Un texte signé Franck Boulègue

Hong Kong - 1972 - Cheng Kang
Titres alternatifs : Shi si nu ying hao
Interprètes : Ivy Ling Po, Lisa Liu, Lily Ho, Lo Lieh, Huey Hua

asian-scans

Les 14 Amazones

Cette superproduction, qui a bénéficié d’un budget pharaonique (pour l’époque) et dont le tournage s’est étalé sur deux années, réunit une impressionnante brochette de stars issues de l’écurie des frères Shaw. Les plus grandes vedettes féminines d’alors apparaissent en effet au générique de ce film sanguinolent qui suit la campagne militaire menée par les femmes de la famille Yang contre l’envahisseur Hsia. Tout commence avec la mort du général Yang Tsungpao, tombé dans une embuscade sur la frontière mongole dont il assurait la défense. Les multiples veuves qui constituent ce qui reste de la célèbre famille – qui a amplement puisé dans ses réserves de mâles pour défendre la Chine face à ces cruels barbares – reçoivent la nouvelle de son trépas alors qu’elles s’apprêtaient justement, cruel hasard, à célébrer son anniversaire. Plus question dès lors de festivités : l’heure est à la revanche et au patriotisme. La Grande Dame (Lisa Lu), matriarche de ces terribles amazones, entreprend de lever une armée qui aura pour tâche d’occire les affreux mongols. Commence alors une longue marche qui va mener ces soldats en jupons à se confronter aux troupes du roi des Hsia (Tien Feng) à plusieurs reprises, dans des escarmouches plus sanglantes les unes que les autres. Il va s’agir pour cette armée d’échapper à une embuscade tendue dans un canyon, de franchir un précipice sans fond, de libérer les flots retenus par un barrage afin de submerger l’armée ennemie, d’affronter les Hsia jusque dans leur forteresse…
Ce qui frappe en premier lieu au visionnage de cette épopée, c’est l’extrême violence dont elle fait montre. Le film constitue un hallucinant catalogue d’atrocités : la piétaille des deux bords est brûlée vive, décapitée, éborgnée, démembrée, transpercée… les prisonniers sont, quant à eux, massacrés, fouettés, molestés, torturés… on ne compte pas non plus les suicides, les sacrifices, les actes de ” bravoure ” consistant à offrir son corps à la hache de l’ennemi… Bref, LES 14 AMAZONES nous permet d’assister à une stupéfiante boucherie qui, bien qu’extrêmement stylisée (la peinture écarlate qui sert à confectionner le sang des blessés ne trompe personne ; il est patent, d’autre part, que les coups ne sont pas vraiment portés…), n’en demeure pas moins marquante – peut-être plus encore que celle rencontrée dans nombre de films d’horreurs, du fait de la désinvolture avec laquelle elle est ici présentée. La cruauté est tout spécialement le fait des Hsia de l’Ouest, dont les exactions sadiques sont innombrables. Mais en face d’eux, c’est la psychologie des Chinois qui laisse souvent pantois. L’amour de la patrie sert à justifier ici bien des sacrifices. Mu Kuei-Ying (Ivy Ling Po), une des héroïnes principales du récit, déclare ainsi au beau milieu du film : ” entre le pays et mon fils je suis obligée de choisir… la patrie passe avant tout ! “. Pareil fanatisme fait froid dans le dos. Notons au passage que ledit fils, Yang Wen, est interprété par Lily Ho – à l’instar de ce qui a traditionnellement lieu dans certains opéras chinois, ce rôle masculin est ici interprété par une femme.
Et les femmes – côté positif de cette oeuvre – sont à la fête. Contrairement à ce qui a trop souvent cours dans les films d’action hollywoodiens (pour ne citer qu’eux), les femmes sont ici dépeintes comme d’impitoyables guerrières, au moins égales à leurs homologues masculins. Ce sont elles qui partent en campagne afin de venger la mort de leurs époux et sauver l’Empereur de ses ennemis – tant extérieurs qu’intérieurs (des ministres machiavéliques gravitent en effet dans son entourage et le manipulent outrageusement). Reste à savoir si le fait d’égaler leurs maris sur les champs de bataille doit réellement constituer un motif de fierté pour ces amazones…
Plusieurs moment d’anthologie jalonnent le film. Le plus mémorable d’entre eux est indéniablement la séquence qui voit les deux portions de l’armée des Yang séparées par un précipice a priori infranchissable. Le pont de bois qui l’enjambait jusqu’ici a été détruit par des flammes. Comment s’y prendre pour passer de l’autre côté de l’obstacle ? Jouant de la symbolique du récit, qui met en avant l’esprit de corps de la famille Yang, un pont humain est jeté à la hâte entre les deux bords afin de permettre aux troupes positionnées du mauvais côté du gouffre de rejoindre leurs compagnons d’arme. Si l’on fait abstraction du caractère totalement surréaliste de cette idée, il faut reconnaître que l’image de ces corps entremêlés est assez remarquable. Seul le cinéma de Hong-Kong est capable de nous offrir de pareilles situations. Les réalisateurs occidentaux reculeraient immédiatement devant la folie du projet. Les guerrières de la famille Yang virevoltent en tous sens lors des séquences de bataille, elles se balancent à des lianes telles des émules de Tarzan, elles bondissent comme des cabris et trucident à la vitesse de l’éclair… Faisant fi de toute prétention réaliste, le film nous présente un spectacle sans temps morts, une saga historique haute en couleurs.
Film de masse, LES 14 AMAZONES laisse peu de place au développement psychologique des multiples personnages. On aimerait en savoir un peu plus au sujet de ces guerriers (et ” guerrières ” !), mais Cheng Kang a préféré privilégier l’action aux finesses d’ordre psychique (les scènes de combat sont chorégraphiées par on fils, le réalisateur Ching Siu-Tung). Le fait d’inclure quelques moments visant à mieux nous présenter ces personnages aurait cependant permis de conférer un peu plus de substance à ce métrage qui, en l’état, se résume à une longue succession de scènes de massacre.
Le résultat n’est pas inintéressant pour autant. A vrai dire, le film est même plutôt enlevé et il se regarde sans ennui. Il compte suffisamment de ” rebondissements ” (c’est le cas de le dire !) et de créativité au niveau des combats, tant individuels que collectifs, pour captiver l’attention de tout spectateur friand d’arts martiaux et de bagarres de masse. Les décors sont variés et le nombre important de figurants (pas toujours très convaincants, ni convaincus) confère au spectacle une dimension épique supérieure à la moyenne des productions de l’époque.
On regrettera cependant que cette petite touche supplémentaire au niveau de la présentation des personnages principaux n’ait pas été apportée. Quelques respirations dans le flot du récit auraient permis aux 14 AMAZONES de figurer en très bonne place dans leclassement des films issus des studios ” Shaw Brothers “. En l’état, et toutes proportions gardées, il ne s’agit ” que ” d’un très bon spectacle.


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- Article rédigé par : Franck Boulègue

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