avenir, bon nombre de désillusions, mélancolie et dépression… Et pour certains, la prison ou la mort. Amer constat, pour ceux qui voyaient en l’Australie la terre de tous les possibles, qui rajoute une touche supplémentaire à l’atmosphère de tristesse dans laquelle le film baigne déjà et que peinent à contrebalancer quelques tentatives maladroites d’humour de la part de Thompson.

Concernant la réalisation de Mogherini, il n’y a pas grand chose à redire. La photo est de grande qualité et il est vrai qu’elle s’appuie également sur des acteurs convaincants. Quant à la musique de Riz Ortolani qui l’accompagne, elle peut agacer par moments par ses accents disco très datés et surtout un peu cheap. Mais quand certains thèmes se retrouvent déclinés sous une forme plus traditionnelle, par des notes d’harmonica, elle prend une dimension nostalgique et mélancolique qui vient faire écho à celle des images. À noter également la présence de deux chansons interprétées par Amanda Lear, tout aussi datées que la disco d’Ortolani, mais qui après coup, avec leurs côtés « variétoche » et glamour à deux balles constituent un assez bon contrepoint, dérisoire, à la tristesse ou au sordide de certaines situations. Dérisoire comme une affaire dont la résolution ne tient qu’à un fragment de pyjama jaune et à une pincée de riz…

Alors si au final L’AFFAIRE DE LA FILLE AU PYJAMA JAUNE n’est pas un bon vieux giallo palpitant et retors, à ranger parmi ceux auxquels nous avons été habitués, Flavio Mogherini nous livre tout de même là un bien beau film, atypique au sein du genre, sombre et désespéré à souhaits et en fin de compte vraiment touchant… Ne boudons pas notre plaisir.


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse

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