Un texte signé Stéphane Bex

retrospective

Le fils de Dracula

Une petite gare de Louisiane. Le comte Alucard, invité par Katherine Caldwell et attendu, ne se montre pas et seuls ses bagages sont ramenés au domaine de Darks Oaks (les Chênes noirs) où une fête bat son plein. Le riche planteur le colonel Caldwell y trouve la mort causée par la présence de Dracula qui n’est autre qu’Alucard mai sà l’envers. Katherine malgré les avertissements d’une vieille gitane, de sa soeur Claire (Evelyn Ankers) et de son fiancé Frank (Robert Paige)semble succomber au charme du ténébreux Hongrois qu’elle finit par épouser en secret. Quand Frank l’apprend, il décide de se venger et, voulant mettre à mort Dracula, tue Katherine avant de se rendre aux autorités. Mais le vampire n’a pas dit son dernier mot et Katherine retrouve la vie…

LE FILS DE DRACULA est plutôt une curiosité dans la carrière de Robert Siodmak, réalisateur allemand exilé à Hollywood et connu surtout pour ses films noirs. Alors en contrat avec Universal, LE FILS DE DRACULA va constituer la première oeuvre d’Universal pour Siodmak et clôt la trilogie entamée par DRACULA (Tod Browning, 1931) et LA FILLE DE DRACULA (Lambert Hillyer, 1936), le dernier sortant également dans la maison d’édition Elephant Films. Moins connu que les deux précédents, ce film de Siodmak est néanmoins noté, dans l’histoire des effets spéciaux, pour une étonnante scène de métamorphose de chauve-souris en vampire sous l’égide de Fulton dont la récente réédition de la revue MIDI-MINUIT rappelle l’influence qu’il a exercée pour une génération d’amateurs de fantastique. On peut ajouter d’ailleurs à cette métamorphose une autre, tout aussi réussie mais plus poétique qui voit une jeune femme se transformer en fumée pour sortir d’une cellule.
Film mal aimé que ce FILS DE DRACULA ? On note souvent les faiblesses du scénario rédigé par Curt mais désavoué par Robert, l’inconsistance du titre qui affuble Dracula d’un fils nulle part présent dans l’oeuvre ; ou encore le manque de charisme d’un Lon Chaney Junior, plus à l’aise dans ces habituels rôles de Kharis la momie ou Larry Talbot le loup-garou que dans celui de l’élégant comte transylvanien.
Mais c’est oublier que Robert Siodmak, comme futur réalisateur de films noirs, trouve dans ce scénario plutôt léger l’occasion d’offrir un premier brouillon des chefs d’oeuvre à venir comme LES TUEURS, POUR TOI J’AI TUE ou encore LES SS FRAPPENT LA NUIT. Film fantastique, LE FILS DE DRACULA ne l’est qu’apparemment et insuffisamment pour prétendre à opérer une révolution dans le genre. Film noir, il l’est bien plutôt, et c’est dans cette hybridité qu’il délivre toute sa puissance évocatrice et onirique. Facétieux quand il s’agit dès la première scène de déchiffrer l’énigme d’un cryptogramme (ALUCARD), le réalisateur exhibe d’emblée la ficelle où est censée se nouer l’identité secrète appelant à la surprise de la révélation. De même, la scène de confrontation entre Katherine et une vieille gitane hongroise (reine Zimba !), mettant en garde la première avant d’être exécutée par une chauve-souris, est sans équivoque quant au symbolisme de l’animal, identifié clairement à l’époque comme une des formes prises par Dracula.
Paradoxalement, pourtant, c’est en exagérant et en saturant les indices du fantastique que Siodmak, insensiblement, fait basculer le film dans le registre du film noir, qui le côtoie à sa lisière la plus onirique. Katherine Caldwell, obsédée par le spiritisme, campe une vamp vénéneuse que ses manigances retorses transforment en monstre bien plus dangereux que le vampire lui-même. Derrière elle s’annonce déjà (port altier, silhouette longiligne, noirceur fatale et érotisme diffus) la Kitty Collins (Ava Gardner) des TUEURS. De la fausse « pure » (Katherine) aveuglée par la puissance et l’amour pour un fiancé qu’elle fait semblant de trahir à la « chatte » ronronnante (Kitty), il est un faible écart que la ressemblance des prénoms souligne encore. Katherine vient tenter son ancien fiancé, Frank, en lui proposant une immortalité que ce dernier pourtant refuse. Derrière les figures d’un fantastique anémié et faussé, Siodmak montre ainsi l’empreinte bien plus forte et cruelle des désirs et de l’avidité humains. Pas de transcendance, ni d’au-delà romantique dans ce film : les personnages, montrés sous leur côté grotesque ou effrayant, visent un monde immanent, fait d’héritage, d’argent, de propriété, de testament, de contrat de mariage et de parole donnée.
Plus que le Dracula du film qui apparaît au final comme une créature désemparée aux pouvoirs limités, peut-être le véritable vampire est-il ici Siodmak lui-même, prenant aux thèmes fantastiques de quoi créer la bizarrerie et l’inquiétante étrangeté de son oeuvre. Si la créature qu’est le vampire représente une profanation de la religion chrétienne dont elle conserve les éléments symboliques tout en les renversant, on peut dire que Siodmak se livre de son côté à une profanation du territoire du fantastique qu’il désacralise en l’amenant vers des rivages à la beauté trouble. La nature par exemple, n’est plus ici la chambre d’échos des psychés tourmentées des héros mais plutôt l’écrin indifférent dans lequel trouvent à s’enchâsser les désirs palpitants des hommes : les herbes servant de paravent aux jeunes femmes timides dans LES HOMMES LE DIMANCHE sont devenues ici allées de bambou, jungle encerclant un lac et mettant en valeur le visage et la silhouette de Katherine se détachant obscure et mystérieuse sur ces cryptogrammes végétaux. L’avancée de Dracula sur le lac réitérant le miracle d’une marche sur l’eau est une glissade onirique et spectaculaire auréolée par l’art de Robinson, le directeur de la photographie, et celui de John B.Goodman à la direction artistique. Encadrant le film encore, deux moments voient des hommes se réunir, ombres noires autour d’un feu se transformant en incendie généralisé, tableau expressionniste plus effrayant que les moments de métamorphoses dans le cas du vampire.
L’effroi qu’inspire le film, en effet, plus que son argument fantastique, réside peut-être dans la possibilité de sa lecture allégorique : il est difficile de ne pas mettre en rapport la fascination entraînée par le comte à l’égard de Katherine avec celle, horrifiée, générée par Hitler en Europe comme en Amérique. Le comte, ayant épuisé les forces du vieux continent, ne cherche-t-il pas comme Hitler à étendre sa domination au-delà de l’Europe, trouvant en Amérique les promesses d’un sang neuf ? L’allusion à l’immortalité et l’occultisme auquel se réfère sans cesse Kay rappellent encore le spiritisme noir imprégnant le troisième Reich, objet d’une séduction qui a dépassé le cadre du simple nazisme. Ce FILS DE DRACULA vise moins l’époque d’un romantisme hanté par la science et la maladie, que le présent d’une époque ravagée par la guerre et les volontés de conquête. Ultime métamorphose du vampire : celle qui le conduit à devenir la figure fantoche d’un despote lui bien réel. Trois ans auparavant, c’est sous la forme d’un double comique que Chaplin en présentait un autre avatar. Du comique au thriller fantastique, le Mal se déploie sous bien des aspects mais c’est une des forces de Siodmak d’avoir montré que son lieu de naissance se trouve au coeur des humains qui lui sert complaisamment de miroir.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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