Un texte signé Jérôme Pottier

France - 1981 - Jean Rollin
Titres alternatifs : Fugue Mineure, The Escapees, The Runaways
Interprètes : Laurence Dubas, Christiane Coppé, Brigitte Lahaie, Marianne Valiot, Patrick Perrot, Louise Dhour, Jean-Loup Philippe, Nathalie Perrey

retrospective

Les Paumées Du Petit Matin

Depuis 1975, le poète Jean Rollin tourne, à contrecœur, une longue série de films alimentaires (donc pornographiques-qui sont d’ailleurs souvent « shootés » par son compère Jean-Pierre Bouyxou). Malgré le commercialement rentable LES RAISINS DE LA MORT (1978) et le superbe FASCINATION (1979), Jean Rollin n’arrive pas à sortir du ghetto du X, il accepte même, en 1981, de tourner pour Eurociné un sommet de la série Z, le mémorable LAC DES MORTS-VIVANTS, un nanar devenu depuis culte qu’il signe sous le pseudo de J. A. Lazer. Cette même année, il réalise un curieux road-movie et, par là-même, s’aventure hors du fantastique pour la première fois en allant vers un cinéma plus classique : LES PAUMEES DU PETIT MATIN.
Ces deux paumées, ce sont Michèle (Laurence Dubas, que l’on revit quelques années plus tard, en 1994, dans un des meilleurs films de l’insupportable Romain Goupil : LETTRE POUR L…) et Marie (Christiane Coppé, dont c’est le seul long métrage). Elles s’évadent d’une institution. Un euphémisme pour désigner l’asile qu’elles veulent gommer de leur esprit (une thématique déjà présente, l’année précédente, dans LA NUIT DES TRAQUEES). Ce duo hétérogène composé d’une sauvageonne sexy (Michèle) et d’une innocente mutique (Marie) navigue de « Charybde en Scylla » jusque l’inéluctable.
Cette pelloche maudite, qui ne trouva pas de distributeur, fut un échec cuisant bien injustifié. En effet, FUGUE MINEURE (retitrage plutôt judicieux pratiqué par Antarès Travelling lors de la sortie du film en VHS) est une petite merveille poétique qui brasse de nombreuses obsessions du poète en particulier lors de mémorables séquences foraines (dont le découpage sera repris dans KILLING CAR en 1993) ou bien lors d’une gracieuse scène de patinage. Un intermède qui se situe dans l’univers de la danse va jusqu’à mener nos deux acolytes dans un bastringue de marins qui n’est pas sans évoquer celui des DEMONIAQUES, œuvre clé dans la filmographie du maître qui mettait en scène l’indécemment belle Joëlle Cœur.
Le casting féminin nous permet de retrouver quelques habituées des « rollinades » telles Nathalie Perrey et Louise Dhour, sans oublier, bien sûr, la sculpturale Brigitte Lahaie, qu’il venait de révéler dans LES RAISINS DE LA MORT à travers un hommage à Barbara Steele et au MASQUE DU DEMON (1960) de Mario Bava. Chez les hommes, le cinéphile note une apparition du génial pédant Jean-Loup Philippe, acteur au jeu emphatique proche d’un Jean-Pierre Léaud, qui tenait le rôle vedette d’un chef-d’œuvre « rollinien », LEVRES DE SANG (1975).
THE ESCAPEES (titre britannique) n’échoue que lorsqu’il s’aventure dans la peinture sociale, un peu à la manière de LA NUIT DES TRAQUEES qui ne se révélait que lors de moments plus poétiques empruntés à Paul Delvaux. Pour le reste, cette bobine concoctée par le poète de Neuilly-sur-Seine est absolument passionnante car, bien qu’étant sa seule incursion vers un cinéma plus réaliste, elle est truffée de toutes ses obsessions surréalistes. LES PAUMEES DU PETIT MATIN est donc film qui ravira les néophytes comme les amateurs éclairés de Jean Rollin, un petit bijou à redécouvrir de toute urgence.

Jean Rollin, parlez nous de FUGUE MINEURE…
Et bien écoutez, c’est vraiment un film maudit parce que personne n’en a voulu, il a fait la totale unanimité contre lui et, moi-même, je pense que c’est un film raté (rires). Ceci dit, il y a deux ou trois séquences que j’aime bien dedans, mais c’est un film raté dans la mesure où le producteur, à l’époque, m’avait dit : « écoutez, ce qui pèche Rollin dans vos films, c’est le scénario : il faut prendre un scénariste ». Bon, j’avais écrit FUGUE MINEURE, donc j’avais un scénario, et on m’a trouvé un scénariste avec lequel je ne me suis pas très bien entendu. Il m’a refait un scénario dialogué mais comme il a été très long, on a commencé à préparer le film. Et quand son scénario dialogué est arrivé, c’était quelques jours avant le tournage, ça a été pour moi une catastrophe épouvantable ! Je trouvais ça « infilmable », nul ! Donc il a fallu commencer à tourner avec deux scénarios, celui de ce type et le mien, l’original. Et ça a été une bouillie épouvantable, on se mélangeait les pieds dans ces deux trucs et je ne suis pas vraiment satisfait du résultat. En plus, pour une fois, c’était un film qui n’était pas vraiment fantastique… Il y a quand même, si vous voulez, beaucoup de scènes qui me plaisent, que j’assume ; mais l’ensemble forme un mélo déséquilibré parce que je n’ai pas pu maîtriser l’histoire complètement.
Je vous avoue que je suis étonné car, dans ce long métrage, on retrouve beaucoup de vos thèmes de prédilection qui sont, je pense, très bien exploités…
Oui, bien sûr, c’est vrai, il reste encore pas mal de choses de mon scénario d’origine.
Dans ce film, l’exploitant forain dit : « ce que vous voyez en ce moment c’est le théâtre de la rue, le premier, le plus beau ! » ; alors Jean Rollin, à l’égal de ce personnage, vous considérez-vous comme un cinéaste populaire ?
Je pense que oui, pas uniquement, mais il y a un côté série B et la série B c’est du cinéma populaire. Ce qui n’empêche pas un certain intellectualisme, bien que ce soit proche du cinéma populaire. En plus, ce film là n’est jamais sorti en salles, personne n’en a voulu, on a été ruinés avec ce film (rires), on ne l’a vendu nulle part, il n’est jamais sorti.
Dans ce film il y a une magnifique scène de patinage, l’actrice est incroyablement douée…
L’actrice était championne de France de patinage (rires).
Etait-ce dans le script ou était-ce de l’improvisation ?
Non, non, c’était dans le script. Et puis la patinoire était un élément intéressant pour moi, surtout une patinoire déserte. Ça fait partie d’une mythologie des décors que j’utilise chaque fois que je le peux. Bon, une patinoire déserte c’est quelque chose ! Un musée désert, c’est quelque chose que j’ai très envie d’utiliser aussi. Par exemple, je rêve de pouvoir tourner dans Le Musée Des Monuments Français au Palais Chaillot, qui est un endroit absolument fabuleux, très très insolite, surtout quand il est vide, et il est presque toujours vide (rires). Il y a Le Musée De La Marine aussi, tout cela ce sont des endroits qui, quand on les sort de leur contexte touristique, sont des lieux tout à fait privilégiés pour une certaine forme de fantastique.
Extraits d’un entretien donné par Jean Rollin à Jérôme Pottier le 12 avril 1999.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Jérôme Pottier

- Ses films préférés :

Share via
Copy link