Un texte signé Sophie Schweitzer

Philippine - 1976 - Mike De Leon
Titres alternatifs : Itim
Interprètes : Tommy Abuel, Charo Santos, Mario Montenegro

L'Étrange Festival 2022retrospective

Les rites de mai – Histoire de fantôme philippin

Dans Les rites de mai, le jeune photographe Jun est de retour en sa province natale. Il profite d’un reportage sur la semaine sainte pour rendre visite à son père infirme. Ce dernier est resté invalide après un accident de voiture. Mutique, le vieil homme a néanmoins une relation assez complice avec son fils. Ce dernier fait la rencontre de Teresa, une jeune femme hantée par la disparition de sa grande sœur. Fasciné par la demoiselle au comportement pour le moins étrange, Jun tente de comprendre celle-ci sans réaliser que cela va l’amener sur les traces d’un douloureux passé…

Premier long-métrage du cinéaste philippin Mike de Léon, Les rites de mai n’a pu bénéficier d’un gros budget et s’est vu confronté aux difficultés des premières et petites productions. Malgré tout, Mike possédait une certaine expérience puisqu’il avait réalisé un court métrage MONOLOGO, qui décrivait le monde vu par un photographe à travers son viseur. Ne cherchant pas le réalisme, le court était assez expérimental.

Fort de l’expérience de ses parents (son père est le producteur Manuel de Léon et sa grand-mère, Narcisa de Leon, la fondatrice des studios LVN ayant produit une grande partie des films philippins des années 30 à 60), il a réussi, après quelques années, à travailler dans des laboratoires de traitements des films, à produire et à être le chef opérateur du long-métrage Manille de son compatriote Luno Brocka en 1975, pour lequel il a remporté le prix de la meilleure photographie de l’Académie philippine des arts et des sciences du cinéma.

Itim, les rites de mai
Itim, les rites de mai

Une plongée réussie dans le mysticisme philippin

Avec pour référence Antonioni et un budget limité, Mike de Léon opte pour des apparitions subtiles pour tisser sa hantise. C’est ainsi des bruits étranges, des silhouettes, des lumières et des grincements de parquet qui constituent l’essentiel des manifestations. Si bien que le doute demeure jusqu’au bout. D’autant que Teresa, dont le comportement est de plus en plus inquiétant, semble avoir toutes les raisons de perdre peu à peu la tête. En effet, depuis la disparition de sa sœur, la relation avec sa mère est devenue distendue. Celle-ci étant de surcroît très religieuse et stricte, il est compliqué pour la jeune femme de mener une vie normale d’adolescente. Pour tout amateur d’histoire de hantise, il ne sera pas surprenant de comprendre que c’est la rencontre avec un Jun charmeur qui va tout déclencher.

Au 19ème siècle, notamment à travers toute la littérature gothique, on liait l’éveil à la sexualité des jeunes filles aux phénomènes de hantise quand ce n’était pas à la maladie de l’hystérie. Encore de nos jours, nombre de ces phénomènes inexplicables sont liés à des adolescents. D’abondantes explications rationnelles viennent pointer du doigt le carcan de la société comprimant ces jeunes filles. Ici, il s’agit plutôt de la religion.

Itim, les rites de mai
Itim, les rites de mai

Une hantise poisseuse aux accents religieux.

En effet, le film baigne dans une atmosphère très spirituelle et religieuse. Les chants catholiques constituent en bonne partie sa bande sonore. Les fameux rites de la semaine sainte sont filmés à la manière d’un documentaire et certaines prières sont très extrêmes quant au dévouement qu’elles montrent (femmes remontant à genou la nef de l’église, vieillard murmurant des prières sur l’obscurité dans un abri insalubre…). Ces rites nimbent le film d’une atmosphère plutôt poisseuse renforcée par l’humidité du climat qui ronge les bâtiments, ainsi que la maison déjà frappée par le délabrement qui semble être en écho à l’état physique du père.

Quant aux statues des saints que possédait la mère du héros, elles sont souvent utilisées pour former des silhouettes effrayantes, provoquant des jump scares de l’époque. Évidemment ces statues par leur présence et leur histoire convoquent le fantôme de la mère de Jun, qui à l’instar de Rebecca dans le film et livre éponyme, est souvent cité sans pour autant qu’on sache réellement qui elle était, demeurant une présence mystérieuse, ni bienveillante, ni malveillante.

Ainsi, Les rites de mai comporte tous les ingrédients d’une bonne histoire fantastique, y compris un rythme parfois un peu lent. Prisonnier de ses vastes décors et de personnages statiques, le jeune réalisateur compense avec d’élégants mouvements de caméra à l’intérieur de la maison. De facto, le film est très beau avec une lumière presque moderne. Son atmosphère mystique gagne beaucoup grâce au soin apporté à l’image et aux décors. Ceux-ci mêlent parfaitement des inspirations gothiques européennes et les particularités spirituelles propres à la culture philippine conférant au film une beauté plastique indéniable.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà - Ses auteurs préférés - Oscar Wilde, Sheridan LeFanu, Richard Mattheson, Stephen King et Poppy Z Brite

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