Les fiancées en folie (1925) – À la poursuite de l’amour
Joseph M. Schenck, le producteur de Buster Keaton, propose à son client d’adapter Seven Chances, une pièce dont il vient d’acheter les droits. Keaton n’est pas du tout emballé par le projet. Il trouve le scénario mauvais. Schenck continue cependant d’insister et finalement le cinéaste craque. En 1925, Les fiancées en folie sort sur les écrans de cinéma et connaît un succès retentissant. Ce long métrage marque l’histoire du cinéma grâce à sa longue séquence de poursuite et inspire de nombreux cinéastes.
Le danger de l’immobilisme
Jimmy Shannon est amoureux de la belle Mary, cependant il est incapable de lui avouer ses sentiments. Keaton utilise les codes du théâtre pour présenter ses principaux protagonistes. Il commence le métrage par un rideau s’ouvrant sur des personnages figés, incapable de montrer le moindre sentiment malgré le temps qui passe. L’utilisation de l’humour de répétition permet de faire comprendre au public que Jimmy est lâche et préfère rester dans l’immobilité pendant que Mary attend patiemment un geste de sa part. Cette introduction est aussi un moyen pour Keaton de rappeler sa réticence à adapter une histoire qu’il n’aime pas.
Il brise rapidement l’immobilisme du protagoniste en insérant l’élément déclencheur de l’histoire en obligeant Jimmy à sortir de la boîte dans laquelle il s’est enfermé. Le jeune homme doit absolument se marier avant 17 h s’il ne veut pas perdre son héritage. Cette nouvelle est transmise par un avocat qui a bien du mal à briser les illusions du personnage. Keaton nous le montre, sans cesse repoussé par l’entourage de Jimmy.
Pour le réalisateur, ce sont des représentations de la lâcheté de son protagoniste. Elles servent de garde-fous faisant de Jimmy une personne complètement déconnectée du monde qui l’entoure. Une caractéristique qui revient souvent chez Keaton lorsqu’il parle de la classe aisée. Finalement, le personnage se retrouve confronté à la situation lorsque l’avocat colle le testament à une fenêtre comme pour forcer le héros à voir la réalité en face. Si Jimmy ne veut pas tout perdre, il doit absolument agir. À partir de ce moment, le film devient une longue course-poursuite contre le temps et pour l’amour
La complexité des sentiments
L’amour est un sentiment récurrent dans l’œuvre de Buster Keaton, l’éternel romantique naïf. Dans Les Fiancées en folie, le réalisateur parle de la difficulté d’avouer ses sentiments et d’être honnête avec l’autre. Jimmy, lors de sa demande en mariage à Mary, est tellement maladroit que la jeune femme pense qu’il ne veut l’épouser que pour l’argent.
Au lieu de tenter d’expliquer que cet ultimatum est l’étincelle qui le pousse à passer au-dessus de sa peur, le jeune homme préfère prendre la fuite et tenter de trouver une autre épouse sous le conseil de son associé. Il se saborde et se ridiculise auprès d’elles, tout simplement parce qu’elles ne sont pas Mary. Il ne veut que Mary, mais refuse d’affronter sa peur et être honnête. Dans cette partie du récit, Keaton utilise un humour physique. Il joue avec son corps, fait des cascades tel un clown de cirque. Son propre corps lui souffle que ces actions ne sont pas les bonnes.
Une scène d’anthologie illustre bien ce propos. Le héros est poursuivi par une horde de jeunes mariées. Elles ne sont pas là par amour, mais pour la grosse somme promise après la cérémonie et vue dans le journal. Jimmy pourrait en choisir une et ainsi récupérer son argent, mais le fait qu’il les fuit est une preuve de son réel désir. Cette longue poursuite sans temps mort et en vitesse accélérée montre que le protagoniste est acculé, il doit affronter sa peur, sinon il risque d’être écrasé par elle. Les mariés sont littéralement une vague fondant sur lui. On ne peut s’empêcher de remarquer dans cette scène, l’influence de Keaton sur l’humoriste britannique Benny Hill tant cette séquence rappelle la fin de ses shows.
Cette dernière sert ainsi à montrer au spectateur l’état d’esprit de Jimmy qui évolue au fur et à mesure. Lorsque Buster keaton échappe à une chute de rocher, courant le long d’une pente tout en évitant les obstacles, le réalisateur explique que Jimmy a enfin fait son choix. À ce moment-là, le personnage affronte le danger, mais ce sont ses peurs qu’il affronte en réalité. Il court vers Mary et aucun obstacle ne doit l’arrêter. Le réalisateur donne enfin une image plus positive, voire héroïque de son personnage. Le spectateur au fur et à mesure de cette poursuite endiablée devient complice de l’amoureux et souhaite le voir réussir. Tout comme lui, le public se moque de l’ultimatum et ne se concentre que sur la quête de l’amour. George Lucas dans La menace fantôme reprend la même astuce pour transformer Jar Jar en héros.
Cette poursuite infernale se termine en apothéose par Jimmy arrivant à bout de force devant Mary pour lui déclarer sa femme et l’épouser. L’amour ne s’achète pas, il ne faut juste pas avoir peur de l’exprimer et de prendre le risque de courir vers lui.