Un texte signé Patrick Barras

France - 2011 - Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser
Interprètes : Jean Rollin, Jean-Pierre Bouyxou, Philippe Druillet, Brigitte Lahaye, Pete Tombs, Ovidie...

horizons

Jean Rollin, le rêveur égaré

Retour sur Jean Rollin. Celui à propos duquel le fait de dire que son cinéma ne laisse jamais indifférent, générant soit l’admiration de fans inconditionnels, soit le rejet viscéral de la part de ses détracteurs, est presque en passe de devenir un poncif. Poncif également de dire que l’on se trouve en face d’un travail empreint d’une vraie personnalité, d’une singularité pour le moins déconcertante, de partis pris constants et imperturbables qui relèvent d’une vraie individualité ? Mais après tout, ne devrait-ce pas être l’essence de tout vrai bon cinéma ?
Le documentaire de Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser se pose en panorama exhaustif sur la vie, la carrière et l’oeuvre de Jean Rollin, mettant en lumière ce qu’elles peuvent avoir d’indissociable.
Il possède l’indiscutable qualité (que ce soit pour le familier de l’oeuvre ou pour le « novice ») de mettre une bonne fois pour toute à plat la « méthode, la patte Rollin » – tant au travers des récits de l’intéressé que des interviews de ceux qui l’ont côtoyé et qui ont collaboré étroitement avec lui, ou encore qui sont des amateurs sincères de son travail. Ceci sans qu’il n’y ait jamais, tant de la part des auteurs que des intervenants, une once de condescendance. On perçoit en permanence qu’il y a chez ceux qui ont été proches de lui et qui ont participé à ses films, une réelle affection, pour l’homme et intrinsèquement pour ses réalisations.
Et qu’apprend-t-on ici de la fameuse « méthode » ?
Les sources d’inspiration ? Elles plongent leurs racines dans une enfance et une adolescence au sein (du fait de sa mère) d’un milieu artistique et littéraire proche du surréalisme. Par rejet, le jeune Rollin s’orientera d’abord avidement vers la culture populaire (et ce sont bien ces deux influences qui se retrouveront « mixées » au cœur de son œuvre), avant de devenir, comme il l’affirme, un « cinéphile par erreur » grâce à Cocteau et Buñuel, entre autres.
Des acteurs en roue libre ? Un des interviewés nous apprend que Jean Rollin, profondément libertaire, ne supporte pas qu’il existe une hiérarchie sur un plateau ou d’avoir de chef. Comment pourrait-il se poser en tant que tel auprès de ses acteurs, comme de ses techniciens ? C’est ce même élan libertaire qui impose à son cinéma un affranchissement des règles et des académismes, cinéma dans lequel selon ses dires, « il vaut mieux faire beaucoup que bien ».
Des structures narratives exemptes de logique ? Une affirmation récurrente dans pas mal d’interviews est que Jean Rollin choisit d’ériger « le rêve en principe de mise en scène », qu’il préfère rêver ses films au fur et à mesure que de les étayer par une écriture contraignante. Une réalisation automatique, en quelque sorte, ou un cadavre exquis à une seule main. Principes chers au surréalisme, à nouveau, et propres, de fait, à déconcerter le spectateur nourri aux schémas traditionnels.
Quant au bricolage induit par des budgets la plupart du temps assez indigents, il s’agit là d’une notion plutôt familière pour tout amateur de cinéma de genre ou bis, non ?
Il y a un moment où l’évocation de l’idée qu’il est préférable de rêver ses films pourrait nous tenter de vouloir rapprocher Jean Rollin de Ed Wood (du moins tel que Tim Burton nous le dépeint dans son film éponyme), mais à l’écouter, au fil de ses interventions, on a du mal à croire qu’il ait un jour cherché à concourir pour le titre du plus mauvais réalisateur de tous les temps…
Alors certes, ce documentaire n’apprendra peut être que peu de choses aux familiers de l’oeuvre de Rollin, mais on se prend à souhaiter qu’il puisse, en l’abordant sous l’angle de la passion, donner envie à de nouveaux spectateurs de la découvrir ; et pourquoi pas de donner aussi à certains l’envie de la reconsidérer. Il acquiert également une dimension testamentaire, ayant été finalisé et diffusé peu après la mort du réalisateur en 2010.
Un métrage à ranger pour le coup aux côtés de DES OVNIS, DES MONSTRES ET DU SEXE – LE CINÉMA SELON ROGER CORMAN ou de EUROCINÉ, 33 CHAMPS ÉLYSÉES de Christophe Bier, au rayon déclarations d’amour (nouveau poncif ?…) au cinéma – en tout cas à celui qui a pu nous amener à aimer LE Cinéma…


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse


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